Archives de catégorie : Silicon Valley

Comment empêcher Instagram ou TikTok de rendre nos ados accros aux écrans ?

J’ai publié hier matin dans le quotidien Les Échos une enquête sur les pratiques scandaleuses des réseaux sociaux : de plus en plus de plaintes et d’études les accusent d’avoir entretenu et caché leur caractère addictif.

Le 24 octobre 2023, 33 États américains ont ainsi porté plainte contre Facebook et Instagram, les accusant de rendre les enfants et les adolescents dépendants, au détriment de leur santé mentale et physique.

Le 25 octobre 2023, un rapport du Parlement européen a mis en garde contre la nature addictive des réseaux sociaux, dont l’impact sur les enfants et les adolescents est jugé très préoccupant.

À lire sur https://bit.ly/machinesaccros

Cet article comprend une liste de conseils :

• Activez ou installez un contrôle parental sur les écrans de vos enfants, en particulier dès que vous leur offrez un smartphone.
• Ce contrôle parental est installé d’origine sur les iPhone (fonction “Temps d’écran”). Pour les smartphones tournant sur Android, on peut télécharger, par exemple, Family Link, Norton Family, Qustodio, Kidslox, etc., sur Google Play.
• Ce contrôle parental vous permettra d’empêcher l’installation de nouvelles applications, en particulier celles des réseaux sociaux.
• Autre possibilité : si vous autorisez vos enfants à accéder à ces plateformes, le contrôle parental vous permettra de limiter le temps qu’ils y passent.
• Apprenez à vos enfants à désactiver les notifications en provenance des réseaux sociaux.
• Montrez-leur comment désactiver l’algorithme qui leur « pousse » des contenus personnalisés. Cette option est disponible sur Instagram, TikTok et Snapchat.
• Passez l’affichage du smartphone en mode “nuances de gris”, ce qui le rend beaucoup, beaucoup moins attractif.

Demain, un cloud souverain européen ?

Plusieurs initiatives, françaises ou européennes, poussent à la création d’un cloud souverain européen capable de protéger les données industrielles sensibles.

J’ai publié mardi dans le quotidien Les Échos une enquête sur la volonté d’un nombre croissant d’acteurs économiques et politiques européens de disposer d’une offre de clouds souverains, conférant aux entreprises et administrations du Vieux Contient 1) autonomie face aux volontés hégémoniques des hébergeurs américains ou chinois et 2) protection contre les réquisitions juridiques des États-Unis : http://bit.ly/cloudsouv 

Confinement et temps d’écran des enfants

Fermeture des établissements scolaires, des lieux publics interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, et enfin confinement (que je vous invite tous, bien sûr, à respecter le plus scrupuleusement possible). Inutile de dire que toutes mes conférences ont été annulées.
 
En attendant des temps meilleurs et de pouvoir repartir sur les routes, je vous propose quelques conseils pour vous aider à encadrer l’utilisation des réseaux sociaux par vos (pré)adolescentes et (pré)adolescents, qui vont bénéficier d’un peu plus de temps libres au cours des prochaines semaines.
 
Bien sûr, il est normal, en cette période de confinement, qu’ils veuillent retrouver leurs ami(e)s sur WhatsApp, Instagram, Snapchat, TikTok…
 
Beaucoup de parents de collégien(ne)s qui, jusqu’ici avaient tenu bon, ont légitimement donné un téléphone mobile ou un smartphone à leur enfant afin qu’il puisse garder le contact avec ses camarades de classe, pour échanger des nouvelles ou travailler en groupes. 
 
Mais, nous parents, pouvons aussi profiter de ces moments – plus longs que d’habitude – que nous allons passer avec eux pour entamer un dialogue constructif au sujet des écrans et plus particulièrement des réseaux sociaux. 
 
C’est d’abord l’occasion d’insister sur le fait que ces semaines sont exceptionnelles. Certes il sera difficile de reprendre leur appareil à ceux qui viennent d’en avoir un, mais il sera souhaitable de restreindre le temps d’utilisation de tous, une fois la situation sanitaire redevenue normale. 
 
Il faut d’abord encourager la prudence : WhatsApp, qui, normalement, ne permet de créer que des groupes fermés à partir des numéros de téléphone des personnes que l’on connaît, est plus sécurisé, a priori, que les autres réseaux où l’on peut être abordé par des inconnus.
 
Il faut ensuite rappeler à nos enfants, en termes simples, le modèle économique de ces applications. Lorsque j’interviens devant des collégiens ou des lycéens, je leur explique que ces plateformes n’ont qu’un seul but : leur faire passer le maximum de temps devant leurs écrans afin de pouvoir leur montrer le plus de publicités possibles et, ainsi, maximiser leurs profits. Je leur détaille également quelques astuces mises au point par les Instagram et autres Snapchat pour capter leur attention : l’autoplay* (les vidéos qui se déclenchent automatiquement), les flammes sur Snapchat**…
 
Si vous souhaitez en savoir plus sur les conséquences du temps passé par les jeunes sur les réseaux sociaux, je vous invite à lire l’article que j’ai publié en novembre dernier dans le quotidien Les Échos après avoir rencontré une dizaine d’universitaires spécialistes du sujet dans la Silicon Valley :  Comment décrocher les ados de leurs écrans ?  http://bit.ly/decrocherdesreseaux 
 
 
 
 
Enfin, si, comme moi, vous êtes persuadés que même en la période actuelle, nos enfants ne doivent pas avoir un accès illimité aux réseaux sociaux, mais que leur temps d’écran doit être encadré, voici quelques conseils pratiques sous forme d’une vidéo de 110 secondes : http://bit.ly/aiderados 

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*autoplay : déclenchement automatique des vidéos apparaissant dans les fils d’actualité, sur les réseaux sociaux tels qu’Instagram. Nous commençons à voir le début d’une vidéo, d’une histoire, ce qui nous incite à la voir jusqu’au bout et, ainsi, à passer plus de temps sur ces réseaux sociaux.
**les flammes sur Snapchat : au bout de trois jours consécutifs de conversation avec la même personne sur Snapchat, les échanges avec cet(te) ami(e) sont ornés de dessins de flamme. Mais si vous passez un jour sans discuter avec cette personne sur Snapchat, les flammes disparaissent ! Cela incite les jeunes à revenir tous les jours sur Snapchat.

Interrogé par le Point

J’ai été interrogé, aux côtés d’autres experts, pour la couverture du Point de cette semaine consacrée aux écrans.


https://www.lepoint.fr/versions-numeriques/


N° 2452 – 

Le RGPD ne serait-il qu’une passoire ?

Vous vous croyez, en tant qu’Européens protégés par le RGPD ? Vous pensez que ce fameux Règlement Général sur la Protection des Données, applicable depuis le 25 mai dernier, met vos données personnelles à l’abris de tout abus ?  Pas si simple : RGPD ou pas, les plateformes d’« ad exchange », qui servent d’intermédiaires entre les annonceurs et les sites ou les applications sur smartphone qui veulent vendre leur espace publicitaire, communiquent allègrement nos données aux annonceurs…
Connaissez-vous les plateformes d’« ad exchange » ? Non ? Vous devriez vous y intéresser car ces plateformes sont au cœur du marché de la publicité sur Internet : ces programmes informatiques de vente et d’achat d’espaces publicitaires sur Internet mettent en relation des acheteurs (agences de publicité, agences médias ou annonceurs directement) et des vendeurs (sites Web, réseaux ou régies publicitaires) : les espaces publicitaires sont mis aux enchères et vendus aux plus offrants. Mais les vendeurs ne mettent pas que leurs espaces publicitaires à la disposition des acheteurs : ils proposent aussi des informations sur les internautes qui pourront voir les publicités des acheteurs. C’est ainsi que nos données de géolocalisation peuvent se retrouver “en vente” sur ces plateformes (lire ci-dessous les explications d’Armand Heslot, expert à la CNIL, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés)
Résultat ? Nos données de géolocalisation se retrouvent entre des mains inconnues…  Le créateur d’une société spécialisée dans l’exploitation des données de géolocalisation à des fins statistiques et de marketing s’est récemment vanté dans un grand quotidien économique français de pouvoir « observer les trajets d’une personne via une publicité sur mobile, grâce aux accords passés avec certaines plates-formes. »
Comment cela est-il possible alors que le fameux RGPD (règlement général sur la protection des données) est applicable depuis le 25 mai 2018 ? En fait, ce règlement doit être encore accompagné de textes dits « spéciaux » qui vont préciser son application dans certains domaines spécifiques. C’est ainsi qu’une nouvelle directive « ePrivacy » va définir l’application du RGPD aux traitements réalisés dans le contexte des communications électroniques : elle va encadrer la collecte des données sur mobile et sur Internet.
Une première version de la directive ePrivacy existe depuis 2002 et a été modifiée en 2009. « Dans les faits, elle n’est pas appliquée », constate un spécialiste du sujet. Elle n’a été traduite et transcrite dans le droit français qu’en août 2011 et cette transcription laissait substituer de nombreuses zones d’ombre. De plus, la directive est en pleine réécriture au niveau européen ; la nouvelle version devrait entrer en vigueur au cours de l’année 2019. « Dans ce contexte, il est difficile d’appliquer une politique de contrôle », poursuit ce spécialiste.
Le futur texte ePrivacy devrait prévoir « comme principe le recueil du consentement des utilisateurs avant toute utilisation de traceur au sein des terminaux (téléphone, tablette, ordinateur, etc.). La notion de traceur s’entend ici au sens très large puisqu’il s’agit de toutes techniques permettant de suivre les utilisateurs : cookies, empreintes numériques (fingerprinting), pixels invisibles (web bugs) »… (Rapport d’activité 2017 de la CNIL, p. 31).
Autant dire qu’en coulisse les lobbyistes des grands groupes de communication électronique (Cisco, Facebook, Google, IBM, Microsoft, SAP, mais aussi l’IAB, l’Interactive Advertising Bureau, une organisation regroupant les principaux acteurs de la publicité en ligne…) s’activent auprès de la Commission Européenne pour que ce texte soit le moins contraignant possible…
En attendant, les plateformes d’« ad exchange » communiquent la nature de l’appareil que nous utilisons (marque et modèle, nom de l’éventuel opérateur de téléphonie mobile, dimension de l’écran…), notre géolocalisation, notre âge, notre sexe, notre adresse habituelle… Les entreprises peuvent ainsi poursuivre la “réification” de leur stratégie de pouvoir : faire de nous des objets, mesurables et manipulables à distance…
Jacques Henno

 

Armand Heslot (CNIL) : « Une application que vous avez installée sur votre smartphone peut transférer aux annonceurs vos données de géolocalisation »

 
Armand Heslot (service de l’expertise technologique de la CNIL)
 Armand Heslot est ingénieur au service de l’expertise technologique de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés)
  • Comment nos données de géolocalisation sont-elles partagées par les plateformes d’« ad exchange » ?
  • Armand Heslot : La plupart des espaces publicitaires sur les mobiles ou le Web sont effectivement vendus aux enchères par l’intermédiaire de réseaux de commercialisation de publicités, appelés plateformes d’« ad exchange ». Les échanges d’informations ayant lieu au sein de ces plateformes sont régis par des spécifications techniques élaborées par l’Interactive Advertising Bureau, une organisation regroupant les principaux acteurs de la publicité en ligne. J’invite d’ailleurs tous vos lecteurs à consulter la spécification « open RTB » (pour « real-time bidding », enchère en temps réel) de l’IAB. Ils y verront quels formats sont utilisés et surtout quels types d’information sur leur géolocalisation peuvent être transmises : leurs coordonnées GPS, leur adresse IP ou une localisation qu’ils ont eux-mêmes communiquée à un site ou une application.
  • Quelles sont les conséquences pour l’utilisateur d’une application sur smartphone ?
  • Armand Heslot : Une application que vous avez installée sur votre smartphone peut transférer aux annonceurs qui lui achètent des espaces publicitaires vos données de géolocalisation très précises, obtenues par l’intermédiaire du GPS de votre téléphone. Si vous désactivez la géolocalisation sur votre mobile ou si vous ne donnez pas les autorisations d’accès à la géolocalisation à une application, celle-ci ne pourra plus accéder à vos coordonnées GPS, mais elle pourra utiliser d’autre moyens pour avoir une estimation de votre localisation comme votre adresse IP ou l’adresse physique que vous avez déclarée en vous inscrivant sur cette application…
  • Ces transferts d’informations de géolocalisation ne sont pas encadrés par la loi ?
  • Armand Heslot : Si, la CNIL considère que la collecte de données de géolocalisation précises nécessite le consentement des personnes. Par ailleurs, la directive européenne  du 12 juillet 2002 sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, appelée également directive « ePrivacy » encadre la collecte des données sur mobile et sur le web (Cette directive est en pleine réécriture au niveau européen et devrait être transformée en un règlement). Elle a été traduite et transcrite dans le droit français en août 2011, et a donné lieu à la recommandation du 5 décembre 2013, dans laquelle la CNIL a estimé que la collecte et le transfert de telles données devaient faire l’objet d’un consentement de la part des internautes. Ce que la CNIL constate au travers de ses contrôles, c’est que même si des mécanismes de demande d’autorisation des utilisateurs sont mis en place, l’information est trop souvent incomplète, ce qui rend le consentement des personnes non valable.

Propos recueillis par Jacques Henno

 

 

Les principaux acteurs de l’« ad exchange »

  • AppNexus
  • DoubleClick (Google/Alphabet…)
  • Oath (marque réunissant AOL, Yahoo!…)
  • OpenX
  • Rubicon Project Exchange
  • Smaato

 

Sur RTL pour parler de Facebook et de nos données, qu’il utilise pour gagner de l’argent

J’étais l’invité lundi dernier, 18 septembre 2017, de la seconde partie de La curiosité est un vilain défaut, l’émission que Sidonie Bonnec et Thomas Hugues animent tous les jours de la semaine sur RTL, entre 14H et 15H.

Au programme : comment Facebook s’empare des données que nous lui confions en nous inscrivant et en utilisant ce réseau social  ; comment ils nous suit à la trace sur tous les sites Web disposant d’un bouton « J’aime » ; comment Facebook gagne de l’argent avec ces informations ; et pourquoi il est régulièrement pointé du doigt par la CNIL et d’autres agences européennes de protection des données…

Une émission à réécouter sur http://ift.tt/2jCkz8N (cliquez sur le fichier Facebook, en dessous de la photo des deux animateurs).

 

Uber en sait-il plus sur nous que Facebook ? Ou une autre raison d’apprendre à nos enfants à respecter la vie privée.

L’entreprise spécialisée dans les véhicules avec chauffeur se vante de savoir qui a eu une aventure d’un soir.

Les anglo-saxons appellent cela le « walk of shame », « la marche de la honte », le trajet qui sépare son appartement de celui de son partenaire d’une nuit : quelqu’un rentre chez lui/elle, mal rasé ou sans maquillage, tôt le matin après avoir passé une partie de la nuit chez un/une partenaire rencontré(e) dans un bar, une soirée… Bradley Voytek préfère, lui,  parler de « ride of glory » (trajet de la gloire).
Portrait de Bradley Voytek sur son site http://darb.ketyov.com/

Le plus troublant, c’est que Bradley Voytek est data evangelist (il promeut l’analyse des données) pour Uber, l’application qui permet de commander une voiture avec chauffeur. Et que Bradley Voytek se vante de pouvoir utiliser les données collectées par les ordinateurs de cette entreprise pour savoir qui a eu une aventure d’un soir… Sur le blog qu’il tient pour Uber, Bradley Voytek s’est livré à une longue analyse des « rides of glory » dans six villes américaines, démontrant leur augmentation en fin de semaine (le samedi matin et le dimanche matin) et, dans l’année, par exemple au moment du Tax Day (date limite, vers le 15 avril, aux Etats-Unis pour remplir sa déclaration de revenus ; certains Américains reçoivent alors un remboursement de la part du Fisc…). En revanche, le nombre de « rides of glory » s’effondre à l’approche de la Saint Valentin…
Evolution du nombre de « Rides of Glory » au cours d’une année (source : http://blog.uber.com/ridesofglory)

 

Dans un message précédent, Bradley Voytek avait même établi une corrélation, toujours grâce aux données collectées par Uber, entre le versement des chèques d’allocation et de la Sécurité sociale (les deuxième, troisième et quatrième mercredis du mois, aux Etats-Unis) et la fréquentation des prostituées.

Bien sûr, pour ses calculs, Bradley Voytek n’utilise que des données anonymisées. Mais avant d’être anonymisées, ces données correspondent à des cas réels dont elles révèlent toute la vie. Lors des réunions que les dirigeants d’Uber organisent avant l’ouverture de leur service dans une nouvelle ville, ces responsables auraient même utilisé un logiciel maison, baptisé « God view » (« Ce que voit Dieu », tout un programme…) pour montrer à leur assistance qu’ils pouvaient suivre en direct les déplacements de leurs clients… Ce qui constitue, bien sûr, une violation de la vie privée (sauf dans de très rare cas où cela serait justifié par des nécessités de service ou de sécurité).
Utilisation de God View lors du lancement de Uber à Boston (source : http://www.forbes.com/sites/kashmirhill/2014/10/03/god-view-uber-allegedly-stalked-users-for-party-goers-viewing-pleasure/)


Toutes ces informations sont remontées la surface à la suite d’une récente polémique opposant une journaliste de San Fransisco et un cadre d’Uber, qui se disait prêt à espionner la vie privée de cette dernière (dont il ne supporte pas les articles qu’elle consacre à son entreprise).

Au-delà de cette polémique, le plus choquant est, bien sûr, l’extrême indiscrétion des données collectées (par exemple, qui a fait un « walk of shame » et donc une rencontre d’une nuit, selon Uber) par une simple application sur un smartphone. Un sénateur américain vient d’ailleurs d’écrire aux dirigeants d’Uber pour leur demander des éclaircissements sur l’utilisation des données qu’ils collectent.

Si nous n’apprenons pas aujourd’hui à nos enfants à maîtriser leurs données, à faire respecter leur vie privée, demain ce sont les données des autres, qu’ils seront sans doute conduits à manipuler dans le cadre de leur travail, qu’ils ne respecteront pas. Et les outils formidables que constituent les nouvelles technologies pourraient bien donner naissance à une dictature numérique mondiale.

Pourquoi il faut apprendre aux enfants à bien paramétrer Facebook : demain, ce seront les données des autres qu'ils ne respecteront pas

Devenus adultes, les ados d’aujourd’hui travailleront peut-être dans l’analyse des données, un métier en plein essor. Si nous ne les aidons pas, maintenant, à faire respecter, sur Facebook, leur intimité et à respecter celle de leurs amis, ils risquent fort de ne pas acquérir de bons réflexes en termes de défense de la vie privée. Et de conserver ces comportements dans leur travail, où ils seront justement conduits à manipuler des données personnelles. Les conséquences pourraient être catastrophiques sur les libertés individuelles.


Adam D. I. Kramer, Jamie E. Guillory et Jeffrey T. Hancock – photos extraites de leurs profils Facebook ou Linkedin

Trois brillants trentenaires américains, Adam D. I. Kramer, «data scientist» (data scientifique ou chargé de modélisation des données) au service « Recherche » de Facebook, Jamie E. Guillory, chercheuse postdoctorale à l’université de San Francisco, et Jeffrey T. Hancock, professeur à l’université Cornell (Ithaca, état de New York), ont publié le 17 juin 2014 une étude intitulée « Preuve expérimentale de contagion émotionnelle à grande échelle par l’intermédiaire des réseaux sociaux » (« Experimental evidence of massive-scale emotional contagion through social networks »).

Ces trois titulaires d’un doctorat (en communication pour la jeune femme et en psychologie pour ses deux collègues) y affirment avoir modifié les contenus vus par 689 003 utilisateurs, consultant Facebook en anglais, du 11 au 18 janvier 2012 ; ils voulaient prouver que plus un internaute voyait de messages négatifs sur ce réseau, plus il aurait tendance à publier lui-même des messages négatifs ; inversement avec les messages positifs.

Les résultats de ce travail doivent être relativisés, puisque seulement 0,1% à 0,07% des internautes auraient modifié leur comportement. Mais sa révélation a, fort justement, suscité un tollé dans le monde entier : certes Facebook n’a rien à se reprocher sur le plan légal (1), mais avait-il le droit moral de manipuler ses utilisateurs ?

Voilà trois jeunes gens bardés de diplômes qui n’ont pas réfléchi aux conséquences de leurs agissements. Comment le pourraient-ils ? Voilà des années qu’ils dévoilent leur vie sur les réseaux sociaux : Jeffrey T. Hancock et Jamie E. Guillory utilisent Facebook depuis 2004, et Adam D. I. Kramer, depuis 2007.

Ils pourraient servir de cobayes pour une étude validant la prophétie que Mark Zuckberg, le fondateur de Facebook, fit en 2010 : « la vie privée n’est plus une norme sociale.» Comment des jeunes gens, à qui ce réseau social a fait perdre la notion même de vie privée, pour eux, mais aussi pour les autres – ce qui leur a donc fait ôter une grande partie de ce qui constitue le respect d’autrui-, pourraient-ils avoir des remords en manipulant les informations envoyées à des internautes ?

Voilà bien ce qui risque d’arriver si nous n’ouvrons pas les yeux de nos adolescents sur le modèle économique des sites Internet gratuits comme les réseaux sociaux (ils revendent nos données à des entreprises, sous formes de publicité) et si nous ne les sensibilisons pas au respect de la vie privée, entre autres en leur montrant comment paramétrer correctement leur profil Facebook : devenus adultes, s’ils travaillent sur des données personnelles, ils risquent de ne pas les estimer à leur juste valeur.

Or, ces données sont aussi précieuses que les êtres humains qu’elles représentent, puisqu’elles en constituent le « double numérique ».

Il est donc urgent de former les jeunes au respect des données : nombre d’entre eux vont devenir data scientist, comme Adam D. I. Kramer. On estime à un million le nombre de spécialistes de cette science qu’il va falloir former au cours des dix prochaines années dans le monde.

Nous vivons une « datafication (2) » de nos sociétés : bientôt tous les êtres humains, tous les objets produiront des données, par l’intermédiaire des capteurs dont ils seront équipés (un smartphone, par exemple, contient plusieurs capteurs permettant de suivre son propriétaire quasiment à la trace).

Schématiquement, on peut dire que l’analyse de cette quantité d’informations incroyables à laquelle l’humanité a désormais accès, constitue ce que l’on appelle le « Big Data » ; l’objectif du « Big Data » étant de trouver, au sein de ces données, des corrélations (des règles), qui vont expliquer des phénomènes jusqu’ici mystérieux. Puis de s’en servir pour réaliser des prédictions : quel traitement va le mieux marcher sur tel malade ? quelle pièce sur tel modèle d’avion assemblé telle année dans telle usine présente un risque de « casser » ? ou qui a le plus de chance de voter pour tel candidat (3) ?

Voici ce qu’a répondu Stéphane Mallat, 50 ans, mathématicien, professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Paris, lorsque j’ai demandé si les scientifiques n’avaient pas l’impression, avec le Big Data, de jouer avec le feu :«[…] un outil scientifique, on le sait très bien, on peut l’utiliser à des objectifs qui peuvent être complètement différents. Une roue, ça peut servir à faire un char de guerre tout comme à transporter de la nourriture. C’est absolument clair que les outils de Big Data peuvent avoir des effets nocifs de surveillance et il faut pouvoir le contrôler, donc là, c’est à la société d’établir des règles et surtout d’abord de comprendre la puissance pour pouvoir adapter la législation, les règles à l’éthique. A partir de là, en même temps, il faut bien réaliser qu’avec ces outils, on est capable de potentiellement considérablement améliorer la médecine, notamment en définissant des cures qui ne sont plus adaptées à un groupe de population, mais à une personne en fonction de son génome de son mode de vie.[…] Donc ce que je pense, c’est que c’est un outil extraordinairement riche et ensuite, c’est à nous tous en termes de société de s’assurer qu’il est utilisé à bon escient. (4) »

Commençons par éduquer nos ados au respect de leur propre vie privée.

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(1)  La Politique d’utilisation des données de Facebook précise « […] nous pouvons utiliser les informations que nous recevons à votre sujet : […] pour des opérations internes, dont le dépannage, l’analyse de données, les tests, la recherche et l’amélioration des services.»
(2) Victor Mayer-Schönberger, Kenneth Cukier, « Big Data A revolution that will transform how we live, work and think», Hougthon Mifflin Harcourt, Boston New York,  2013 p. 15
(3) voir mon livre  « Silicon Valley / Prédateurs Vallée ? Comment Apple, Facebook, Google et les autres s’emparent de nos données »
(4) le phénomène Big Data, Les fondamentales (CNRS), La Sorbonne, 15 novembre 2013, à réécouter sur http://ift.tt/1snUCUo (je pose ma question 1H05 après le début du débat).

Pourquoi il faut apprendre aux enfants à bien paramétrer Facebook : demain, ce seront les données des autres qu’ils ne respecteront pas

Devenus adultes, les ados d’aujourd’hui travailleront peut-être dans l’analyse des données, un métier en plein essor. Si nous ne les aidons pas, maintenant, à faire respecter, sur Facebook, leur intimité et à respecter celle de leurs amis, ils risquent fort de ne pas acquérir de bons réflexes en termes de défense de la vie privée. Et de conserver ces comportements dans leur travail, où ils seront justement conduits à manipuler des données personnelles. Les conséquences pourraient être catastrophiques sur les libertés individuelles.


Adam D. I. Kramer, Jamie E. Guillory et Jeffrey T. Hancock – photos extraites de leurs profils Facebook ou Linkedin

Trois brillants trentenaires américains, Adam D. I. Kramer, «data scientist» (data scientifique ou chargé de modélisation des données) au service « Recherche » de Facebook, Jamie E. Guillory, chercheuse postdoctorale à l’université de San Francisco, et Jeffrey T. Hancock, professeur à l’université Cornell (Ithaca, état de New York), ont publié le 17 juin 2014 une étude intitulée « Preuve expérimentale de contagion émotionnelle à grande échelle par l’intermédiaire des réseaux sociaux » (« Experimental evidence of massive-scale emotional contagion through social networks »).

Ces trois titulaires d’un doctorat (en communication pour la jeune femme et en psychologie pour ses deux collègues) y affirment avoir modifié les contenus vus par 689 003 utilisateurs, consultant Facebook en anglais, du 11 au 18 janvier 2012 ; ils voulaient prouver que plus un internaute voyait de messages négatifs sur ce réseau, plus il aurait tendance à publier lui-même des messages négatifs ; inversement avec les messages positifs.

Les résultats de ce travail doivent être relativisés, puisque seulement 0,1% à 0,07% des internautes auraient modifié leur comportement. Mais sa révélation a, fort justement, suscité un tollé dans le monde entier : certes Facebook n’a rien à se reprocher sur le plan légal (1), mais avait-il le droit moral de manipuler ses utilisateurs ?

Voilà trois jeunes gens bardés de diplômes qui n’ont pas réfléchi aux conséquences de leurs agissements. Comment le pourraient-ils ? Voilà des années qu’ils dévoilent leur vie sur les réseaux sociaux : Jeffrey T. Hancock et Jamie E. Guillory utilisent Facebook depuis 2004, et Adam D. I. Kramer, depuis 2007.

Ils pourraient servir de cobayes pour une étude validant la prophétie que Mark Zuckberg, le fondateur de Facebook, fit en 2010 : « la vie privée n’est plus une norme sociale.» Comment des jeunes gens, à qui ce réseau social a fait perdre la notion même de vie privée, pour eux, mais aussi pour les autres – ce qui leur a donc fait ôter une grande partie de ce qui constitue le respect d’autrui-, pourraient-ils avoir des remords en manipulant les informations envoyées à des internautes ?

Voilà bien ce qui risque d’arriver si nous n’ouvrons pas les yeux de nos adolescents sur le modèle économique des sites Internet gratuits comme les réseaux sociaux (ils revendent nos données à des entreprises, sous formes de publicité) et si nous ne les sensibilisons pas au respect de la vie privée, entre autres en leur montrant comment paramétrer correctement leur profil Facebook : devenus adultes, s’ils travaillent sur des données personnelles, ils risquent de ne pas les estimer à leur juste valeur.

Or, ces données sont aussi précieuses que les êtres humains qu’elles représentent, puisqu’elles en constituent le « double numérique ».

Il est donc urgent de former les jeunes au respect des données : nombre d’entre eux vont devenir data scientist, comme Adam D. I. Kramer. On estime à un million le nombre de spécialistes de cette science qu’il va falloir former au cours des dix prochaines années dans le monde.

Nous vivons une « datafication (2) » de nos sociétés : bientôt tous les êtres humains, tous les objets produiront des données, par l’intermédiaire des capteurs dont ils seront équipés (un smartphone, par exemple, contient plusieurs capteurs permettant de suivre son propriétaire quasiment à la trace).

Schématiquement, on peut dire que l’analyse de cette quantité d’informations incroyables à laquelle l’humanité a désormais accès, constitue ce que l’on appelle le « Big Data » ; l’objectif du « Big Data » étant de trouver, au sein de ces données, des corrélations (des règles), qui vont expliquer des phénomènes jusqu’ici mystérieux. Puis de s’en servir pour réaliser des prédictions : quel traitement va le mieux marcher sur tel malade ? quelle pièce sur tel modèle d’avion assemblé telle année dans telle usine présente un risque de « casser » ? ou qui a le plus de chance de voter pour tel candidat (3) ?

Voici ce qu’a répondu Stéphane Mallat, 50 ans, mathématicien, professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Paris, lorsque j’ai demandé si les scientifiques n’avaient pas l’impression, avec le Big Data, de jouer avec le feu :«[…] un outil scientifique, on le sait très bien, on peut l’utiliser à des objectifs qui peuvent être complètement différents. Une roue, ça peut servir à faire un char de guerre tout comme à transporter de la nourriture. C’est absolument clair que les outils de Big Data peuvent avoir des effets nocifs de surveillance et il faut pouvoir le contrôler, donc là, c’est à la société d’établir des règles et surtout d’abord de comprendre la puissance pour pouvoir adapter la législation, les règles à l’éthique. A partir de là, en même temps, il faut bien réaliser qu’avec ces outils, on est capable de potentiellement considérablement améliorer la médecine, notamment en définissant des cures qui ne sont plus adaptées à un groupe de population, mais à une personne en fonction de son génome de son mode de vie.[…] Donc ce que je pense, c’est que c’est un outil extraordinairement riche et ensuite, c’est à nous tous en termes de société de s’assurer qu’il est utilisé à bon escient. (4) »

Commençons par éduquer nos ados au respect de leur propre vie privée.

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(1)  La Politique d’utilisation des données de Facebook précise « […] nous pouvons utiliser les informations que nous recevons à votre sujet : […] pour des opérations internes, dont le dépannage, l’analyse de données, les tests, la recherche et l’amélioration des services.»
(2) Victor Mayer-Schönberger, Kenneth Cukier, « Big Data A revolution that will transform how we live, work and think», Hougthon Mifflin Harcourt, Boston New York,  2013 p. 15
(3) voir mon livre  « Silicon Valley / Prédateurs Vallée ? Comment Apple, Facebook, Google et les autres s’emparent de nos données »
(4) le phénomène Big Data, Les fondamentales (CNRS), La Sorbonne, 15 novembre 2013, à réécouter sur http://ift.tt/1snUCUo (je pose ma question 1H05 après le début du débat).

Cette semaine, France Culture, France Info et France 5 m'ont invité pour parler du programme américain de surveillance électronique

• Mardi 11 juin, j’ai été l’invité du journal de 18H de Tara Schlegel, pour parler du scandale Prism, le système d’espionnage américain,  révélé par Edward Snowden ; vous pouvez réécouter mon intervention en suivant ce lien :

http://www.franceculture.fr/emission-journal-de-18h-l-europe-s-inquiete-du-programme-prism-2013-06-11


• Jeudi 13 juin, je suis intervenu pendant Les Choix de France Info, l’émission de Jean Leymarie, pour parler de nos «Données personnelles : quelles traces laissons-nous ?», à réécouter sur :

http://www.franceinfo.fr/high-tech/les-choix-de-france-info/donnees-personnelles-quelles-traces-laissons-nous-1023355-2013-06-13


• Enfin, toujours, jeudi, j’étais sur le plateau de C Dans l’air, dont le thème était «Qui espionne qui ?»


http://www.france5.fr/c-dans-l-air/international/qui-espionne-qui-39118