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Comment on suit les produits à la trace

Madame Martin choisit une barquette de beefsteak et se dirige aussitôt vers la borne interactive installée devant le rayon boucherie. Elle saisit le code que porte l’emballage et, immédiatement, apparaît à l’écran la fiche d’identité de l’animal abattu : une vache de 10 ans, de race charolaise. Un clique de plus et notre ménagère obtient les coordonnées de l’éleveur, Serge Hellouin, à Ondefontaine, dans le Calvados. Rassurée sur l’origine, bien française de son beefsteak, madame Martin poursuit ses courses… Voilà plusieurs mois que les clients de l’hypermarché Continent d’Ormesson-sur-Marne, près de Paris, peuvent vérifier l’origine de la viande qu’ils achètent. Pour parvenir à ce degré de précision, le distributeur et son fournisseur, Soviba ont développé une énorme base de données, qui conserve le numéro d’identification du bovin, la date et l’heure d’abattage, etc.

A l’instar de Continent et de Soviba, de plus en plus d’entreprises agro-alimentaires suivent leurs produits à la trace, depuis l’usine jusqu’à la livraison chez le distributeur ou le consommateur final. C’est le fameux principe de traçabilité, que les industriels mettent en avant, pour rassurer le public, à chaque nouvel accident : fromages aux listeria, vaches folles, fongicide sur des canettes de Coca, cochons ou poulets à la dioxine… Mais ce système de sécurité est également utilisé pour les voitures, les pièces d’avion, les cosmétiques, les médicaments ou les jouets. Un établissement de transfusion sanguine découvre qu’un de ses donneurs souffre d’une maladie contagieuse ? Le suivi informatique permet d’avertir tous les patients susceptibles d’avoir été contaminés. De même, si un garagiste trouve un boulon mal serré sur une voiture neuve, on peut remonter la chaîne de production, identifier l’origine du défaut et localiser tous les véhicules concernés. «La traçabilité, c’est comme les cailloux du Petit Poucet, on retrouve son chemin dans les deux sens : du fabricant au consommateur, et réciproquement», résume Alain Peretti, directeur d’une coopérative agricole, la Caps, à Sens, où les sacs de blé font l’objet d’un suivi draconien.

Mais ces procédures de surveillance ne servent pas qu’en cas de crise. Dans l’agro-alimentaire, elles constituent aussi un argument de vente : de plus en plus d’entreprises du secteur n’hésitent pas à parler, dans leur communication, de traçabilité. Elles rappellent que ce système permet de garantir l’origine d’un produit (viande française, par exemple) ou sa composition (absence d’OGM, les fameux organismes génétiquement modifiés). Objectif : rassurer les Français, de plus en plus exigeants sur la qualité de leur nourriture. Le groupe français Bourgoin, un des leaders européens de la volaille, a ainsi créé, début septembre, une filière 100% naturelle pour les poulets de la marque Duc : le soja servi aux animaux est certifié sans OGM. Pour cela, un «tracking» (suivi) a été mis en place tout au long de la chaîne alimentaire, depuis les champs de soja jusqu’aux barquettes de blanc de poulet. Les premiers résultats de ces expériences sont plutôt encourageants. «Depuis l’installation de la borne interactive dans cet hypermarché, les ventes de viande y sont en constante augmentation», affirme Eric Leroux, responsable du département «boucheries» chez Continent.

Le grand public commence à peine à se familiariser avec la notion de traçabilité. Mais, pour les industriels, il s’agit d’une vieille technique. Ils l’ont mis en pratique dès le milieu des années quatre-vingt. Non pour des motifs de sécurité, mais pour des raisons financières. A l’époque, il s’agissait simplement de s’assurer que les commandes des clients étaient transmises, sans erreur, à tous les échelons de l’entreprise : usine, logistique, etc. Puis, l’administration française s’y est intéressée aux début des années quatre-vingt dix. Pour faciliter les rappels de produits défectueux, elle a imposé, en 1991, la traçabilité «par lots» (on sait retrouver un lot de produits) pour les denrées alimentaires, les médicaments et les cosmétiques. Mais, depuis, plusieurs entreprises ont perfectionné le système et appliquent une traçabilité «individuelle» (elles peuvent localiser les produits un par un).

Dans l’agro-alimentaire et la pharmacie, mais aussi le jouet ou l’électroménager, la plupart des industriels se contente d’une traçabilité par lots : ils affectent le même numéro à tous les articles fabriqués le même jour dans la même usine. Exemple concret, dans l’alimentaire, chez Lactalis, à Saint-Maclou (Normandie). Dans cette usine du groupe Besnier, où est fabriqué le camembert Le Petit, le lait est fourni par 400 exploitants. Il est regroupé dans trois cuves, en fonction des tournées de ramassage. Chacune de ces citernes ne sert à fabriquer qu’une seule série de fromages. «Nous imprimons sur les emballages le numéro du réservoir utilisé et la date de fabrication», précise Jacques Frankinet, directeur de la qualité. Cette information est reportée sur les palettes livrées aux grossistes ou aux centrales d’achat.

Sur le papier, ce système, peu onéreux, est fiable. Si un producteur livre du lait impropre à la consommation (trace de dioxine par exemple), Jacques Frankinet identifie le camion qui est passé dans cette exploitation, puis la cuve contaminée et, à partir de là, tous les fromages impropres à la consommation. Mais la procédure de retrait devient vite un vrai casse-tête. Pour seulement 1 000 litres de lait suspects (et mélangés, dans la citerne à 40 autres livraisons), il faut détruire 25 000 fromages. Coût de l’opération : plus de 2 millions de francs… Il y a pire. Cet été, Coca-Cola a dû retirer de la vente, en Belgique, en France et au Luxembourg, des millions de canettes contaminées par du soufre ou du phénol. La facture aurait dépassé les 600 millions de francs !

Les procédures de tracking sont similaires dans l’industrie du jouet. Ainsi, chez Berchet, à Oyonnax, dans l’Ain, on se contente d’imprimer la date de fabrication sur les emballages. «Je sais quels composants ont été utilisés tel jour, assure Patrick Nappez, responsable qualité. Si, par exemple, je découvre un problème sur une fixation, je peux retrouver tous les lots de chevaux à bascules concernés.» Mais, là encore, par précaution il faut tout rapatrier en usine. Et, plus les lots sont importants, plus l’opération coûte cher. L’an dernier, Lego a déboursé plus de 50 millions de francs pour le retrait de 700 000 hochets dans toute l’Europe.

Pour tous les produits à très forte valeur (automobiles, avions…), les industriels ne peuvent pas procéder de façon aussi grossière. Les opérations de rappel deviendraient vite ruineuses. Les responsables de Citroën estiment ainsi que l’échange de réservoir auquel ils sont en train de procéder sur des Xantia fonctionnant au GPL, va leur coûter près de 6 millions de francs (lire l’encadré ci-dessous). «Pourtant, seuls 600 véhicules sont concernés», précise Bernard Troadec, directeur du département «après-vente» de Citroën. Pour prévenir tout dérapage, les entreprises peuvent alors opter pour une traçabilité totale, permettant de suivre individuellement chaque produit. Dans certaines filières, comme celle de la transfusion sanguine, où le moindre incident pourrait avoir d’effroyables conséquences sanitaires, ce suivi draconien est même imposé par la réglementation. Enfin, quelques industriels de l’agro-alimentaire, on l’a vu, s’y sont mis, mais pour des raisons marketing.

Deux éléments sont nécessaires pour obtenir un «tracking» parfait : un numéro d’identification (une «étiquette» en quelque sorte), infalsifiable, pour repérer chaque article ; puis, pour suivre ses déplacements, de puissants ordinateurs.

Première étape, donc, la mise au point d’un «identifiant». Dans certains secteurs, cela ne pose pas trop de problème. Ainsi, les constructeurs automobiles ont pris depuis longtemps l’habitude d’apposer un VIN («Vehicule identification number» ou numéro d’identification du véhicule) sur toutes leurs voitures. Ce matricule, gravé sur la plaque du véhicule, dans le compartiment moteur, et frappé à froid sur le châssis est difficilement effaçable (c’est ce numéro que l’on retrouve également sur les cartes grises françaises). Même principe dans l’aéronautique : «Sur un Airbus, plus d’un millier de pièces portent un numéro d’identification individuel», révèle Maurice Azéma, le Monsieur «qualité» du programme Airbus, chez Aerospatiale-Matra. En revanche, apposer un numéro sur un animal s’avère plus délicat. Lorsque la traçabilité des veaux est devenue obligatoire dans notre pays, il n’y avait aucun précédent. Au départ, en 1978, ce suivi répondait à un simple souci d’amélioration des races bovines. Depuis 1984, il permet également de vérifier que les éleveurs ne «gonflent» pas les effectifs de leurs troupeaux, dans l’espoir d’obtenir des subventions européennes plus importantes… Mais ce n’est qu’en 1996, avec la crise de la vache folle, que les experts lui ont trouvé une application sanitaire.

Le système d’identification retenu est particulièrement contraignant pour les agriculteurs. Dans les sept jours qui suivent la naissance d’un veau, l’éleveur doit poser une boucle en plastique, de couleur saumon, sur chaque oreille de l’animal. Seules deux sociétés, Chevillot, à Albi, et Reydet, près de Cluse, fabriquent ces pendeloques. Celles-ci ne sont remises qu’aux exploitations exemptes d’EBS (encéphalite bovine spongiforme) et respectant des consignes alimentaires strictes (pas de viandes animales…). Elles comportent un matricule à 10 chiffres, véritable numéro de sécurité social de la bête, fourni par l’administration. Ce matricule est reporté sur un document rose, infalsifiable, grâce aux filigranes qu’il comporte et à l’encre spéciale avec laquelle il est imprimé. Sur ce «passeport» va être enregistrée toute la vie de l’animal : sa date de naissance, les élevages qu’il a fréquentés, les maladies qu’il a développées, etc. Lorsqu’un veau arrive à l’abattoir, les vétérinaires vérifient que les numéros des boucles et du passeport coïncident. Si c’est bien le cas, l’animal est abattu et sa carcasse découpée.

Officiellement, ce système est très fiable. «Entre 1996 et 1998, nous n’avons constaté que 366 fraudes dans les abattoirs», indique-t-on à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), le gendarme de l’alimentaire. Problème : ce chiffre est trompeur. Car seulement 48 500 contrôles ont été effectués. Une peccadille comparée aux 6 millions de bovins qui sont abattus chaque année. Or, la tentation est parfois grande de tricher. «Une boucle, ça se coupe, ça se remplace…», souffle un spécialiste du secteur.

Pour prévenir ce genre d’«accidents», la Communauté européenne finance la mise au point de boucles électroniques, inviolables. Nom de code du projet : Idea (identification électronique des animaux). «Il s’agit d’une étiquette-radio, semblable à celles utilisées pour les télépéages d’autoroute, explique Jacques Delacroix, chef du service “identification” à l’Institut de l’élevage. On peut la lire à distance et donc l’implanter dans un endroit inaccessible.» Première application en France, où des chercheurs ont fait avaler à quelque 25 000 bovins des puces électroniques enrobées de céramique. Ces mini-émetteurs resteront dans leur estomac toute leur vie. Là, on ne peut ni les retirer, ni les modifier.

Dernière étape : le suivi informatique. Tant que les produits sont en atelier, ils sont pris en charge par les systèmes de GPAO (gestion de production assistée par ordinateur), installés dans les années quatre-vingt. Deux exemples concrets dans l’alimentaire : chez Soviba, troisième producteur de viande bovine en France, chaque abattoir dispose d’une centaine de PC et de scanners qui permettent d’enregistrer les déplacements des carcasses ; même principe à la Caps, la coopérative agricole de Sens, où les ouvriers disposent de 50 terminaux, reliés à un ordinateur central.

Mais, parfois, l’homme n’a même pas à intervenir. Dans l’industrie automobile, par exemple, tout devient automatique : chez Mercedes, des caméras lisent les code-barres apposés sur les cartons de pièces détachées livrés par les sous-traitants ; et des boîtiers électroniques, fixés sur les véhicules en cours de montage, enregistrent chaque intervention.

A la sortie, toutes ces informations sont basculées dans une immense base de données. Les abattoirs Soviba sont ainsi capables de dire comment ont été conditionnées et à quels grossistes ont été expédiées les carcasses des 20 000 bovins et 80 000 porcs qui sont tués chaque mois. Ces dossiers sont conservés pendant un an. Ce dispositif revient à moins de 15 centimes par barquette de viande. Autre exemple, dans l’automobile, cette fois : Citroën dispose pour chaque véhicule fabriqué d’une fiche informatique comportant son matricule, bien sûr, mais également les référence de ses 400 principaux composants (moteur, boîte de vitesse, freins, suspension…), ainsi que le nom du concessionnaire à qui il a été livré. «En cas de problème sur un lot de climatiseurs, par exemple, je peux immédiatement identifier les voitures touchées par ce défaut et avertir nos concessionnaires», explique Bernard Troadec, du service après-vente.

Beaucoup de progrès restent cependant à faire dans le domaine de la traçabilité. Par exemple, pour les OGM, les fameux organismes génétiquement modifiés : «Vous ne pouvez pas détecter les OGM dans les aliments cuits», révèle Rémi Alary, de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) (lire l’encadré ci-dessous). Enfin, dans certains cas, la traçabilité ne sert pas à grand chose. Ainsi, les autorités sanitaires belges avaient mis en place un tracking ultra-sophistiqué pour les cochons : Outre-Quiévrain chaque goret porte à l’oreille droite une pastille d’identification. Mais, dans le scandale du porc à la dioxine, qui défraye la chronique depuis cinq mois, ce dispositif n’a été d’aucune utilité. Et pour cause : «Tous nos porcs avaient mangé des graisses contenant de la dioxine», regrette Luc Laengelé, vétérinaire-directeur au ministère de l’Agriculture belge. 200 000 cochons ont dû être abattus. Quel gâchis !

Encadré OGM

Les OGM (organismes génétiquement modifiés) sont des végétaux, comme le maïs ou le soja dans lesquels on a incorporé, en laboratoire, le gène d’une autre plante, d’un animal ou d’un virus. Ils deviennent ainsi plus résistants aux parasites et maladies, ce qui augmente la productivité des exploitations agricoles. Prend-on un risque en consommant des OGM ou des aliments préparés à base d’OGM ? Selon certains experts, ces organismes transgénique sont totalement inoffensifs. Pour d’autres, au contraire, le gène modifié pourrait être transmis à l’homme pendant la digestion.

En raison de cette incertitude, les consommateurs veulent être avertis de la présence éventuelle d’OGM dans la nourriture qu’ils achètent. Un règlement européen prévoit bien l’étiquetage de tous les produits contenant du maïs ou du soja transgénique. Mais les  directives d’application se font toujours attendre.

De toute façon, il faudra croire sur paroles les industriels qui présenteront leurs produits comme étant «naturels» ou «biologiques». S’il est très facile de repérer les aliments de bases  (maïs…) génétiquement modifiés, cela devient très difficile dans les préparations culinaires. «Souvent le processus industriel détruit le code génétique des OGM, ce qui empêche tout contrôle», explique Rémi Alary, de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Dans les autres cas, la technique PCR (Polymerase chain reaction) permet de détecter la présence de transgènes. Coût : 1 500 francs.

Encadré Voiture

Dimanche 31 janvier 1999, à Vénissieux, près de Lyon : trois mineurs mettent le feu à une voiture roulant au GPL (gaz de pétrole liquéfié). Arrivés sur les lieux quelques minutes plus tard, les pompiers tentent d’éteindre l’incendie. Le réservoir explose, blessant grièvement un des soldats du feu. Depuis la réglementation sur les réservoirs de GPL a été modifiée par l’administration française. Alors que cela leur était interdit auparavant, les constructeurs automobiles peuvent désormais installer des bouchons de sécurité, qui libèrent le gaz en cas de suppression.

La direction de Citroën a décidé de modifier 600 Xantia «GPL» déjà en circulation. La base de données de l’entreprise a permis d’identifier les concessionnaires qui avaient vendu ce modèle. Ces derniers ont envoyé en mai 1999 une lettre aux conducteurs, les invitant à passer au garage à partir du mois de septembre. Au cas, où ils avaient déjà revendu leur véhicule, ils leur étaient demandés de bien vouloir indiquer le nom du nouveau propriétaire. Si nécessaire, Citroën pourra consulter le fichier des cartes grises. Au total, l’opération devrait s’étaler sur un an et coûter près de 6 millions de francs.

Consoles de jeux vidéo : comment les Japonais s'affrontent

Visite à Tokyo et Kyoto chez les trois seigneurs des jeux vidéo : Nintendo, Sega et Sony.

Une première courbette lorsqu’un visiteur s’empare de la manette de jeu, un deuxième salut lorsqu’il repart, un coup de chiffon sur la télécommande, puis recourbette devant un nouveau joueur, etc. Ce cérémonial, les hôtesses qui travaillaient sur le Tokyo Game Show l’ont répété inlassablement : plus de 150 000 jeunes Japonais ont fréquenté, les 18 et 19 septembre derniers, cette gigantesque foire consacrée aux jeux vidéo, qui se tient deux fois par an près de la capitale nippone. L’occasion rêvée pour 74 fabricants de consoles et éditeurs de CD-Rom, venus du monde entier, de présenter leurs nouveautés. Parmi les révélations les plus attendues : la nouvelle console de Sony, la Playstation 2. Sur le stand de la marque, les «core gamers» (mordus de jeux vidéo) devaient attendre une demi-heure avant de pouvoir essayer un des dix prototypes exposés. Pour les impatients, une vidéo, diffusée sur écran géant, détaillait les multiples avantages de cette machine, qui permet, entre autres, de visionner un film DVD. Un peu plus loin, des centaines de spectateurs se pressaient devant le podium Sega, où un «Monsieur Loyal», encadré par quatre danseuses en mini-jupes noires, vantait les qualités de la dernière console-maison, la Dreamcast. Seul Nintendo n’était pas présent sur le salon. Mais il y avait dépêché ses «mouchards», chargés de repérer les innovations qui pourront être incorporées dans la Dolphin, son prochain terminal de jeux.

Cette opération d’espionnage ne constitue qu’un épisode mineur de la guerre qui se prépare. Nintendo, Sega et Sony, les trois sumos qui, depuis quinze ans, se disputent le marché mondial des consoles, sont, de nouveau, sur le point de s’empoigner. A eux trois, ils contrôlent 100% de ce secteur, estimé à 30 milliards de francs par an. Mais avec leurs nouvelles machines, révolutionnaires, ils veulent relancer l’engouement pour les jeux vidéo, qui comptent déjà trois cents millions d’adeptes, à travers le monde. «Ce chiffre va doubler au cours des quatre prochaines années», assure Shoichiro Irimajiri, le patron de Sega, interrogé, quelques jours plus tard, au siège de l’entreprise, un immeuble bleu et blanc, au sud-ouest de Tokyo. Dans cette bataille, l’homme joue tout simplement l’avenir de son groupe. La Dreamcast constitue en effet la dernière chance de Sega de revenir sur le segment des consoles, dont il est quasiment sorti, après un lancement raté en 1995.

Ses deux concurrents, eux, espèrent simplement profiter de ce renouveau pour améliorer leur score de ventes. Et pour terrasser l’ennemi commun, le PC, devenu, au fil des ans, trop gourmand. En France, par exemple, 35% des foyers possèdent une console et 24% ont acquis un micro-ordinateur. Or, les jeux vidéo constituent la principale motivation des familles qui achètent un PC : près d’un tiers des jeux se vendent désormais sous forme de CD-Rom pour ordinateurs. Certes, les consoles, équipées de manettes, restent plus faciles à utiliser. Mais, moins puissantes, elles offrent des images de médiocre qualité. Cet handicap va disparaître. Les trois industriels ont investi des milliards pour mettre au point une nouvelle génération de consoles, beaucoup plus puissantes, car doté de microprocesseurs ultra-rapides. Résultat : sur la Playstation 2 et la Dreamcast, les images sont d’une incroyable netteté, comme le prouvaient les jeux présentés au Tokyo Game Show. Les mouvements de Sonic, célèbre hérisson bleu et mascotte de Sega, deviennent extraordinairement fluides sur la Dreamcast. Même amélioration pour la version Playstation 2 de Gran Turismo, une course de voitures très populaire (la première édition s’est vendue à plus de 7 millions d’exemplaires). «Les effets de lumière sont extras, on se croirait dans un film», s’extasiait Yuu-ta, un gamin de 9 ans, venu avec sa sœur et un copain.

Seconde innovation majeure de la Playstation 2 et la Dreamcast : elles se connectent à Internet. Ce qui permet, grâce aux réseaux des réseaux, d’affronter des joueurs situés à l’autre bout de la planète. Mais aussi de se servir de sa console et de sa télé pour surfer sur le Web. Les dirigeants de Nintendo, eux, hésitent encore à jouer la carte de la connectivité. «Nous voulons d’abord nous assurer que les jeux en ligne sont rentables, explique Yasuhiro Minagawa, du département marketing. Pour l’instant, personne ne gagne d’argent dans ce métier.»

Comme toujours, les constructeurs qui imposeront leurs équipements domineront aussi le marché des logiciels. Les consoles sont en effet incompatibles. Chacune utilise des disques différents : GDD (Giga drive disk) pour la Dreamcast, DVD (Digital versatile disk) avec un système anti-piratage Sony pour la Playstation 2 et DVD pour la Dolphin, également, mais, cette fois, au format Matsushita. L’utilisateur qui, par exemple, choisira la Dreamcast sera donc obligé d’acheter des jeux au standard Sega. C’est le principe de la clientèle captive.

De plus, les trois firmes sont les seules à pouvoir fabriquer ces disques. Tout éditeur de jeu qui souhaite utiliser un des ces formats doit donc faire presser ses disques par Nintendo ou Sony. Les fabricants de console en profitent pour prélever, au passage, d’énormes royalties. «C’est ce qui leur rapporte le plus, explique Mitsuko Morita, analyste chez Morgan Stanley Japan. Ils ne gagnent presque rien sur le hardware.»

En cela, le secteur du jeu vidéo s’apparente à un marché «rasoirs et lames». L’équipement de base (la console) est proposé à prix coûtant, mais les «consommables» (les jeux) sont vendus au prix fort : malgré la redevance versée aux constructeurs, la marge nette dépasse souvent les 20%. Du coup, non contents de racketter les autres éditeurs, Nintendo, Sega et Sony se sont également lancés dans le business, très rentable, des logiciels de jeux. Chaque belligérant possède ses propres studios de création. Gran Turismo, par exemple, est édité par Polyphony Digital, une filiale de Sony.

Comme pour toute nouvelle idée de CD-Rom, cette course de voiture a d’abord été discrètement testée dans les «GéSen», des salles de jeux très populaires au Japon. A Shinjuku, le quartier branché de Tokyo, chaque rue comporte au moins un GéSen, où on peut s’éclater sur des simulateurs de vol ou de tir. Parmi les derniers succès, «Brave firefighters» (Courageux pompiers), conçu par Sega et où il faut sauver les habitants d’une maison en feu.

Cet engouement pour les jeux électroniques explique d’ailleurs la percée des industriels japonais dans ce secteur. Lorsque les premiers jeux Pong  furent importés des Etats-Unis, au milieu des années 70, ils connurent ici un succès foudroyant. A partir de là, se développa une forte culture multimédia. Et si c’est une firme américaine, Atari, qui, en 1974, inventa la console, ce sont deux entreprises japonaises qui en ont fait un best-seller planétaire : Nintendo, un fabricant de cartes à jouer reconverti dans l’électronique, et Sega, une firme créée à l’origine par un ex-GI américain. Depuis le milieu des années 80, ces deux-là n’ont cessé de s’affronter, à coups d’innovations technologiques. Nintendo, l’a d’abord emporté d’une courte tête, grâce à sa Nes, plus performante. Nouveau conflit mondial en 1991, avec la deuxième génération de machines. Avantage, cette fois, à Sega qui avait dégainé le premier, avec sa Megadrive. Le troisième round, à partir de 1994, vit l’entrée en scène de Sony. Le marketing devint le nerf de la guerre. A grand renfort de publicité, l’inventeur du Walkman infligea une raclée à Nintendo et envoya Sega au tapis. En cinq ans, la Playstation 1 s’est vendue à près de 60 millions d’exemplaires, contre moins de 40 millions pour la Nintendo 64 et quelques centaines de milliers seulement pour la Saturn.

La quatrième manche commence à peine. Cette fois, Sega pourrait bien être définitivement écrasée par les rouleaux compresseurs Sony et Nintendo. L’entreprise est exsangue : sur les deux dernières années, son chiffre d’affaires a fondu de 38%, pour tomber à 15,7 milliards de francs, tandis que ses pertes s’élevaient, au total, à 4,6 milliards. En fait, après l’échec de sa console Saturn, en 1995, la firme n’a survécu que grâce à ses autres activités, les jeux d’arcades et les parcs de loisirs. Ses deux adversaires, eux, roulent sur l’or. L’ogre Sony (403 milliards de francs de chiffre d’affaires) aligne 11 milliards de bénéfices annuels et 35 milliards de liquidité. L’activité jeu ne représente que 11% de ses ventes, mais elle est stratégique pour le groupe, puisqu’elle rapporte 41% de ses bénéfices. La palme de la rentabilité revient cependant à Nintendo, avec 4,5 milliards de bénéfices pour 15,7 milliards de ventes (uniquement dans les jeux), soit une marge nette de 28%. De plus, la firme possède un impressionnant matelas de cash : 38 milliards de francs ! «Nous sommes une des entreprises japonaises les mieux gérées», sourit Shigeru Miyamoto, directeur du développement des jeux. Une des plus pingres, pourrait-il ajouter : à Kyoto, l’ex-ville impériale située à 400 kilomètres à l’ouest de Tokyo, les 1 000 employés de la multinationale Nintendo sont logés dans des petits bâtiments, coincés le long d’une voie de chemin de fer, à la périphérie de la ville.

Heureusement, Sega va avoir le champ libre pendant quelques mois. Sortie à Tokyo en novembre 1998, la Dreamcast a été lancée aux Etats-Unis en septembre dernier, puis, un mois plus tard, en Europe. La Playstation 2 devrait être disponible au Japon dès mars prochain, mais Américains et Européens devront patienter jusqu’à l’automne suivant. Quant à la Dolphin, elle ne commencera sa carrière commerciale qu’à Noël 2000.

Conscients que la Dreamcast constitue leur planche de salut, les dirigeants de Sega ont soigneusement préparé sa sortie. Tout le contraire du lancement précédent, celui de la Saturn, opéré dans la précipitation. «A l’époque, nous avions pêché par excès de confiance, reconnaît un dirigeant du groupe. Nous n’avions même pas fait d’étude préalable.» Pour la Dreamcast, au contraire, tout a été soigneusement testé. «Nous avons demandé à un panel d’informaticiens, distributeurs et joueurs d’imaginer la console du futur, raconte Shoichiro Irimajiri, le P-DG. Sur leurs suggestions nous avons élaboré le concept, très simple, d’une machine puissante et capable de se connecter à Internet.» Puis, pendant un an, des spécialistes ont planché sur le nom. Après les appellations (Megadrive et Saturn) trop «froides» des deux derniers terminaux, un patronyme un peu plus «fun» a été retenu : Dreamcast.

Sega a également mis le paquet sur la promotion. Le budget de lancement s’élève à 1,8 milliard de francs, réparti à égalité entre le Japon, les Etats-Unis et l’Europe. A chaque fois, des opérations très ponctuelles ont été menées : sponsoring des Music Awards sur la chaîne de télé américaine MTV ; diffusion, en Europe, de spots publicitaires au cinéma, juste avant le film «Star Wars, la Menace fantôme». Objectif ? Toucher des publics variés. «Et, ainsi, positionner la Dreamcast comme la console de tout le monde», explique Jean-François Cécillon, directeur Europe.

Pour l’instant, la machine n’a remporté qu’un demi-succès au Japon : 1,3 million d’unités écoulées depuis novembre dernier. «Nous espérions faire mieux», reconnaît-on chez Sega. En revanche, elle a réussi sa percée aux Etats-Unis, avec 370 000 terminaux vendus en seulement quatre jours. Malheureusement, le tremblement de terre survenu à Taiwan mi-septembre risque de casser cet élan. «Beaucoup de nos composants sont fabriqués là-bas, s’inquiète Shoishiro Irimajiri. Si nos fournisseurs accumulent trop de retard, nous ne pourrons pas faire face à la demande.»

Voilà qui arrangerait bien Sony Computer Entertainment, la filiale «jeux vidéo» du groupe nippon. Au siège de l’entreprise, un immeuble ultra-moderne du cœur de Tokyo, on affiche en effet de très hautes ambitions pour la Playstation 2. «Notre objectif, au Japon, est d’en vendre 1 million dans les deux premiers jours du lancement, au prix unitaire de 39 800 yens (2 400 francs)», lance Akira Sato, directeur général de la filiale. Intox ? Pas sûr, car si les responsables de Sony veulent rapidement recouvrer leurs mises, ils devront écouler 4 millions de consoles. Les seuls coûts de développement dépassent les 6 milliards de francs !

Un pari d’autant plus osé, qu’aucune pré-étude n’a été faite. «Il n’y a pas eu de test marketing, avoue Mark Kato, le numéro 3 de Sony Computer Entertainment, en charge de l’international. Nos ingénieurs ont soumis l’idée d’une machine qui serve également de lecteur de DVD et de terminal Internet. Après, nous avons regardé ce qu’il était techniquement possible de faire. C’est tout.» Les dirigeants de Sony, à leur tour, auraient-ils pêché par orgueil ?

En tout cas, tous les spécialistes du marketing s’interrogent sur le positionnement de la Playstation 2. Elle est en effet présentée comme une console de jeu et un lecteur de DVD bon marché. Mais, dans ce cas, Sony va devoir affronter, en plus de la concurrence de Nintendo et de Sega, celle des Philips, Samsung et autres fabricants de lecteurs. Ce qui fait beaucoup de monde. A Kyoto, près de la voie ferrée, on se prépare à compter les morts.

Jacques Henno

Consoles de jeux vidéo : comment les Japonais s’affrontent

Visite à Tokyo et Kyoto chez les trois seigneurs des jeux vidéo : Nintendo, Sega et Sony.

Une première courbette lorsqu’un visiteur s’empare de la manette de jeu, un deuxième salut lorsqu’il repart, un coup de chiffon sur la télécommande, puis recourbette devant un nouveau joueur, etc. Ce cérémonial, les hôtesses qui travaillaient sur le Tokyo Game Show l’ont répété inlassablement : plus de 150 000 jeunes Japonais ont fréquenté, les 18 et 19 septembre derniers, cette gigantesque foire consacrée aux jeux vidéo, qui se tient deux fois par an près de la capitale nippone. L’occasion rêvée pour 74 fabricants de consoles et éditeurs de CD-Rom, venus du monde entier, de présenter leurs nouveautés. Parmi les révélations les plus attendues : la nouvelle console de Sony, la Playstation 2. Sur le stand de la marque, les «core gamers» (mordus de jeux vidéo) devaient attendre une demi-heure avant de pouvoir essayer un des dix prototypes exposés. Pour les impatients, une vidéo, diffusée sur écran géant, détaillait les multiples avantages de cette machine, qui permet, entre autres, de visionner un film DVD. Un peu plus loin, des centaines de spectateurs se pressaient devant le podium Sega, où un «Monsieur Loyal», encadré par quatre danseuses en mini-jupes noires, vantait les qualités de la dernière console-maison, la Dreamcast. Seul Nintendo n’était pas présent sur le salon. Mais il y avait dépêché ses «mouchards», chargés de repérer les innovations qui pourront être incorporées dans la Dolphin, son prochain terminal de jeux.

Cette opération d’espionnage ne constitue qu’un épisode mineur de la guerre qui se prépare. Nintendo, Sega et Sony, les trois sumos qui, depuis quinze ans, se disputent le marché mondial des consoles, sont, de nouveau, sur le point de s’empoigner. A eux trois, ils contrôlent 100% de ce secteur, estimé à 30 milliards de francs par an. Mais avec leurs nouvelles machines, révolutionnaires, ils veulent relancer l’engouement pour les jeux vidéo, qui comptent déjà trois cents millions d’adeptes, à travers le monde. «Ce chiffre va doubler au cours des quatre prochaines années», assure Shoichiro Irimajiri, le patron de Sega, interrogé, quelques jours plus tard, au siège de l’entreprise, un immeuble bleu et blanc, au sud-ouest de Tokyo. Dans cette bataille, l’homme joue tout simplement l’avenir de son groupe. La Dreamcast constitue en effet la dernière chance de Sega de revenir sur le segment des consoles, dont il est quasiment sorti, après un lancement raté en 1995.

Ses deux concurrents, eux, espèrent simplement profiter de ce renouveau pour améliorer leur score de ventes. Et pour terrasser l’ennemi commun, le PC, devenu, au fil des ans, trop gourmand. En France, par exemple, 35% des foyers possèdent une console et 24% ont acquis un micro-ordinateur. Or, les jeux vidéo constituent la principale motivation des familles qui achètent un PC : près d’un tiers des jeux se vendent désormais sous forme de CD-Rom pour ordinateurs. Certes, les consoles, équipées de manettes, restent plus faciles à utiliser. Mais, moins puissantes, elles offrent des images de médiocre qualité. Cet handicap va disparaître. Les trois industriels ont investi des milliards pour mettre au point une nouvelle génération de consoles, beaucoup plus puissantes, car doté de microprocesseurs ultra-rapides. Résultat : sur la Playstation 2 et la Dreamcast, les images sont d’une incroyable netteté, comme le prouvaient les jeux présentés au Tokyo Game Show. Les mouvements de Sonic, célèbre hérisson bleu et mascotte de Sega, deviennent extraordinairement fluides sur la Dreamcast. Même amélioration pour la version Playstation 2 de Gran Turismo, une course de voitures très populaire (la première édition s’est vendue à plus de 7 millions d’exemplaires). «Les effets de lumière sont extras, on se croirait dans un film», s’extasiait Yuu-ta, un gamin de 9 ans, venu avec sa sœur et un copain.

Seconde innovation majeure de la Playstation 2 et la Dreamcast : elles se connectent à Internet. Ce qui permet, grâce aux réseaux des réseaux, d’affronter des joueurs situés à l’autre bout de la planète. Mais aussi de se servir de sa console et de sa télé pour surfer sur le Web. Les dirigeants de Nintendo, eux, hésitent encore à jouer la carte de la connectivité. «Nous voulons d’abord nous assurer que les jeux en ligne sont rentables, explique Yasuhiro Minagawa, du département marketing. Pour l’instant, personne ne gagne d’argent dans ce métier.»

Comme toujours, les constructeurs qui imposeront leurs équipements domineront aussi le marché des logiciels. Les consoles sont en effet incompatibles. Chacune utilise des disques différents : GDD (Giga drive disk) pour la Dreamcast, DVD (Digital versatile disk) avec un système anti-piratage Sony pour la Playstation 2 et DVD pour la Dolphin, également, mais, cette fois, au format Matsushita. L’utilisateur qui, par exemple, choisira la Dreamcast sera donc obligé d’acheter des jeux au standard Sega. C’est le principe de la clientèle captive.

De plus, les trois firmes sont les seules à pouvoir fabriquer ces disques. Tout éditeur de jeu qui souhaite utiliser un des ces formats doit donc faire presser ses disques par Nintendo ou Sony. Les fabricants de console en profitent pour prélever, au passage, d’énormes royalties. «C’est ce qui leur rapporte le plus, explique Mitsuko Morita, analyste chez Morgan Stanley Japan. Ils ne gagnent presque rien sur le hardware.»

En cela, le secteur du jeu vidéo s’apparente à un marché «rasoirs et lames». L’équipement de base (la console) est proposé à prix coûtant, mais les «consommables» (les jeux) sont vendus au prix fort : malgré la redevance versée aux constructeurs, la marge nette dépasse souvent les 20%. Du coup, non contents de racketter les autres éditeurs, Nintendo, Sega et Sony se sont également lancés dans le business, très rentable, des logiciels de jeux. Chaque belligérant possède ses propres studios de création. Gran Turismo, par exemple, est édité par Polyphony Digital, une filiale de Sony.

Comme pour toute nouvelle idée de CD-Rom, cette course de voiture a d’abord été discrètement testée dans les «GéSen», des salles de jeux très populaires au Japon. A Shinjuku, le quartier branché de Tokyo, chaque rue comporte au moins un GéSen, où on peut s’éclater sur des simulateurs de vol ou de tir. Parmi les derniers succès, «Brave firefighters» (Courageux pompiers), conçu par Sega et où il faut sauver les habitants d’une maison en feu.

Cet engouement pour les jeux électroniques explique d’ailleurs la percée des industriels japonais dans ce secteur. Lorsque les premiers jeux Pong  furent importés des Etats-Unis, au milieu des années 70, ils connurent ici un succès foudroyant. A partir de là, se développa une forte culture multimédia. Et si c’est une firme américaine, Atari, qui, en 1974, inventa la console, ce sont deux entreprises japonaises qui en ont fait un best-seller planétaire : Nintendo, un fabricant de cartes à jouer reconverti dans l’électronique, et Sega, une firme créée à l’origine par un ex-GI américain. Depuis le milieu des années 80, ces deux-là n’ont cessé de s’affronter, à coups d’innovations technologiques. Nintendo, l’a d’abord emporté d’une courte tête, grâce à sa Nes, plus performante. Nouveau conflit mondial en 1991, avec la deuxième génération de machines. Avantage, cette fois, à Sega qui avait dégainé le premier, avec sa Megadrive. Le troisième round, à partir de 1994, vit l’entrée en scène de Sony. Le marketing devint le nerf de la guerre. A grand renfort de publicité, l’inventeur du Walkman infligea une raclée à Nintendo et envoya Sega au tapis. En cinq ans, la Playstation 1 s’est vendue à près de 60 millions d’exemplaires, contre moins de 40 millions pour la Nintendo 64 et quelques centaines de milliers seulement pour la Saturn.

La quatrième manche commence à peine. Cette fois, Sega pourrait bien être définitivement écrasée par les rouleaux compresseurs Sony et Nintendo. L’entreprise est exsangue : sur les deux dernières années, son chiffre d’affaires a fondu de 38%, pour tomber à 15,7 milliards de francs, tandis que ses pertes s’élevaient, au total, à 4,6 milliards. En fait, après l’échec de sa console Saturn, en 1995, la firme n’a survécu que grâce à ses autres activités, les jeux d’arcades et les parcs de loisirs. Ses deux adversaires, eux, roulent sur l’or. L’ogre Sony (403 milliards de francs de chiffre d’affaires) aligne 11 milliards de bénéfices annuels et 35 milliards de liquidité. L’activité jeu ne représente que 11% de ses ventes, mais elle est stratégique pour le groupe, puisqu’elle rapporte 41% de ses bénéfices. La palme de la rentabilité revient cependant à Nintendo, avec 4,5 milliards de bénéfices pour 15,7 milliards de ventes (uniquement dans les jeux), soit une marge nette de 28%. De plus, la firme possède un impressionnant matelas de cash : 38 milliards de francs ! «Nous sommes une des entreprises japonaises les mieux gérées», sourit Shigeru Miyamoto, directeur du développement des jeux. Une des plus pingres, pourrait-il ajouter : à Kyoto, l’ex-ville impériale située à 400 kilomètres à l’ouest de Tokyo, les 1 000 employés de la multinationale Nintendo sont logés dans des petits bâtiments, coincés le long d’une voie de chemin de fer, à la périphérie de la ville.

Heureusement, Sega va avoir le champ libre pendant quelques mois. Sortie à Tokyo en novembre 1998, la Dreamcast a été lancée aux Etats-Unis en septembre dernier, puis, un mois plus tard, en Europe. La Playstation 2 devrait être disponible au Japon dès mars prochain, mais Américains et Européens devront patienter jusqu’à l’automne suivant. Quant à la Dolphin, elle ne commencera sa carrière commerciale qu’à Noël 2000.

Conscients que la Dreamcast constitue leur planche de salut, les dirigeants de Sega ont soigneusement préparé sa sortie. Tout le contraire du lancement précédent, celui de la Saturn, opéré dans la précipitation. «A l’époque, nous avions pêché par excès de confiance, reconnaît un dirigeant du groupe. Nous n’avions même pas fait d’étude préalable.» Pour la Dreamcast, au contraire, tout a été soigneusement testé. «Nous avons demandé à un panel d’informaticiens, distributeurs et joueurs d’imaginer la console du futur, raconte Shoichiro Irimajiri, le P-DG. Sur leurs suggestions nous avons élaboré le concept, très simple, d’une machine puissante et capable de se connecter à Internet.» Puis, pendant un an, des spécialistes ont planché sur le nom. Après les appellations (Megadrive et Saturn) trop «froides» des deux derniers terminaux, un patronyme un peu plus «fun» a été retenu : Dreamcast.

Sega a également mis le paquet sur la promotion. Le budget de lancement s’élève à 1,8 milliard de francs, réparti à égalité entre le Japon, les Etats-Unis et l’Europe. A chaque fois, des opérations très ponctuelles ont été menées : sponsoring des Music Awards sur la chaîne de télé américaine MTV ; diffusion, en Europe, de spots publicitaires au cinéma, juste avant le film «Star Wars, la Menace fantôme». Objectif ? Toucher des publics variés. «Et, ainsi, positionner la Dreamcast comme la console de tout le monde», explique Jean-François Cécillon, directeur Europe.

Pour l’instant, la machine n’a remporté qu’un demi-succès au Japon : 1,3 million d’unités écoulées depuis novembre dernier. «Nous espérions faire mieux», reconnaît-on chez Sega. En revanche, elle a réussi sa percée aux Etats-Unis, avec 370 000 terminaux vendus en seulement quatre jours. Malheureusement, le tremblement de terre survenu à Taiwan mi-septembre risque de casser cet élan. «Beaucoup de nos composants sont fabriqués là-bas, s’inquiète Shoishiro Irimajiri. Si nos fournisseurs accumulent trop de retard, nous ne pourrons pas faire face à la demande.»

Voilà qui arrangerait bien Sony Computer Entertainment, la filiale «jeux vidéo» du groupe nippon. Au siège de l’entreprise, un immeuble ultra-moderne du cœur de Tokyo, on affiche en effet de très hautes ambitions pour la Playstation 2. «Notre objectif, au Japon, est d’en vendre 1 million dans les deux premiers jours du lancement, au prix unitaire de 39 800 yens (2 400 francs)», lance Akira Sato, directeur général de la filiale. Intox ? Pas sûr, car si les responsables de Sony veulent rapidement recouvrer leurs mises, ils devront écouler 4 millions de consoles. Les seuls coûts de développement dépassent les 6 milliards de francs !

Un pari d’autant plus osé, qu’aucune pré-étude n’a été faite. «Il n’y a pas eu de test marketing, avoue Mark Kato, le numéro 3 de Sony Computer Entertainment, en charge de l’international. Nos ingénieurs ont soumis l’idée d’une machine qui serve également de lecteur de DVD et de terminal Internet. Après, nous avons regardé ce qu’il était techniquement possible de faire. C’est tout.» Les dirigeants de Sony, à leur tour, auraient-ils pêché par orgueil ?

En tout cas, tous les spécialistes du marketing s’interrogent sur le positionnement de la Playstation 2. Elle est en effet présentée comme une console de jeu et un lecteur de DVD bon marché. Mais, dans ce cas, Sony va devoir affronter, en plus de la concurrence de Nintendo et de Sega, celle des Philips, Samsung et autres fabricants de lecteurs. Ce qui fait beaucoup de monde. A Kyoto, près de la voie ferrée, on se prépare à compter les morts.

Jacques Henno

Le papier électronique bientôt dans nos entreprises

Sur ce matériau révolutionnaire ultra-fin, on peut afficher n’importe quel texte ou image vidéo.

Voilà quelques semaines, les clients de JC Penney, une chaîne de grands magasins américains, ont découvert, suspendues au plafond de quelques points de vente, d’immenses affiches magiques. Sur ces panneaux de 2 mètres sur 1,3, ils voient défiler des images, du texte ou de la vidéo (portraits de sportifs, publicités pour une marque, etc.). Explication : ces affiches sont réalisées dans un matériau révolutionnaire, appelé «papier électronique» et mis au point par E-Ink, une start-up de la côte est des Etats-Unis.
A priori, cette feuille bleue de 3 millimètres d’épaisseur n’est qu’un vulgaire bout de plastique. Mais, en fait, elle est composée de millions de microcapsules, noires d’un côté, blanches de l’autre. Chacune de ces billes est reliée à un minuscule fil électrique, qui permet de la faire pivoter selon l’impulsion envoyée. Ajoutez à cela des filtres colorés très fins qui recouvrent toute la feuille, et vous obtenez un support qui peut reproduire à l’infini n’importe quel élément visuel, en noir et blanc ou en bichromie. Autre avantage : très souple, ce papier peut s’installer n’importe où, même sur un support irrégulier.
«Dans un premier temps, nous visons le marché des affiches et autres panneaux d’information utilisés dans les entreprises, prévient Jim Iuliano, le président d’E-Ink. Mais, d’ici trois à cinq ans, nous espérons attaquer les secteurs de la presse et de l’édition.» Lorsqu’il sera suffisamment miniaturisé, le papier électronique permettra en effet aux particuliers de ne plus posséder qu’un seul livre, réalisé dans ce matériau. Ils pourront successivement «imprimer»  ou plutôt télécharger à partir d’un site Internet  le dernier livre de Tom Wolfe, «Le Grand Meaulnes» ou un polar en vogue. Même chose pour les journaux et les magazines qui n’auront plus besoin d’être imprimés, mais qu’on transférera sur cette ardoise magique
Pour autant, fabricants de papier et imprimeurs ont encore un bel avenir devant eux. Car, au stade actuel, le papier électronique reste très coûteux (E-Ink ne dévoile aucun chiffre à ce sujet). Et, surtout, pour l’instant, il n’est pas possible d’écrire à la main sur ce support. Tant pis pour ceux qui annotent les documents qu’ils lisent
Jacques Henno

(article paru dans le mensuel Capital, numéro d’août 1999)

High-tech : les Etats-Unis ont une révolution d’avance sur le reste du monde

Micro-ordinateurs, logiciels, Internet, agendas électroniques… Toutes ces découvertes ont vu le jour outre-Atlantique. Aujourd’hui, ce sont elles qui tirent l’économie du pays et créent des emplois.

Palo Alto, une petite ville situé à 30 kilomètres au sud de San Francisco, en pleine Silicon Valley. En ce dimanche après-midi, le parking de Fry’s, un grand magasin d’informatique, est plein à craquer. Mordus de high-tech et badauds sont venus découvrir les derniers gadgets électroniques : dictaphone Dragon, qui convertit automatiquement un message oral en texte, agenda électronique Rex, de la taille d’une carte de crédit, mini-antenne GPS et logiciel Door-to-Door Co-Pilot, pour transformer les ordinateurs portables en navigateurs routiers… Rares sont les clients qui ne repartent pas avec un ou deux de ces appareils, «made in USA».

Le moteur de la croissance américa[1]ine, c’est eux. Californiens, Texans ou New-yorkais, passionnés par la «high-tech», sont tous suréquipés en micro-ordinateurs et autres CD-Rom. Outre-Atlantique, les achats de matériels informatiques représentent 30% des investissements des entreprises et des ménages, contre seulement 8% en France. Du coup, les usines d’Intel (micro-processeurs) ou de Dell (PC vendus par correspondance) tournent 24 heures sur 24. «Aujourd’hui, la high-tech américaine réalise 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 20% du PIB des Etats-Unis», estime Kay Howell, directrice du NCO (National coordination office), l’agence fédérale qui coordonne la recherche en informatique. Et le secteur embauche à tour de bras, créant 30% des nouveaux emplois du payæs.

Ted Hoff peut-être fier de lui. Sans cet ingénieur américain, aujourd’hui âgé de 70 ans, rien de cela ne serait jamais arrivé. C’est lui, en effet, qui en 1971, a mis au point le premier Ômicroprocesseur. Depuis, l’Amérique n’a cessé de dominer le secteur de la high-tech. Deux exemples : le premier ordinateur personnel a vu le jour à Palo Alto, au Xerox Parc (lire page XXX) et le premier «browser» (navigateur sur Internet) ‚a été mis au point par un étudiant de l’Illinois. Aujourd’hui, les Etats-Unis gardent une avance considérable dans tous les domaines, logiciels, ordinateurs, réseaux, annuaires de recherche sur Internet… Mais cela ne les empêche pas d’investir massivement dans la recherche. Déjà, les universitaires américains préparent la nouvelle génération d’Internet. Elle permettra le développement d’applications spectaculaires, comme la reconnaissance tactile à distance (lire ci-contre). La croissance américaine n’est pas prête de s’arrêter.

De notre envoyé spécial à San Francisco et Washington, Jacques Henno

Internet 2 : sur les campus américains, on prépare déjà le Web de demain

Le nouveau réseau électronique développé par les universités américaines va révolutionner Internet.

Installés à l’université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, deux étudiants observent une fibre de coton à travers un microscope électronique. Ce qu’ils voient ? Une sorte de gros tuyau blanc rugueux posé sur une surface jaune. Cinq cents kilomètres plus au Nord, à Washington, trois autres élèves regardent sur un PC la même image, transmise par une ligne Internet à haut débit. Mais le plus extraordinaire, c’est qu’ils peuvent toucher – oui, toucher à distance – cette fibre. Sur l’ordinateur de Washington, la traditionnelle souris a été remplacée par un stylet, supporté par un bras mécanique. Il suffit de positionner le curseur au-dessus de la fibre, puis de descendre lentement, pour sentir, à travers le stylet, la résistance du coton.

Cette surprenante expérience de reconnaissance tactile constituait le clou du forum «Networking 99» qui s’est tenu fin avril à Washington et qui a rassemblé le gratin de l’Internet : 550 représentants de facultés ou de firmes high-tech américaines, ainsi que les meilleurs spécialistes européens. Tout ce petit monde était venu célébrer la naissance d’Internet 2, un réseau électronique révolutionnaire qui d’ici à la fin de l’année va relier 154 universités yankees. Ultra-rapide, il pourra transporter l’équivalent de 90 000 pages de texte en une seconde. Un chiffre qui a de quoi faire rêver l’internaute moyen, dont le modem fonctionne à 56 000 bits par seconde et qui peut donc télécharger moins de deux pages de texte par seconde. A 2,4 milliards de bits par seconde, Internet 2 ira 50 000 fois plus vite. Finies les longues minutes d’attente devant un écran vide. Télécharger un logiciel ou des clips vidéo s’effectuera en un clin d’œil.

Du coup, cette super-autoroute de l’information va permettre la mise au point de nouvelles applications, inimaginables jusqu’à présent. «Jamais l’homme n’a eu une telle opportunité pour améliorer ses moyens de communication !», a lancé, sous les applaudissements de ses confrères, Joe Mambretti, directeur du centre de recherche en informatique de la North Carolina State University. Son équipe planche sur un système de télé-enseignement en 3 dimensions : les étudiants, équipés de lunettes de vue en relief, pourront assister, comme s’ils y étaient, à un cours donné à l’autre bout du monde. Les ingénieurs du California Institute of Technology, eux, travaillent sur un nouveau procédé de vidéo-conférence : jusqu’à 100 personnes pourront s’y connecter en même temps et se voir, se parler ou échanger des documents électroniques. Et à la San Diego University, on prépare, pour les carabins, un cours d’anatomie virtuelle. Les dépouilles de deux condamnés à mort américains ont été congelées, puis découpées en 3 500 tranches, qui ont été numérisées. Ces données permettent, à partir de n’importe quel PC, de reconstituer virtuellement chaque organe et de le manipuler sous tous les angles.

Beaucoup d’autres applications, encore plus proches des attentes du grand public, sont à l’étude. Dans quelques années, les étudiants américains utiliseront sans doute des ordinateurs très bons marchés, car dépourvus, de disques durs : ils conserveront tous leurs fichiers sur un serveur central, auquel ils accéderont instantanément.

En fait, Internet 2 va permettre à de nombreuses entreprises et laboratoires de recherche d’éprouver de nouveaux matériels et logiciels (fibres optiques, protocoles d’échange de fichiers, serveurs…). Le même phénomène s’était déjà produit à partir de 1985, lorsque les universités américaines avaient commencé à se brancher sur l’ancêtre d’Internet, NSF-Net. C’est sur ce réseau, mis en place par la National Science Foundation, l’équivalent américain du CNRS français, qu’on a testé tous les équipements du Web actuel. En 1993, par exemple, Marc Andreessen, alors simple étudiant à l’Université de l’Illinois, imagina Mosaic, le premier browser. Un an plus tard, il créait sa propre société, Netscape.

Les retombées économique d’Internet 2 pourraient être encore plus importantes. Aussi toutes les entreprises high-tech américaines soutiennent ce projet. «Internet 2 va révolutionner l’informatique», prédit Rick Rashid, un des responsables de la recherche chez Microsoft. Qwest, la cinquième compagnie de téléphone du pays, a prêté ses réseaux en fibre optique ; Cisco et 3Com (équipements de réseau) ont fourni pour 30 millions de francs de matériel ; sans oublier le gouvernement qui verse quelques dizaines de millions. «Au total, notre budget dépasse les 200 millions de dollars», jubile Doug Van Houweling, président de l’association Internet 2. Une manne qui, indirectement, va profiter à toute l’industrie informatique américaine. Et lui permettre de creuser un peu plus l’écart avec ses concurrents européens ou japonais.

Visite au Xerox Parc, le labo qui a inventé la micro-informatique

Dès 1971, les équipes de ce temple du high-tech avaient mis au point le premier odrinateur personnel. Aujourd’hui, elles planchent sur les écrans en trois dimensions et le papier électronique.

La cafetière qui bout dans la cuisine du Xerox Parc, à Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, ressemble à n’importe quel autre percolateur. A un détail près : elle est dotée d’un petit bouton rouge, relié au réseau informatique de ce laboratoire de recherche, propriété de Xerox, le leader mondial des photocopieurs. Les personnes qui passent dans la cuisine, l’actionnent dès que le café est prêt. Aussitôt, un message s’affiche sur les PC de tous les chercheurs, les invitant à faire une pause. L’occasion pour les psychologues et anthropologues qui planchent sur un nouvel écran d’ordinateur d’échanger quelques idées avec leurs collègues, ingénieurs spécialistes des imprimantes laser ou mathématiciens passionnés d’Internet.

La plupart des découvertes faites au Xerox Parc sont nées ainsi, au cours d’une discussion informelle. Et des trouvailles, ici, on en fait tous les jours. Les 250 scientifiques employés par ce labo déposent 150 brevets par an. Le Parc est inconnu du grand public mais, pour les spécialistes de la high-tech, ce lieu est mythique. C’est dans ce bâtiment de cinq étages, construit à flanc de colline, qu’a été inventée l’informatique moderne : l’Alto, le premier micro-ordinateur, a vu le jour ici, en 1971. De même, l’interface graphique (pour lancer un logiciel on clique sur une icône), l’imprimante laser, la carte Ethernet (qui permet aux PC de communiquer entre eux) et une partie des protocoles Internet ont été développés dans cet immeuble. Mieux : Steve Jobs, le fondateur d’Apple, aurait eu l’idée du Macintosh en visitant le Parc, à la fin des années soixante-dix.

«A l’époque, nous n’aurions pas pu faire lui faire de procès, sourit Richard Bruce, docteur en physique et directeur de la section “ordinateur”. Les juristes de Xerox ne prenaient même pas la peine de breveter les nouveaux logiciels !» Lors de sa création, en 1970, l’établissement avait reçu pour mission d’imaginer le bureau et les photocopieurs du futur. La direction embaucha des scientifiques de formation ou de nationalité très diverses et leur laissa mener de front travaux théoriques et recherches appliquées. La première équipe (Alan Kay, Bob Taylor…) s’intéressa surtout à la micro-informatique mais les patrons de Xerox ne comprirent pas l’intérêt de ses découvertes. Résultat, les idées furent exploitées par d’autres sociétés de la région : Hewlett-Packard, Intel, Sun…

Aujourd’hui, plus question de refaire les mêmes erreurs. Après un passage à vide, au début des années quatre-vingt dix, le Parc bénéficie à nouveau du soutien de la direction de Xerox et se retrouve à la pointe de la recherche. «C’est l’endroit où il faut être si l’on veut marquer son époque», affirme, tout de go, Jim Pitkow, qui a rejoint le labo en 1997, tout de suite après avoir décroché un doctorat en informatique. Dotées d’un budget de 360 millions de francs, les équipes travaillent sur une multitude de projets : agrafes électroniques qui indiqueront où sont rangées les factures de gaz ou de téléphone, interfaces en 3 dimension pour les ordinateurs, papier intelligent (lorsqu’on le passe dans la photocopieuse-scanner, il stipule à quels destinataires il doit être faxé), etc. «80% de ces travaux n’aboutiront pas», estime Johan de Kleer, Hollandais, titulaire d’un doctorat du MIT et salarié du Parc depuis 1979. Mais toutes les inventions-maison sont désormais soigneusement protégées. Ainsi, Xerox vient d’intenter un procès contre le groupe 3 Com. Motif : le Palm Pilot, le célèbre agenda électronique commercialisé par 3 Com, utiliserait un langage dérivé de l’Unistroke Alphabet, un alphabet simplifié mis au point au Parc. Si Xerox gagne son procès, cela devrait lui rapporter beaucoup, beaucoup d’argent : des millions de Palm Pilot ont déjà été vendus à travers le monde.

Jacques Henno

Articles parus dans le mensuel Capital en juin 1999

High-tech : les Etats-Unis ont une révolution d'avance sur le reste du monde

Micro-ordinateurs, logiciels, Internet, agendas électroniques… Toutes ces découvertes ont vu le jour outre-Atlantique. Aujourd’hui, ce sont elles qui tirent l’économie du pays et créent des emplois.

Palo Alto, une petite ville situé à 30 kilomètres au sud de San Francisco, en pleine Silicon Valley. En ce dimanche après-midi, le parking de Fry’s, un grand magasin d’informatique, est plein à craquer. Mordus de high-tech et badauds sont venus découvrir les derniers gadgets électroniques : dictaphone Dragon, qui convertit automatiquement un message oral en texte, agenda électronique Rex, de la taille d’une carte de crédit, mini-antenne GPS et logiciel Door-to-Door Co-Pilot, pour transformer les ordinateurs portables en navigateurs routiers… Rares sont les clients qui ne repartent pas avec un ou deux de ces appareils, «made in USA».

Le moteur de la croissance américa[1]ine, c’est eux. Californiens, Texans ou New-yorkais, passionnés par la «high-tech», sont tous suréquipés en micro-ordinateurs et autres CD-Rom. Outre-Atlantique, les achats de matériels informatiques représentent 30% des investissements des entreprises et des ménages, contre seulement 8% en France. Du coup, les usines d’Intel (micro-processeurs) ou de Dell (PC vendus par correspondance) tournent 24 heures sur 24. «Aujourd’hui, la high-tech américaine réalise 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 20% du PIB des Etats-Unis», estime Kay Howell, directrice du NCO (National coordination office), l’agence fédérale qui coordonne la recherche en informatique. Et le secteur embauche à tour de bras, créant 30% des nouveaux emplois du payæs.

Ted Hoff peut-être fier de lui. Sans cet ingénieur américain, aujourd’hui âgé de 70 ans, rien de cela ne serait jamais arrivé. C’est lui, en effet, qui en 1971, a mis au point le premier Ômicroprocesseur. Depuis, l’Amérique n’a cessé de dominer le secteur de la high-tech. Deux exemples : le premier ordinateur personnel a vu le jour à Palo Alto, au Xerox Parc (lire page XXX) et le premier «browser» (navigateur sur Internet) ‚a été mis au point par un étudiant de l’Illinois. Aujourd’hui, les Etats-Unis gardent une avance considérable dans tous les domaines, logiciels, ordinateurs, réseaux, annuaires de recherche sur Internet… Mais cela ne les empêche pas d’investir massivement dans la recherche. Déjà, les universitaires américains préparent la nouvelle génération d’Internet. Elle permettra le développement d’applications spectaculaires, comme la reconnaissance tactile à distance (lire ci-contre). La croissance américaine n’est pas prête de s’arrêter.

De notre envoyé spécial à San Francisco et Washington, Jacques Henno

Internet 2 : sur les campus américains, on prépare déjà le Web de demain

Le nouveau réseau électronique développé par les universités américaines va révolutionner Internet.

Installés à l’université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, deux étudiants observent une fibre de coton à travers un microscope électronique. Ce qu’ils voient ? Une sorte de gros tuyau blanc rugueux posé sur une surface jaune. Cinq cents kilomètres plus au Nord, à Washington, trois autres élèves regardent sur un PC la même image, transmise par une ligne Internet à haut débit. Mais le plus extraordinaire, c’est qu’ils peuvent toucher – oui, toucher à distance – cette fibre. Sur l’ordinateur de Washington, la traditionnelle souris a été remplacée par un stylet, supporté par un bras mécanique. Il suffit de positionner le curseur au-dessus de la fibre, puis de descendre lentement, pour sentir, à travers le stylet, la résistance du coton.

Cette surprenante expérience de reconnaissance tactile constituait le clou du forum «Networking 99» qui s’est tenu fin avril à Washington et qui a rassemblé le gratin de l’Internet : 550 représentants de facultés ou de firmes high-tech américaines, ainsi que les meilleurs spécialistes européens. Tout ce petit monde était venu célébrer la naissance d’Internet 2, un réseau électronique révolutionnaire qui d’ici à la fin de l’année va relier 154 universités yankees. Ultra-rapide, il pourra transporter l’équivalent de 90 000 pages de texte en une seconde. Un chiffre qui a de quoi faire rêver l’internaute moyen, dont le modem fonctionne à 56 000 bits par seconde et qui peut donc télécharger moins de deux pages de texte par seconde. A 2,4 milliards de bits par seconde, Internet 2 ira 50 000 fois plus vite. Finies les longues minutes d’attente devant un écran vide. Télécharger un logiciel ou des clips vidéo s’effectuera en un clin d’œil.

Du coup, cette super-autoroute de l’information va permettre la mise au point de nouvelles applications, inimaginables jusqu’à présent. «Jamais l’homme n’a eu une telle opportunité pour améliorer ses moyens de communication !», a lancé, sous les applaudissements de ses confrères, Joe Mambretti, directeur du centre de recherche en informatique de la North Carolina State University. Son équipe planche sur un système de télé-enseignement en 3 dimensions : les étudiants, équipés de lunettes de vue en relief, pourront assister, comme s’ils y étaient, à un cours donné à l’autre bout du monde. Les ingénieurs du California Institute of Technology, eux, travaillent sur un nouveau procédé de vidéo-conférence : jusqu’à 100 personnes pourront s’y connecter en même temps et se voir, se parler ou échanger des documents électroniques. Et à la San Diego University, on prépare, pour les carabins, un cours d’anatomie virtuelle. Les dépouilles de deux condamnés à mort américains ont été congelées, puis découpées en 3 500 tranches, qui ont été numérisées. Ces données permettent, à partir de n’importe quel PC, de reconstituer virtuellement chaque organe et de le manipuler sous tous les angles.

Beaucoup d’autres applications, encore plus proches des attentes du grand public, sont à l’étude. Dans quelques années, les étudiants américains utiliseront sans doute des ordinateurs très bons marchés, car dépourvus, de disques durs : ils conserveront tous leurs fichiers sur un serveur central, auquel ils accéderont instantanément.

En fait, Internet 2 va permettre à de nombreuses entreprises et laboratoires de recherche d’éprouver de nouveaux matériels et logiciels (fibres optiques, protocoles d’échange de fichiers, serveurs…). Le même phénomène s’était déjà produit à partir de 1985, lorsque les universités américaines avaient commencé à se brancher sur l’ancêtre d’Internet, NSF-Net. C’est sur ce réseau, mis en place par la National Science Foundation, l’équivalent américain du CNRS français, qu’on a testé tous les équipements du Web actuel. En 1993, par exemple, Marc Andreessen, alors simple étudiant à l’Université de l’Illinois, imagina Mosaic, le premier browser. Un an plus tard, il créait sa propre société, Netscape.

Les retombées économique d’Internet 2 pourraient être encore plus importantes. Aussi toutes les entreprises high-tech américaines soutiennent ce projet. «Internet 2 va révolutionner l’informatique», prédit Rick Rashid, un des responsables de la recherche chez Microsoft. Qwest, la cinquième compagnie de téléphone du pays, a prêté ses réseaux en fibre optique ; Cisco et 3Com (équipements de réseau) ont fourni pour 30 millions de francs de matériel ; sans oublier le gouvernement qui verse quelques dizaines de millions. «Au total, notre budget dépasse les 200 millions de dollars», jubile Doug Van Houweling, président de l’association Internet 2. Une manne qui, indirectement, va profiter à toute l’industrie informatique américaine. Et lui permettre de creuser un peu plus l’écart avec ses concurrents européens ou japonais.

Visite au Xerox Parc, le labo qui a inventé la micro-informatique

Dès 1971, les équipes de ce temple du high-tech avaient mis au point le premier odrinateur personnel. Aujourd’hui, elles planchent sur les écrans en trois dimensions et le papier électronique.

La cafetière qui bout dans la cuisine du Xerox Parc, à Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, ressemble à n’importe quel autre percolateur. A un détail près : elle est dotée d’un petit bouton rouge, relié au réseau informatique de ce laboratoire de recherche, propriété de Xerox, le leader mondial des photocopieurs. Les personnes qui passent dans la cuisine, l’actionnent dès que le café est prêt. Aussitôt, un message s’affiche sur les PC de tous les chercheurs, les invitant à faire une pause. L’occasion pour les psychologues et anthropologues qui planchent sur un nouvel écran d’ordinateur d’échanger quelques idées avec leurs collègues, ingénieurs spécialistes des imprimantes laser ou mathématiciens passionnés d’Internet.

La plupart des découvertes faites au Xerox Parc sont nées ainsi, au cours d’une discussion informelle. Et des trouvailles, ici, on en fait tous les jours. Les 250 scientifiques employés par ce labo déposent 150 brevets par an. Le Parc est inconnu du grand public mais, pour les spécialistes de la high-tech, ce lieu est mythique. C’est dans ce bâtiment de cinq étages, construit à flanc de colline, qu’a été inventée l’informatique moderne : l’Alto, le premier micro-ordinateur, a vu le jour ici, en 1971. De même, l’interface graphique (pour lancer un logiciel on clique sur une icône), l’imprimante laser, la carte Ethernet (qui permet aux PC de communiquer entre eux) et une partie des protocoles Internet ont été développés dans cet immeuble. Mieux : Steve Jobs, le fondateur d’Apple, aurait eu l’idée du Macintosh en visitant le Parc, à la fin des années soixante-dix.

«A l’époque, nous n’aurions pas pu faire lui faire de procès, sourit Richard Bruce, docteur en physique et directeur de la section “ordinateur”. Les juristes de Xerox ne prenaient même pas la peine de breveter les nouveaux logiciels !» Lors de sa création, en 1970, l’établissement avait reçu pour mission d’imaginer le bureau et les photocopieurs du futur. La direction embaucha des scientifiques de formation ou de nationalité très diverses et leur laissa mener de front travaux théoriques et recherches appliquées. La première équipe (Alan Kay, Bob Taylor…) s’intéressa surtout à la micro-informatique mais les patrons de Xerox ne comprirent pas l’intérêt de ses découvertes. Résultat, les idées furent exploitées par d’autres sociétés de la région : Hewlett-Packard, Intel, Sun…

Aujourd’hui, plus question de refaire les mêmes erreurs. Après un passage à vide, au début des années quatre-vingt dix, le Parc bénéficie à nouveau du soutien de la direction de Xerox et se retrouve à la pointe de la recherche. «C’est l’endroit où il faut être si l’on veut marquer son époque», affirme, tout de go, Jim Pitkow, qui a rejoint le labo en 1997, tout de suite après avoir décroché un doctorat en informatique. Dotées d’un budget de 360 millions de francs, les équipes travaillent sur une multitude de projets : agrafes électroniques qui indiqueront où sont rangées les factures de gaz ou de téléphone, interfaces en 3 dimension pour les ordinateurs, papier intelligent (lorsqu’on le passe dans la photocopieuse-scanner, il stipule à quels destinataires il doit être faxé), etc. «80% de ces travaux n’aboutiront pas», estime Johan de Kleer, Hollandais, titulaire d’un doctorat du MIT et salarié du Parc depuis 1979. Mais toutes les inventions-maison sont désormais soigneusement protégées. Ainsi, Xerox vient d’intenter un procès contre le groupe 3 Com. Motif : le Palm Pilot, le célèbre agenda électronique commercialisé par 3 Com, utiliserait un langage dérivé de l’Unistroke Alphabet, un alphabet simplifié mis au point au Parc. Si Xerox gagne son procès, cela devrait lui rapporter beaucoup, beaucoup d’argent : des millions de Palm Pilot ont déjà été vendus à travers le monde.

Jacques Henno

Articles parus dans le mensuel Capital en juin 1999

Yahoo !, l’idole des Internautes

C’est l’une des plus belles success stories américaines du moment. A 30 ans, les inventeurs du célèbre annuaire du Net sont déjà multimilliardaires.

De notre envoyé spécial en Californie, Jacques Henno

Construit au milieu des pins, à 40 kilomètres au sud de San Francisco, ce long bâtiment marron est l’un des plus sûrs de la Silicon Valley. Trois ingénieurs veillent en permanence sur l’édifice, monté sur de gigantesques amortisseurs antisismiques. En cas d’alerte au feu, ils ont ordre de déguerpir : un gaz mortel, le halon 1301, envahirait aussitôt les installations pour étouffer l’incendie et protéger les ordinateurs qu’elles abritent. Car si l’un d’eux tombait en panne, des millions d’internautes se retrouveraient perdus dans le «cyberespace». Ces machines, propriétés d’une société de services, hébergent en effet des centaines de serveurs Internet, dont celui de Yahoo!, le site Web le plus populaire de la planète. Cet annuaire compte à lui seul plus de 40 millions d’utilisateurs.
Vous vous intéressez aux poissons volants, aux frasques de Bill Clinton, aux prévisions météo ou au commerce électronique ? En vous connectant sur Yahoo!, vous accéderez sans peine à tous les services du réseau. Les Américains appellent d’ailleurs «portal» (portail) ce type de site. Il en existe des centaines d’autres : Hot Bot, Infoseek aux Etats-Unis, Nomade en France, pour ne citer que les plus connus. Mais, partout où il s’est implanté, Yahoo! est numéro 1 ou 2 de la spécialité. D’où l’incroyable envolée de l’action, introduite en Bourse en 1996. Fin 1998, elle cotait plus de 1 300 francs au Nasdaq, le marché américain des valeurs high-tech. Ce qui valorisait l’entreprise à 135 milliards de francs. Plus qu’Alcatel ou LVMH, alors que Yahoo! n’emploie que 700 personnes, réalise à peine 1,1 milliard de francs de chiffre d’affaires annuel et a dégagé ses premiers profits en 1998. Jusqu’à présent, tous les bénéfices d’exploitation ont en effet été engloutis dans des acquisitions, afin d’accélérer le rythme de la croissance.
Les spéculateurs sont-ils devenus fous ? Ils anticipent en tout cas une explosion des revenus de la société. Comme tout moteur de recherche, Yahoo! se finance en commercialisant des espaces publicitaires et, surtout, en prélevant une dîme sur les ventes réalisées via son site. Pour l’instant, ce média reste marginal. En 1998, à peine 10 milliards de francs ont été dépensés dans le monde en publicité sur le Web. Mais ces chiffres devraient décupler dans les prochaines années, car l’audience du Net grimpe en flèche. En 1997, la planète comptait 79 millions d’internautes. En 2002, ils seront plus de 300 millions !
Inévitablement, cet essor dopera l’activité de Yahoo!. Ses performances, d’ailleurs, sont déjà exceptionnelles : sa marge brute d’exploitation dépasse 30% (20% chez LVMH). «Internet est un média qui nécessite très peu d’investissements, explique Lanny Baker, analyste chez Salomon Smith Barney, à San Francisco. Et Yahoo! est une des firmes les mieux gérées que je connaisse.» Pourtant, lorsqu’on arrive au siège, à Santa Clara, au coeur de la Silicon Valley, on croit débarquer chez des potaches. 500 salariés y travaillent dans un capharnaüm indescriptible ­ flippers, bouées de sauvetage, squelettes en plastique. Jonché de vêtements sales, le bureau de David Filo, un des deux fondateurs, ressemble à une chambre d’étudiant. Et son associé, Jerry Yang, qui s’est baptisé «chef Yahoo!» sur sa carte de visite, affiche une décontraction toute californienne. «Mon âge ? 30 ans, annonce d’emblée cet Américain sans complexe né à Taïwan. Ma fortune ? Je possède 11% des actions de la société, soit, sur le papier, 2,7 milliards de dollars.»
Fabuleux destin ! Il y a encore cinq ans, Jerry Yang et David Filo étaient étudiants à Stanford. La célèbre université californienne avait mis à leur disposition un bureau et un ordinateur dans une caravane. Les deux copains consacraient tous leurs loisirs à surfer sur le Web. «Nous avions beaucoup de mal à dénicher des sites intéressants, se souvient Jerry Yang. Aussi, en avril 1994, nous avons créé un index regroupant nos serveurs préférés et l’avons mis à la disposition des autres internautes.» Succès immédiat. Car les moteurs de recherche de l’époque n’étaient pas très efficaces. L’utilisateur entrait quelques mots clés (par exemple, James Bond), puis se retrouvait avec une liste d’une centaine de serveurs Web, qu’il devait trier. Alors que, dans la base de données réalisée par Filo et Yang, les informations étaient soigneusement rangées par thèmes, grâce à une classification arborescente : pour obtenir des renseignements sur l’agent 007, il suffisait de cliquer sur la catégorie «loisirs-culture», puis sur «films» et enfin «genre : action».
Nos deux étudiants se sont vite rendu compte que leur trouvaille valait de l’or : début 1995, les visiteurs se bousculaient dans leur caravane. Steve Case, le patron d’AOL, premier fournisseur d’accès à Internet dans le monde et, aujourd’hui, principal concurrent, leur proposa 11 millions de francs pour leur annuaire, tandis que les «VC» («venture-capitalists») les pressaient de créer leur propre société. Parmi eux, Michael Moritz, de Sequoia Capital.
«J’ai tout de suite compris que David et Jerry venaient de créer un média révolutionnaire, se souvient cet ancien journaliste, reconverti dans la finance. Et j’ai mis à leur disposition 1 million de dollars.» Ses deux poulains se laissèrent convaincre de monter leur boîte, mais à une condition : qu’ils n’assument pas la direction opérationnelle de l’entreprise.
Le 5 avril 1995, les statuts de Yahoo! étaient déposés. Traduction : «Yet another hierarchical officious oracle» (Encore un autre oracle trop zélé et hiérarchique). «Une blague que seuls David et moi pouvons comprendre», sourit Jerry Yang. «Ce cri du coeur est un superbe nom commercial», se félicite Tim Koogle, président depuis août 1995. A 47 ans, cet ancien cadre de Motorola fait figure d’aïeul dans une entreprise où la moyenne d’âge ne dépasse pas 28 ans. A peine recruté par Michael Moritz, il s’est employé à transformer ce qui n’était encore qu’un hobby d’étudiants en vrai business.
Sa stratégie s’appuie sur trois axes de développement. «Nous devons fournir du contenu rédactionnel, en assurer la distribution et faire connaître notre marque», résume Jeff Mallett, 34 ans, directeur général. En matière de management, la maison s’est fixé deux règles d’or. Un : «Dépenser le moins possible, afin de ne pas s’endetter», martèle Gary Valenzuela, un autre «papy» de 41 ans, directeur financier. Deux : «Etre fun. Nous tenons à garder notre image décalée, qui plaît aux
30-35 ans, principale tranche d’âge des internautes», poursuit Karen Edwards, directrice du marketing.
Ainsi, à chaque Noël, la page d’accueil de Yahoo! s’orne de boules ou de feuilles de houx. «Sympa, non ?», lance Srinija Srinivasan, qui, à 27 ans, est «ontological Yahoo!», responsable du contenu rédactionnel. L’annuaire proprement dit est réalisé, à peu de frais, par les «surfeurs». Ils sont une centaine au siège californien et une dizaine dans chaque filiale. Payés au lance-pierre (7 370 francs net par mois en France), ils passent leur temps à repérer de nouveaux sites. Yahoo! en a répertorié 1 million aux Etats-Unis et 55 000 en France.
Quant aux informations pratiques, comme les prévisions météo, elles sont fournies par 300 prestataires extérieurs. Dans 85% des cas, Yahoo! les obtient gratuitement. «C’est un échange : ces prestataires nous donnent leurs « contenus », nous leur apportons notre audience, donc de la notoriété», explique Grégoire Clémencin, producteur de Yahoo! France.
Seuls les services personnalisés, comme Yahoo.mail (les boîtes aux lettres mises à la disposition des internautes), sont réalisés en interne. Pour distancer la concurrence, les spécialistes de la maison ne manquent pas d’idées. Ils viennent par exemple d’acquérir une technologie mise au point par un Français, Philippe Kahn, qui permet de gérer son agenda sur Yahoo!, puis de le télécharger sur un ordinateur portable.
Astuce : pour accéder à ces services, il faut décliner nom, âge, e-mail et centres d’intérêt. L’entreprise a ainsi mis en fiche 25 millions d’internautes. «Grâce à ces données, nous pourrons bientôt afficher les publicités en fonction du profil des utilisateurs», confie Jeff Mallett. Ainsi, chaque fois qu’un célibataire, passionné de plongée, se connectera, Yahoo! l’identifiera et enverra sur son écran une publicité du genre Club Med. Aujourd’hui, les 1 500 annonceurs du site (IBM, Toyota, Dior) peuvent simplement acheter un bandeau qui apparaît systématiquement sur la page d’accueil ou uniquement lorsque l’utilisateur clique sur certains mots clés (ordinateurs, voitures). Une semaine de présence sur Yahoo! France coûte plus de 85 000 francs.
Le deuxième axe stratégique de l’entreprise consiste à contrôler sa «distribution» pour être accessible à tous les internautes. Cela suppose la création de filiales à l’étranger et des accords avec les fabricants d’ordinateurs ou les fournisseurs d’accès à Internet, pour que Yahoo! ait la priorité sur ses concurrents.
Sur le premier point, la firme californienne a de l’avance sur ses rivaux, puisqu’elle est présente dans quatorze pays (Allemagne, Espagne, Australie, Corée). Elle s’est internationalisée dès 1996, avec l’aide de son principal actionnaire, Softbank, un holding japonais. Yahoo! France, par exemple, a été hébergé pendant un an et demi dans les locaux parisiens de Ziff-Davis, un éditeur de revues informatiques, filiale du groupe japonais. Il n’y a pas de petites économies
En revanche, le référencement constitue la principale faiblesse de la firme américaine. Jusqu’ici, ses dirigeants avaient surtout misé sur la solidarité. La plupart des internautes, lorsque Yahoo! répertorie leur site, renvoient la balle en créant un «lien» qui oriente leurs visiteurs vers le moteur de recherche. Plus de 1 million de documents contiennent ainsi un renvoi automatique sur Yahoo!. Mais cela ne suffit plus. La plupart des concurrents ont passé des accords avec des constructeurs informatiques ou des fournisseurs d’accès. Exemple : dans quelques semaines, les micro-ordinateurs Dell achetés aux Etats-Unis et au Canada se connecteront automatiquement sur AOL. Yahoo!, de son côté, n’a conclu que des alliances ponctuelles avec Compaq aux Etats-Unis ou British Telecoms en Grande-Bretagne. «Mais nous allons nous rattraper en 1999», annonce Fabiola Arredondo, 32 ans, directrice générale pour l’Europe, basée à Londres.
Dernière priorité : l’image. 90% des utilisateurs du Web connaissent déjà la marque. «Mais notre taux de notoriété tombe à 40% auprès du public qui envisage de s’abonner à Internet, précise Karen Edwards, la directrice du marketing. Ces clients potentiels constituent notre cible prioritaire.» Là encore, tous les moyens sont bons. Ainsi, pendant la dernière «gay pride» de San Francisco, des employés brandissant des pancartes Yahoo! ont défilé au milieu des homosexuels. De même, un échange original vient d’être négocié avec la série télévisée «Urgences» : Yahoo! fournit des accès Internet et quand, au cours des épisodes, les acteurs se brancheront sur le Web, le site apparaîtra clairement à l’écran. Autre exemple : en septembre dernier, la firme a loué un stand à la Fête de «l’Humanité». Il a été pris d’assaut. Non pas parce qu’il s’agissait d’une affreuse entreprise capitaliste. Mais par curiosité : les visiteurs étaient fascinés par Internet. Pari gagné.
Jacques Henno

Article paru dans Capital en février 1999

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Yahoo !, l'idole des Internautes

C’est l’une des plus belles success stories américaines du moment. A 30 ans, les inventeurs du célèbre annuaire du Net sont déjà multimilliardaires.

De notre envoyé spécial en Californie, Jacques Henno

Construit au milieu des pins, à 40 kilomètres au sud de San Francisco, ce long bâtiment marron est l’un des plus sûrs de la Silicon Valley. Trois ingénieurs veillent en permanence sur l’édifice, monté sur de gigantesques amortisseurs antisismiques. En cas d’alerte au feu, ils ont ordre de déguerpir : un gaz mortel, le halon 1301, envahirait aussitôt les installations pour étouffer l’incendie et protéger les ordinateurs qu’elles abritent. Car si l’un d’eux tombait en panne, des millions d’internautes se retrouveraient perdus dans le «cyberespace». Ces machines, propriétés d’une société de services, hébergent en effet des centaines de serveurs Internet, dont celui de Yahoo!, le site Web le plus populaire de la planète. Cet annuaire compte à lui seul plus de 40 millions d’utilisateurs.
Vous vous intéressez aux poissons volants, aux frasques de Bill Clinton, aux prévisions météo ou au commerce électronique ? En vous connectant sur Yahoo!, vous accéderez sans peine à tous les services du réseau. Les Américains appellent d’ailleurs «portal» (portail) ce type de site. Il en existe des centaines d’autres : Hot Bot, Infoseek aux Etats-Unis, Nomade en France, pour ne citer que les plus connus. Mais, partout où il s’est implanté, Yahoo! est numéro 1 ou 2 de la spécialité. D’où l’incroyable envolée de l’action, introduite en Bourse en 1996. Fin 1998, elle cotait plus de 1 300 francs au Nasdaq, le marché américain des valeurs high-tech. Ce qui valorisait l’entreprise à 135 milliards de francs. Plus qu’Alcatel ou LVMH, alors que Yahoo! n’emploie que 700 personnes, réalise à peine 1,1 milliard de francs de chiffre d’affaires annuel et a dégagé ses premiers profits en 1998. Jusqu’à présent, tous les bénéfices d’exploitation ont en effet été engloutis dans des acquisitions, afin d’accélérer le rythme de la croissance.
Les spéculateurs sont-ils devenus fous ? Ils anticipent en tout cas une explosion des revenus de la société. Comme tout moteur de recherche, Yahoo! se finance en commercialisant des espaces publicitaires et, surtout, en prélevant une dîme sur les ventes réalisées via son site. Pour l’instant, ce média reste marginal. En 1998, à peine 10 milliards de francs ont été dépensés dans le monde en publicité sur le Web. Mais ces chiffres devraient décupler dans les prochaines années, car l’audience du Net grimpe en flèche. En 1997, la planète comptait 79 millions d’internautes. En 2002, ils seront plus de 300 millions !
Inévitablement, cet essor dopera l’activité de Yahoo!. Ses performances, d’ailleurs, sont déjà exceptionnelles : sa marge brute d’exploitation dépasse 30% (20% chez LVMH). «Internet est un média qui nécessite très peu d’investissements, explique Lanny Baker, analyste chez Salomon Smith Barney, à San Francisco. Et Yahoo! est une des firmes les mieux gérées que je connaisse.» Pourtant, lorsqu’on arrive au siège, à Santa Clara, au coeur de la Silicon Valley, on croit débarquer chez des potaches. 500 salariés y travaillent dans un capharnaüm indescriptible ­ flippers, bouées de sauvetage, squelettes en plastique. Jonché de vêtements sales, le bureau de David Filo, un des deux fondateurs, ressemble à une chambre d’étudiant. Et son associé, Jerry Yang, qui s’est baptisé «chef Yahoo!» sur sa carte de visite, affiche une décontraction toute californienne. «Mon âge ? 30 ans, annonce d’emblée cet Américain sans complexe né à Taïwan. Ma fortune ? Je possède 11% des actions de la société, soit, sur le papier, 2,7 milliards de dollars.»
Fabuleux destin ! Il y a encore cinq ans, Jerry Yang et David Filo étaient étudiants à Stanford. La célèbre université californienne avait mis à leur disposition un bureau et un ordinateur dans une caravane. Les deux copains consacraient tous leurs loisirs à surfer sur le Web. «Nous avions beaucoup de mal à dénicher des sites intéressants, se souvient Jerry Yang. Aussi, en avril 1994, nous avons créé un index regroupant nos serveurs préférés et l’avons mis à la disposition des autres internautes.» Succès immédiat. Car les moteurs de recherche de l’époque n’étaient pas très efficaces. L’utilisateur entrait quelques mots clés (par exemple, James Bond), puis se retrouvait avec une liste d’une centaine de serveurs Web, qu’il devait trier. Alors que, dans la base de données réalisée par Filo et Yang, les informations étaient soigneusement rangées par thèmes, grâce à une classification arborescente : pour obtenir des renseignements sur l’agent 007, il suffisait de cliquer sur la catégorie «loisirs-culture», puis sur «films» et enfin «genre : action».
Nos deux étudiants se sont vite rendu compte que leur trouvaille valait de l’or : début 1995, les visiteurs se bousculaient dans leur caravane. Steve Case, le patron d’AOL, premier fournisseur d’accès à Internet dans le monde et, aujourd’hui, principal concurrent, leur proposa 11 millions de francs pour leur annuaire, tandis que les «VC» («venture-capitalists») les pressaient de créer leur propre société. Parmi eux, Michael Moritz, de Sequoia Capital.
«J’ai tout de suite compris que David et Jerry venaient de créer un média révolutionnaire, se souvient cet ancien journaliste, reconverti dans la finance. Et j’ai mis à leur disposition 1 million de dollars.» Ses deux poulains se laissèrent convaincre de monter leur boîte, mais à une condition : qu’ils n’assument pas la direction opérationnelle de l’entreprise.
Le 5 avril 1995, les statuts de Yahoo! étaient déposés. Traduction : «Yet another hierarchical officious oracle» (Encore un autre oracle trop zélé et hiérarchique). «Une blague que seuls David et moi pouvons comprendre», sourit Jerry Yang. «Ce cri du coeur est un superbe nom commercial», se félicite Tim Koogle, président depuis août 1995. A 47 ans, cet ancien cadre de Motorola fait figure d’aïeul dans une entreprise où la moyenne d’âge ne dépasse pas 28 ans. A peine recruté par Michael Moritz, il s’est employé à transformer ce qui n’était encore qu’un hobby d’étudiants en vrai business.
Sa stratégie s’appuie sur trois axes de développement. «Nous devons fournir du contenu rédactionnel, en assurer la distribution et faire connaître notre marque», résume Jeff Mallett, 34 ans, directeur général. En matière de management, la maison s’est fixé deux règles d’or. Un : «Dépenser le moins possible, afin de ne pas s’endetter», martèle Gary Valenzuela, un autre «papy» de 41 ans, directeur financier. Deux : «Etre fun. Nous tenons à garder notre image décalée, qui plaît aux
30-35 ans, principale tranche d’âge des internautes», poursuit Karen Edwards, directrice du marketing.
Ainsi, à chaque Noël, la page d’accueil de Yahoo! s’orne de boules ou de feuilles de houx. «Sympa, non ?», lance Srinija Srinivasan, qui, à 27 ans, est «ontological Yahoo!», responsable du contenu rédactionnel. L’annuaire proprement dit est réalisé, à peu de frais, par les «surfeurs». Ils sont une centaine au siège californien et une dizaine dans chaque filiale. Payés au lance-pierre (7 370 francs net par mois en France), ils passent leur temps à repérer de nouveaux sites. Yahoo! en a répertorié 1 million aux Etats-Unis et 55 000 en France.
Quant aux informations pratiques, comme les prévisions météo, elles sont fournies par 300 prestataires extérieurs. Dans 85% des cas, Yahoo! les obtient gratuitement. «C’est un échange : ces prestataires nous donnent leurs « contenus », nous leur apportons notre audience, donc de la notoriété», explique Grégoire Clémencin, producteur de Yahoo! France.
Seuls les services personnalisés, comme Yahoo.mail (les boîtes aux lettres mises à la disposition des internautes), sont réalisés en interne. Pour distancer la concurrence, les spécialistes de la maison ne manquent pas d’idées. Ils viennent par exemple d’acquérir une technologie mise au point par un Français, Philippe Kahn, qui permet de gérer son agenda sur Yahoo!, puis de le télécharger sur un ordinateur portable.
Astuce : pour accéder à ces services, il faut décliner nom, âge, e-mail et centres d’intérêt. L’entreprise a ainsi mis en fiche 25 millions d’internautes. «Grâce à ces données, nous pourrons bientôt afficher les publicités en fonction du profil des utilisateurs», confie Jeff Mallett. Ainsi, chaque fois qu’un célibataire, passionné de plongée, se connectera, Yahoo! l’identifiera et enverra sur son écran une publicité du genre Club Med. Aujourd’hui, les 1 500 annonceurs du site (IBM, Toyota, Dior) peuvent simplement acheter un bandeau qui apparaît systématiquement sur la page d’accueil ou uniquement lorsque l’utilisateur clique sur certains mots clés (ordinateurs, voitures). Une semaine de présence sur Yahoo! France coûte plus de 85 000 francs.
Le deuxième axe stratégique de l’entreprise consiste à contrôler sa «distribution» pour être accessible à tous les internautes. Cela suppose la création de filiales à l’étranger et des accords avec les fabricants d’ordinateurs ou les fournisseurs d’accès à Internet, pour que Yahoo! ait la priorité sur ses concurrents.
Sur le premier point, la firme californienne a de l’avance sur ses rivaux, puisqu’elle est présente dans quatorze pays (Allemagne, Espagne, Australie, Corée). Elle s’est internationalisée dès 1996, avec l’aide de son principal actionnaire, Softbank, un holding japonais. Yahoo! France, par exemple, a été hébergé pendant un an et demi dans les locaux parisiens de Ziff-Davis, un éditeur de revues informatiques, filiale du groupe japonais. Il n’y a pas de petites économies
En revanche, le référencement constitue la principale faiblesse de la firme américaine. Jusqu’ici, ses dirigeants avaient surtout misé sur la solidarité. La plupart des internautes, lorsque Yahoo! répertorie leur site, renvoient la balle en créant un «lien» qui oriente leurs visiteurs vers le moteur de recherche. Plus de 1 million de documents contiennent ainsi un renvoi automatique sur Yahoo!. Mais cela ne suffit plus. La plupart des concurrents ont passé des accords avec des constructeurs informatiques ou des fournisseurs d’accès. Exemple : dans quelques semaines, les micro-ordinateurs Dell achetés aux Etats-Unis et au Canada se connecteront automatiquement sur AOL. Yahoo!, de son côté, n’a conclu que des alliances ponctuelles avec Compaq aux Etats-Unis ou British Telecoms en Grande-Bretagne. «Mais nous allons nous rattraper en 1999», annonce Fabiola Arredondo, 32 ans, directrice générale pour l’Europe, basée à Londres.
Dernière priorité : l’image. 90% des utilisateurs du Web connaissent déjà la marque. «Mais notre taux de notoriété tombe à 40% auprès du public qui envisage de s’abonner à Internet, précise Karen Edwards, la directrice du marketing. Ces clients potentiels constituent notre cible prioritaire.» Là encore, tous les moyens sont bons. Ainsi, pendant la dernière «gay pride» de San Francisco, des employés brandissant des pancartes Yahoo! ont défilé au milieu des homosexuels. De même, un échange original vient d’être négocié avec la série télévisée «Urgences» : Yahoo! fournit des accès Internet et quand, au cours des épisodes, les acteurs se brancheront sur le Web, le site apparaîtra clairement à l’écran. Autre exemple : en septembre dernier, la firme a loué un stand à la Fête de «l’Humanité». Il a été pris d’assaut. Non pas parce qu’il s’agissait d’une affreuse entreprise capitaliste. Mais par curiosité : les visiteurs étaient fascinés par Internet. Pari gagné.
Jacques Henno

Article paru dans Capital en février 1999

Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons

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Les petits Bill Gates du business français

Article paru dans le mensuel Capital en octobre 1998

La France, nulle en high-tech ? Faux : une nouvelle génération d’entrepreneurs émerge, qui n’a pas eu besoin d’émigrer en Californie pour faire fortune. Puissent ces jeunes loups faire des émules

Depuis des mois, on se l’arrache. Du 24 au 28 septembre, Nicolas Gaume, patron de Kalisto et étoile montante du jeu vidéo, a accompagné Lionel Jospin lors de son voyage officiel en Chine. Il avait auparavant visité le Japon en compagnie de Jacques Chirac et été présenté à des sommités du business, comme Bill Gates ou Steven Spielberg Voilà donc ce petit génie transformé en porte-drapeau du high-tech français. A son actif, plusieurs best-sellers mondiaux qui tournent sur les PlayStation de Sony ou les consoles Nintendo.
Mais Jospin et Chirac auraient pu inviter bien d’autres entrepreneurs tout aussi dynamiques. Car en France, pays de cocagne dont on souligne souvent le retard dans les nouvelles technologies, une génération de «petits Bill Gates» est en train d’émerger. Une trentaine de «start-up» (jeunes sociétés) voient le jour chaque année chez nous dans l’informatique de pointe. Pas si mal, quand on sait qu’il ne s’en crée pas plus de 500 aux Etats-Unis. De Bernard Liautaud, spécialiste des bases de données, aux frères Guillemot, qui règnent sur un petit empire du CD-Rom, en passant par Jacqueline Lejeune, la reine des modems, tous ont reproduit avec succès les recettes de la Silicon Valley : recours au capital-risque, distribution de stock-options au personnel et introduction rapide en Bourse. «Une vraie gageure, car la législation et la fiscalité françaises ne sont pas du tout adaptées à nos besoins, soupire Bernard Liautaud. Les charges sociales sur les stock-options, par exemple, sont un énorme handicap.»
Pour desserrer ce carcan, une centaine de patrons se sont regroupés au sein de l’association Croissance Plus, fondée par Denis Payre (Business Objects). Animé désormais par Bruno Vanryb (BVRP), ce «CNPF du high-tech» fait du lobbying de haut vol. Le 17 mars dernier, une délégation a été reçue par Jacques Chirac, puis, quelques jours plus tard, par Dominique Strauss-Kahn. En septembre, c’était le tour de Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque de France, et de René Monory, le président du Sénat. Ces efforts commencent à porter leurs fruits. La fiscalité sur les stock-options vient ainsi d’être allégée. «Mais nous avons beaucoup d’autres revendications», prévient Bruno Vanryb. Parmi celles-ci, la création, près de la Bibliothèque de France, à Paris, d’un quartier réservé aux start-up, où elles trouveraient des locaux et des financements. Une pépinière de petits Bill Gates.
Sylvain Courage et Jacques Henno

Bernard Liautaud (Business Objects – logiciels d’aide à la décision)

Sans doute la plus belle «success story» française de ces dernières années. En août 1990, Bernard Liautaud et Denis Payre, deux cadres d’Oracle France, démissionnent et créent Business Objects. Huit ans plus tard, leur société est cotée au Nasdaq, la Bourse américaine des valeurs high-tech, et réalise 700 millions de francs de chiffre d’affaires, ce qui la classe au soixantième rang mondial des éditeurs de logiciels. Les deux compères se retrouvent ainsi à la tête d’une fortune estimée à 100 millions de francs. Leur spécialité ? La consultation des bases de données : grâce à leurs programmes, n’importe quel cadre peut vérifier l’état des stocks ou trier le fichier clients de son entreprise. Business Objects a même conquis le marché américain. Sa première filiale y a ouvert ses portes dès 1991. Arnold Silverman, beau-père de Bernard Liautaud et ancien responsable de l’American Electronic Association (la fédération des sociétés américaines d’électronique), leur a donné un coup de main. «Aujourd’hui, nous réalisons le tiers de nos ventes outre-Atlantique», confie Bernard Liautaud, qui fait constamment la navette entre Paris et la Silicon Valley. A 35 ans, ce diplômé de Centrale Paris et de l’université Stanford (Californie), mordu de foot, dirige seul l’entreprise : Denis Payre n’intervient plus dans la gestion quotidienne.
Après avoir connu une année 1997 difficile, avec le lancement d’un logiciel infesté de «bugs», Business Objects a vu son chiffre d’affaires grimper de plus de 50% au premier semestre 1998. La success story continue.
J.H

Pierre Haren : Ilog (logiciels d’optimisation des ressources)
Déjà leader mondial dans sa spécialité
On peut avoir été reçu deuxième à Polytechnique, fait les Ponts et Chaussées et suivi les cours du très sérieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) sans perdre le sens de l’humour. Il ne se passe pas cinq minutes sans que Pierre Haren n’interrompe la conversation par une plaisanterie. «Plus je vieillis, plus je rigole», confie cet ingénieur de 45 ans qui dirige Ilog, le leader mondial des composants pour logiciels (des programmes qui permettent, par exemple, de visualiser des données ou de résoudre des problèmes logistiques complexes). Cette entreprise, qu’il a fondée en 1987, compte presque tous les grands groupes industriels parmi ses clients : Ford, IBM, Alcatel, Michelin Cotée au Nasdaq, Ilog réalise 330 millions de francs de chiffre d’affaires annuel. Consécration suprême, Hasso Plattner, P-DG de SAP, le géant allemand des logiciels intégrés de gestion, vient d’acquérir 5% de son capital, pour 60 millions de francs.
J.H.

Bruno Vanryb : BVRP (logiciels de communication)
Il a démarré avec 20 000 francs
Entre BVRP, son entreprise, Croissance Plus, le lobby patronal qu’il préside, Centaure, l’association pour le développement de l’art contemporain qu’il anime, et sa passion pour les motos anciennes, Bruno Vanryb, 41 ans, ne chôme pas. Dans la même semaine, il peut conduire une délégation de jeunes patrons à l’Elysée pour y rencontrer Jacques Chirac, lancer un nouveau produit, puis partir à la recherche d’une Triumph d’occasion.
Cet ancien ingénieur du son (il avait enregistré «Il tape sur des bambous», de Philippe Lavil) est venu à l’informatique pour arrondir ses fins de mois : il pigeait pour des revues spécialisées. Au chômage, en 1983, il s’est lancé dans l’édition de livres informatiques et a fondé BVRP (ses initiales, BV, et celles de Roger Politis, son associé). «On a investi toutes nos économies de l’époque : 20 000 francs», se souvient-il. De fil en aiguille, les deux autodidactes ont créé un gestionnaire de fichiers, vendu par correspondance, puis un logiciel pour envoyer des fax à partir d’un ordinateur. Jackpot ! Devenu numéro 1 européen de ce secteur, BVRP réalise aujourd’hui près de 60 millions de francs de chiffre d’affaires et pèse plus de 400 millions à la Bourse de Paris. Ses 180 salariés se frottent les mains. Ils ont tous reçu des stock-options. J.H.

Fedex, le coursier qui livre plus vite que son ombre

Une flotte de 610 avions, une informatique monstrueuse… Grâce à son organisation d’enfer, la firme américaine est devenue le premier transporteur de la planète. Et un des plus rentables.

Minuit, aéroport de Memphis, au coeur des Etats-Unis. Toutes portes ouvertes, 143 avions-cargos arborant les couleurs de Federal Express sont alignés sur le tarmac, éclairés comme en plein jour. Dans un bruit d’enfer, une noria de chariots élévateurs déchargent ces appareils, venus de Chicago, Paris, Mexico ou Tokyo, avec dans leurs soutes 1,9 million de lettres et de colis pour Boston, Moscou, Pékin, Pretoria… Dans moins de deux heures, toutes ces marchandises auront été regroupées par destinations et rembarquées à bord d’un Boeing en partance pour San Francisco, Londres ou Rio. A l’intérieur de quatre gigantesques hangars, 5 000 manutentionnaires, dans une chaleur étouffante, sont affectés au tri, partiellement automatisé : les colis sont orientés vers le bon avion par 150 kilomètres de tapis roulant. A la fin des opérations, il y aura moins de 300 paquets égarés, se vante la direction. Soit un taux d’erreur dérisoire (0,02%).
Ce miracle se répète quotidiennement à Memphis et dans les douze autres «hubs» (plates-formes de tri) de FedEx, édifiés à New York, Subic Bay (une ancienne base militaire américaine aux Philippines), Roissy ou Tokyo… Chaque jour, la firme américaine transporte à travers le monde plus de 3 millions d’objets, de la portière de BMW aux ordinateurs Dell en passant par le linge sale de quelques riches businessmen. Elle possède 610 avions (trois fois plus qu’Air France), qui relient 211 pays. Avec un chiffre d’affaires annuel de 79,8 milliards de francs et un bénéfice net de 2,5 milliards, le coursier de Memphis est devenu le leader du transport rapide par avion. Une activité, encore balbutiante il y a quelques années, qui bénéficie désormais à plein de la mondialisation de l’économie et de l’explosion des échanges.
«La part du fret aérien dans le commerce international devrait passer de 5% en 1995 à 40% en 2015, prédit Jeff Kauffman, analyste chez Merril Lynch, une banque d’affaires new-yorkaise. Et FedEx est à mon avis l’un des transporteurs les mieux placés pour profiter de ce boom.» Comparé à ses deux principaux concurrents, l’américain UPS (environ 72 milliards de francs de chiffre d’affaires dans le transport aérien) et DHL, une filiale de Lufthansa et de Japan Air Lines (27 milliards de francs), il dispose en effet de la meilleure couverture internationale et ses tarifs sont souvent plus avantageux.
«C’est pour cela que nous l’avons choisi», confirme Enzo Basso, directeur de la logistique de Louis Vuitton. Le malletier français possède aux Etats-Unis 60 boutiques, réapprovisionnées directement depuis Paris. Toutes les semaines, un camion se rend au centre logistique de Vuitton, à Cergy-Pontoise. Il le quitte vers 15 heures, chargé de 300 colis, pour se rendre directement au «hub» de Roissy. La précieuse cargaison s’envole alors pour Memphis, d’où elle repart pour se retrouver en rayon, le lendemain matin (heure locale), à Boston, Miami ou Los Angeles. Luxe suprême : à tout moment, les responsables de Vuitton peuvent localiser leurs envois. Il leur suffit d’appeler une opératrice FedEx et de lui communiquer leur numéro d’expédition. «Vos paquets sont en cours de dédouanement à Memphis», leur précise-t-on aussitôt. C’est ce que l’on appelle le «tracking» (traçabilité), un service que la firme de Memphis a été la première à proposer. Dès qu’un colis passe entre les mains d’un manutentionnaire, le code-barres qu’il porte est scanné et ses coordonnées sont immédiatement transmises aux ordinateurs de Memphis. En moyenne, chaque paquet est ainsi identifié 11 fois, ce qui permet de le suivre pratiquement heure par heure.
Pourtant, cette superbe organisation a bien failli ne jamais voir le jour. En 1965, un certain Frederick (Fred) Smith, 21 ans, étudiant à l’université Yale, rédige un mémoire sur la création d’une entreprise de messagerie spécialisée dans les pièces détachées d’ordinateurs. Verdict de ses profs : «Aucun intérêt.» Mais Fred Smith persiste. Début 1971, à son retour de la guerre du Vietnam, il crée Federal Express. Les opérations démarrent en mars 1973 sur l’aéroport de Memphis avec 33 Falcon, les jets d’affaires de Dassault, qui relient douze villes des Etats-Unis. Les débuts sont difficiles. Pendant deux ans, FedEx va perdre 1 million de dollars par mois. «Certains pilotes devaient payer eux-mêmes le fuel des avions», se souvient James Perkins, un des premiers employés, devenu patron des ressources humaines.
Mais, peu à peu, les clients affluent, séduits par la qualité du service. A partir de 1978, pour faire face à la demande, les Falcon sont remplacés par des Boeing. En 1983, dix ans seulement après sa création, l’entreprise dépasse le milliard de dollars de chiffre d’affaires. C’est la première fois qu’une firme américaine grandit aussi vite.
Le maillage des USA terminé, priorité est donnée, en 1984, à l’international. La greffe prend en Asie, mais, malheureusement, pas en Europe. Les clients ne voient pas l’intérêt de payer une fortune pour faire acheminer un pli en 24 heures au sein de l’Allemagne. «Contrairement au Post Office américain, la plupart des postes européennes fonctionnent bien», concède l’actuel directeur général, David Bronczek, un grand gaillard blond qui sait de quoi il parle. Nommé en mars 1993 directeur pour l’Europe, il y a fermé la plupart des bureaux : ils perdaient jusqu’à 400 millions de dollars par an. Une véritable hémorragie.
Aujourd’hui, FedEx, qui emploie 140 000 salariés, s’est recentré sur ses activités les plus rentables. «Nous sommes présents dans tous les Etats-Unis, mais, à l’étranger, nous n’assurons que des liaisons internationales, explique Theodore Weise, qui occupe le poste de P-DG laissé vacant par Fred Smith, parti au début de cette année diriger FDX, la holding du groupe. Les villes que nous relions représentent, au total, 90% du PNB mondial.»
Pour desservir toutes ces destinations, 450 vols quotidiens sont nécessaires. Tous sont gérés depuis le «Global operations control», le centre de commandement de Memphis. Dans ce bunker, 70 techniciens surveillent, sur un écran géant, le déplacement des avions FedEx à l’intérieur des Etats-Unis, et, sur un gigantesque tableau aimanté, le bon déroulement des vols internationaux, symbolisés par des «magnets» de couleur. Cette équipe a pour mission d’éviter tout retard dans la livraison des colis. Le moindre pépin a été prévu. En cas d’incidents mécaniques, 17 appareils, capables de décoller dans la demi-heure, sont en stand-by, un peu partout dans le monde, tandis que six «avions balais» sont déjà en l’air, vides et prêts à se dérouter pour embarquer une cargaison en souffrance.
Même obsession des délais pour les opérations au sol. Dans tous les centres de tri, des écrans rappellent aux manutentionnaires le nombre de minutes restant avant le décollage. Stressant. Mais l’entreprise sait manier la carotte. Les salariés les plus zélés se voient décerner un «bravo zulus», expression qui, dans l’armée américaine, signifie «bon travail». 100 000 de ces récompenses sont distribuées chaque année, sous forme de billets de théâtre ou de primes de 100 dollars. Parmi les bénéficiaires, Reynold Feliciano, chauffeur à Puerto Rico (Caraïbes). Sa camionnette étant tombée en rade, il a appelé un de ses amis, propriétaire d’une dépanneuse. Ainsi remorqué, il a livré tous ses colis à l’heure.
Si ce sont les hommes et les avions qui assurent la bonne marche de l’entreprise, c’est l’informatique qui lui fait gagner de l’argent. Avec 55 millions de transactions électroniques traitées par jour, FedEx dispose d’un des systèmes les plus puissants au monde, juste derrière Swift, celui qui est utilisé pour les virements interbancaires. «Nous employons 4 500 informaticiens et investissons chaque année 8,4 milliards de francs en technologie de l’information, révèle Chris Hjelm, le directeur informatique. Ces dépenses n’ont qu’un seul but : dégager des gains de productivité.»
Les ordinateurs sont présents tout au long de la chaîne de transport. 100 000 PC ont été mis en place chez les clients réguliers pour leur permettre de remplir eux-mêmes les bordereaux d’expédition, ce qui représente autant de travail en moins pour FedEx. Grâce à ce système, 60% des commandes se font par voie électronique. Les 40% restants sont traités par des standardistes, assistées par l’informatique. L’ordinateur vérifie le numéro de téléphone du correspondant et, s’il s’agit d’un ancien client, fournit aussitôt ses coordonnées. Le but est de limiter l’appel à moins de 129 secondes. «Si, sur l’année, nous parvenions à diminuer la durée moyenne d’une seule seconde, nous gagnerions 500 000 dollars de plus», calcule James Petrie, le responsable des relations clientèle pour le Sud des Etats-Unis.
Une fois les colis pris en charge par FedEx, ils sont suivis et parfois même triés par les ordinateurs. Depuis septembre dernier, toutes les lettres qui transitent par Memphis sont traitées par une immense machine, installée dans un immeuble climatisé de trois étages. Ce centre ultramoderne est capable de trier 325 000 plis à l’heure. Au passage, chaque lettre est pesée, ce qui permet à l’ordinateur de vérifier le poids indiqué par l’expéditeur. Les surcharges (fréquentes) sont immédiatement refacturées. Cela devrait permettre d’amortir en moins de cinq ans cette installation, qui a coûté 1 milliard de francs.
Mais l’entreprise ne compte pas en rester là. Forte de sa maîtrise de l’informatique, elle entend bien profiter du boom du commerce électronique. Elle propose déjà à ses clients un nouveau service, baptisé «Virtual Order» et qui utilise toutes les possibilités d’Internet, depuis la conception du catalogue en ligne jusqu’à la livraison en passant par la facturation. «Des millions d’Américains et d’Européens vont bientôt acheter leurs équipements, du PC aux meubles, sur Internet. Il faudra bien que quelqu’un livre toutes ces commandes, rêve Theodore Weise, le P-DG de FedEx. Vous rendez-vous compte du marché que cela représente pour nous ?» Le «hub» de Memphis n’est pas près de s’arrêter

De notre envoyé spécial à Memphis, Jacques Henno

Article parus dans le mensuel Capital en septembre 1998

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