Archives de catégorie : Silicon Valley

L'« ubiquitous computing » et les « context-aware services », deux concepts précurseurs

Le Newton a mis en application deux concepts après lesquels les entreprises de la Silicon Valley courent depuis la fin des années 1980 : l’« ubiquitous computing » (informatique omniprésente) et les « context-aware services » (services sensibles au contexte

Lire la suite dans Les Echos : http://www.lesechos.fr/info/hightec/020670443574.htm

Bi-Bop, Laserdisc, Newton : trois "flops" précurseurs…

Trois articles que j’ai publiés depuis la mi-juillet dans Les Echos dans le cadre d’une série d’été à laquelle je participe, consacré aux « flops précurseurs » :

• 19 juillet 2010 : Le Bi-Bop, pionnier du mobile pour tous.

Il n’a jamais dépassé les 130.000 abonnés. Pourtant, avec ses petits combinés et ses formules d’abonnement abordables, le Bi-Bop a permis à la téléphonie mobile de toucher les particuliers.

• 28 juillet 2010 : Laserdisc, le DVD avant l’heure

Trop encombrant, trop cher, sorti trop tôt… Le Laserdisc n’a jamais réussi à s’imposer face à la cassette VHS, malgré une qualité d’image bien supérieure.

• 30 juillet 2010 : Le fiasco du Newton, ancêtre de l’iPad

Lancé en 1993, le premier bloc-notes électronique d’Apple fut un échec technologique et commercial. Mais son concept est plus que jamais d’actualité


Bi-Bop, Laserdisc, Newton : trois « flops » précurseurs…

Trois articles que j’ai publiés depuis la mi-juillet dans Les Echos dans le cadre d’une série d’été à laquelle je participe, consacré aux « flops précurseurs » :

• 19 juillet 2010 : Le Bi-Bop, pionnier du mobile pour tous.

Il n’a jamais dépassé les 130.000 abonnés. Pourtant, avec ses petits combinés et ses formules d’abonnement abordables, le Bi-Bop a permis à la téléphonie mobile de toucher les particuliers.

• 28 juillet 2010 : Laserdisc, le DVD avant l’heure

Trop encombrant, trop cher, sorti trop tôt… Le Laserdisc n’a jamais réussi à s’imposer face à la cassette VHS, malgré une qualité d’image bien supérieure.

• 30 juillet 2010 : Le fiasco du Newton, ancêtre de l’iPad

Lancé en 1993, le premier bloc-notes électronique d’Apple fut un échec technologique et commercial. Mais son concept est plus que jamais d’actualité


Edition : le marketing californien

Chaque été, Stanford, l’une des plus prestigieuses universités américaines, organise une session de dix jours de cours à l’intention d’éditeurs venus du monde entier.

Jacques Henno écoute Martin Levin, 80 ans bien frappés, dans un amphithéâtre de l’université Stanford, en juillet 2003, dans le cadre du SPPC (Stanford Professional Publishing Course). D. R.



Article paru dans le magazine Lire le 30 novembre 2003


Ils sont tous là, assis devant moi dans un amphithéâtre de l’université Stanford, en Californie: cinquante-cinq éditeurs, américains, bien sûr, mais aussi allemands, colombiens, espagnols, finlandais, indiens, japonais, sud-africains… redevenus simples étudiants pour assister au «Stanford Professional Publishing Course» (SPPC, cours de Stanford pour les professionnels de l’édition). Aujourd’hui, samedi 26 juillet, c’est la fin des classes et la présentation des travaux en groupe. Huit équipes ont planché, parfois tard dans la nuit, sur le lancement d’une collection. Mon groupe est le deuxième à passer et je suis chargé d’en résumer la stratégie marketing. Les profs nous ont prévenus: nous serons jugés aussi bien sur l’originalité de nos idées que sur notre humour. Alors je force un peu sur mon accent, déjà bien franchouillard, et je caricature le dernier intervenant américain de la veille : gesticulations en tous sens, coups de poing sur la table pour souligner mes propos… La salle est pliée en deux et l’un des membres du jury me lance un triple «bravo». Bon présage, puisque nous décrocherons la deuxième place.
Mais je ne saurai jamais si ce résultat récompense notre concept de livres pour jeunes diplômés ou nos talents d’acteur…
Fond ou forme ? L’éternelle question m’a taraudé pendant tout le séminaire. D’abord, au sujet des cours : certains intervenants étaient remarquables, mais il y avait aussi de parfaits faiseurs. Ensuite, par rapport au métier même d’éditeur : les Américains que j’ai rencontrés estiment que le marché du livre est saturé et que, dans ce contexte, ce qui fait un bon ouvrage, ce n’est pas tant son contenu que le marketing ou la communication qui l’entourent.
Ce malthusianisme ne colle pas, bizarrement, à la réputation plutôt progressiste de Stanford. Cette université privée, située à une quarantaine de kilomètres au sud de San Francisco, est considérée comme une des cinq meilleures facs des Etats-Unis en sciences ou en management. Dix-sept Prix Nobel de chimie, d’économie ou de physique enseignent sur son magnifique campus, mélange de bâtiments néoclassiques en pierres de grès et d’immeubles modernes en béton ocre, bordés de palmiers, de séquoias et d’eucalyptus.
Stanford passe pour donner d’assez bons cours de littérature ou de journalisme. Dès sa création en 1978, le SPPC, le séminaire d’été sur l’édition, attira des «étudiants» de tous les pays. Il est vrai que ce diplôme est pratiquement unique au monde. Des centaines d’éditeurs sont venus ici se remettre à niveau en publicité, finance, droit ou design.
Parmi eux, des pontes de Dunod, Flammarion, France Loisirs, Hachette, Play Bac… Pour moi, journaliste et auteur qui souhaite me lancer dans l’édition, cela semblait donc être la formation idéale. Le premier contact, cependant, me laisse perplexe : Martin Levin, avocat et ancien président des éditions Times-Mirror, explique pendant toute une journée le marché américain. Le bonhomme, qui a 80 ans bien frappés, ne se fatigue pas. D’une voix monotone, il enfile les banalités : «Si vous voulez vendre les droits de vos livres à des maisons américaines, allez à la Foire du livre de Francfort»…
Heureusement, la plupart des cours suivants seront passionnants. George Gibson nous a fait partager ses joies et angoisses d’éditeur, Margaret Neale, son art de la négociation. Nigel Holmes, spécialiste de l’illustration, nous a fait mourir de rire en nous prouvant, dessins sur son tee-shirt à l’appui, qu’un estomac humain pouvait contenir cinquante hot dogs ! Quant à Alberto Vitale, un Italien qui a dirigé pendant neuf ans Random House, une des plus grandes maisons d’édition américaines, il était très attendu pour sa conférence sur l’avenir de l’édition. Malheureusement, il a passé une heure à aboyer, sans donner d’exemple, que «the future of book is Digital» l’avenir du livre c’est le numérique). Pas très nouveau ni très étayé.
Je sais gré, cependant, à Alberto d’une chose. Il est le seul des quarante intervenants à avouer que « le marché du livre compte seulement 12 millions d’acheteurs réguliers aux Etats-Unis, et 3 millions en France ; il est saturé et cela ne va pas s’arranger: la lecture est de plus en plus concurrencée par les médias électroniques… ».
De fait, cet inquiétant constat a sous-tendu tout le stage. Un résumé du SPPC serait en effet : «Dans un marché aussi encombré, la forme prime sur le fond. » Aucun prof, par exemple, n’a abordé l’écriture ou l’editing des textes. A croire que le contenu et les auteurs n’ont pas beaucoup d’importance… Lorsque Amy Rhodes, vice-présidente de Rodale, un éditeur spécialisé dans les livres de santé, nous présenta son succès de l’année, The South Beach Cookbook (plus de 900 000 exemplaires imprimés, cinq mois parmi les best-sellers du New York Times…), elle reconnut que « ce livre de régime était bon, mais pas si excellent que cela». Et elle ne mentionna le nom de l’auteur, le cardiologue Arthur Agatston, que pour préciser qu’il n’était pas très doué pour les interviews avec la presse.
Plus grossier encore: lors de la remise d’un prix littéraire, organisé pendant le SPPC en mémoire de l’écrivain William Saroyan, l’animateur de la soirée invita les deux finalistes présents, Jonathan Foer et Adam Rapp, à monter sur scène, les laissa s’approcher, puis renvoya Rapp d’un blessant : « Vous n’avez pas gagné, vous pouvez vous rasseoir. »
Peu de place pour les auteurs, donc, mais, en revanche, tous les autres corps de métier furent dignement accueillis. Pas moins de quatre directeurs artistiques vinrent commenter les couvertures de livres qui se vendent ou qui ne se vendent pas. Deux experts ès Internet nous expliquèrent ce qu’il fallait mettre en ligne et il n’y eut pas moins de quatre cours sur la distribution. Enfin, Amy Rhodes bénéficia de deux heures pour décrire, avec volupté, toutes ses actions de communication pour The South Beach Diet Cookbook, depuis les 180 000 euros dépensés en publicité jusqu’aux 5 millions de lettres envoyées dans les foyers américains, en passant par la pastille jaune (« Lose belly fat first », Perdez vite du ventre) collée sur la couverture: « Très efficace ! »
Je vais mettre un autocollant jaune sur le classeur regroupant les notes que j’ai prises pendant le SPPC : «Perdez vite vos illusions. »

Jacques Henno

Quelques informations sur la Silicon Valley

Carte de la Silicon Valley, en Californie

La Silicon Valley, vue de l'espace (1995)
La Silicon Valley, vue de l'espace (1995)

La carte ci-dessus a été réalisée grâce au site américain http://tiger.census.gov. La photo, prise en 1995 depuis la navette spatiale, est extraite des archives de la Nasa (http://earth.jsc.nasa.gov).

Carte de la Silicon Valley (source : Google Maps 2010)
Carte de la Silicon Valley (source : Google Maps 2010)

La Silicon Valley ou « Vallée du Silicium », située en Californie, s’étend sur une quarantaine de kilomètres au Sud-Est de San Francisco, entre les cités de San Mateo et Fremont, en passant par San Jose. C’est la Mecque de l’informatique mondiale. Là se trouvent en effet la plupart des grands fabricants d’ordinateurs, des principaux éditeurs de logiciels et des moteurs de recherche grand public : Intel (qui produit les microprocesseurs, le cerveau des PC), Apple, Hewlett-Packard, Sun, Palm Pilot,Yahoo, Google….

Le saviez-vous ?

Il est connu que si la Californie devenait un état indépendant, elle serait la sixième puissance économique au monde.
Mais l’on sait moins que si la Silicon Valley accédait à l’indépendance, elle constituerait la douzième puissance mondiale
La Silicon Valley en chiffres :
• 2,51 millions d’habitants
• 37% des habitants ont entre 20 et 44 ans
• revenu moyen : 74 300 $ par an
• taux de divorce : plus de 50%
• 49% des adultes sont considérés comme obèses ou en surpoids
• 1 950 kilomètres de pistes cyclables sillonnent la Silicon Valley
• 11 nouvelles sociétés créées chaque semaine
• quelque 11 500 entreprises high-tech au total, employant 416 000 salariés, cadres et ingénieurs, réalisent 99 milliards de dollars de chiffre d’affaires
• 159 firmes de capital-risque sont implantées dans la région
• en 2005, la Silicon Valley a reçu près de 5 milliards de dollars sous forme de capital-risque (27% du capital-risque américain)
• en 2005, 11% des brevets déposés aux Etats-Unis l’ont été par des entreprises, des universités ou des laboratoires de la Silicon Valley
(sources : Anna Lee Saxenian, Public Policy Institute of California/Wall Street Journal/ Joint Venture Silicon Valley Network)

Mais la Silicon Valley n’est pas qu’un énorme centre de recherche industrielle et de production. C’est également un gigantesque laboratoire où s’élabore la société de demain.

«Tenter de repousser le modèle de la Silicon Valley, c’est aller à la défaite économique et sociale. C’est comme si l’on avait dit qu’il fallait refuser la révolution industrielle», Manuel Castells, professeur à l’université Berkeley (Californie) (1)

Quelques informations sur la Silicon Valley :

Les produits qui viennent de la Silicon Valley :
puces électroniques (micro-processeur) Intel
ordinateurs Apple
Imprimantes et ordinateurs Hewlett-Packard

Java
Palm Pilot

Google
Yahoo
magazine Wired
un grande partie du trafic Internet mondial passe par cette région du monde

Les Français célèbres de la Silicon Valley
140 000 Français (familles comprises) seraient enregistrés auprès du consulat de San Francisco. Parmi les plus connus, on trouve :
• Jean-Louis Gassée (ancien dirigeant d’Apple, fondateur de Be Incorporated, aujourd’hui partenaire d’Allegis Capital)
• Eric Benhamou (ancien patron de 3Com, il est maintenant business angel)
• Jean-Claude Latombe (ancien chairman du département de sciences informatiques de l’université Stanford à Palo Alto, il enseigne toujours dans cet établissement)
• Philippe Kahn (fondateur et ancien patron de Borland, il a créé Fullpower, une start-up dédiée à la convergence « Sciences de la Vie » et « Liaisons sans Fil »)
• Philippe Pouletty (ancien chercheur à Stanford, inventeur de 21 brevets, fondateur de SangStat, président du Conseil Stratégique de l’Innovation… )
• Claude Léglise, (ancien vice-président d’Intel, puis d’Intel Capital, il est membre du conseil d’administration de SupportSoft, une entreprise spécialisée dans l’automatisation du support technique)
• Pierre Lamond, un des associés de Sequoia Capital, une des plus importantes firmes de capital-risque de la Silicon Valley.

Les tremblements de terre

La Silicon Valley est située sur la faille de San Andreas. Tous les jours, un ou plusieurs séismes secouent la région. Heureusement, la plupart de ces mouvements telluriques sont de très faible amplitude. Mais de temps en temps, une secousse plus forte provoque de très gros dégâts (séisme de 1989) ou détruit tout sur son passage (catastrophe de 1906).

Une rue de San Francisco en 1906.

Tremblement de terre de 1906 : l’université Stanford, à Palo Alto, au coeur de ce qui deviendra cinquante ans plus tard la Silicon Valley.

En attendant le « Big One », le tremblement de terre final qui devrait engloutir la Californie, on peut consulter le site http://quake.wr.usgs.gov/recenteqs/Maps/SF_Bay.html qui recense tous les séismes survenus dans la région de San Francisco au cours des derniers jours. Il est actualisé en permanence. D’après les scientifiques qui animent ce site, il est à peu près certain (70% de probabilité) qu’un très fort tremblement de terre va toucher la région de San Francisco d’ci à l’an 2030 : http://quake.wr.usgs.gov/study/wg99/index.html

————-

(1) D’origine espagnole, Manuel Castells, 57 ans, est l’auteur d’une trilogie consacrée à «L’Ere de l’information» et parue en France chez Fayard : «La Société en réseaux» (1998), «Le Pouvoir de l’identité» et «Fin de millénaire» (1999).

High-tech : les Etats-Unis ont une révolution d’avance sur le reste du monde

Micro-ordinateurs, logiciels, Internet, agendas électroniques… Toutes ces découvertes ont vu le jour outre-Atlantique. Aujourd’hui, ce sont elles qui tirent l’économie du pays et créent des emplois.

Palo Alto, une petite ville situé à 30 kilomètres au sud de San Francisco, en pleine Silicon Valley. En ce dimanche après-midi, le parking de Fry’s, un grand magasin d’informatique, est plein à craquer. Mordus de high-tech et badauds sont venus découvrir les derniers gadgets électroniques : dictaphone Dragon, qui convertit automatiquement un message oral en texte, agenda électronique Rex, de la taille d’une carte de crédit, mini-antenne GPS et logiciel Door-to-Door Co-Pilot, pour transformer les ordinateurs portables en navigateurs routiers… Rares sont les clients qui ne repartent pas avec un ou deux de ces appareils, «made in USA».

Le moteur de la croissance américa[1]ine, c’est eux. Californiens, Texans ou New-yorkais, passionnés par la «high-tech», sont tous suréquipés en micro-ordinateurs et autres CD-Rom. Outre-Atlantique, les achats de matériels informatiques représentent 30% des investissements des entreprises et des ménages, contre seulement 8% en France. Du coup, les usines d’Intel (micro-processeurs) ou de Dell (PC vendus par correspondance) tournent 24 heures sur 24. «Aujourd’hui, la high-tech américaine réalise 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 20% du PIB des Etats-Unis», estime Kay Howell, directrice du NCO (National coordination office), l’agence fédérale qui coordonne la recherche en informatique. Et le secteur embauche à tour de bras, créant 30% des nouveaux emplois du payæs.

Ted Hoff peut-être fier de lui. Sans cet ingénieur américain, aujourd’hui âgé de 70 ans, rien de cela ne serait jamais arrivé. C’est lui, en effet, qui en 1971, a mis au point le premier Ômicroprocesseur. Depuis, l’Amérique n’a cessé de dominer le secteur de la high-tech. Deux exemples : le premier ordinateur personnel a vu le jour à Palo Alto, au Xerox Parc (lire page XXX) et le premier «browser» (navigateur sur Internet) ‚a été mis au point par un étudiant de l’Illinois. Aujourd’hui, les Etats-Unis gardent une avance considérable dans tous les domaines, logiciels, ordinateurs, réseaux, annuaires de recherche sur Internet… Mais cela ne les empêche pas d’investir massivement dans la recherche. Déjà, les universitaires américains préparent la nouvelle génération d’Internet. Elle permettra le développement d’applications spectaculaires, comme la reconnaissance tactile à distance (lire ci-contre). La croissance américaine n’est pas prête de s’arrêter.

De notre envoyé spécial à San Francisco et Washington, Jacques Henno

Internet 2 : sur les campus américains, on prépare déjà le Web de demain

Le nouveau réseau électronique développé par les universités américaines va révolutionner Internet.

Installés à l’université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, deux étudiants observent une fibre de coton à travers un microscope électronique. Ce qu’ils voient ? Une sorte de gros tuyau blanc rugueux posé sur une surface jaune. Cinq cents kilomètres plus au Nord, à Washington, trois autres élèves regardent sur un PC la même image, transmise par une ligne Internet à haut débit. Mais le plus extraordinaire, c’est qu’ils peuvent toucher – oui, toucher à distance – cette fibre. Sur l’ordinateur de Washington, la traditionnelle souris a été remplacée par un stylet, supporté par un bras mécanique. Il suffit de positionner le curseur au-dessus de la fibre, puis de descendre lentement, pour sentir, à travers le stylet, la résistance du coton.

Cette surprenante expérience de reconnaissance tactile constituait le clou du forum «Networking 99» qui s’est tenu fin avril à Washington et qui a rassemblé le gratin de l’Internet : 550 représentants de facultés ou de firmes high-tech américaines, ainsi que les meilleurs spécialistes européens. Tout ce petit monde était venu célébrer la naissance d’Internet 2, un réseau électronique révolutionnaire qui d’ici à la fin de l’année va relier 154 universités yankees. Ultra-rapide, il pourra transporter l’équivalent de 90 000 pages de texte en une seconde. Un chiffre qui a de quoi faire rêver l’internaute moyen, dont le modem fonctionne à 56 000 bits par seconde et qui peut donc télécharger moins de deux pages de texte par seconde. A 2,4 milliards de bits par seconde, Internet 2 ira 50 000 fois plus vite. Finies les longues minutes d’attente devant un écran vide. Télécharger un logiciel ou des clips vidéo s’effectuera en un clin d’œil.

Du coup, cette super-autoroute de l’information va permettre la mise au point de nouvelles applications, inimaginables jusqu’à présent. «Jamais l’homme n’a eu une telle opportunité pour améliorer ses moyens de communication !», a lancé, sous les applaudissements de ses confrères, Joe Mambretti, directeur du centre de recherche en informatique de la North Carolina State University. Son équipe planche sur un système de télé-enseignement en 3 dimensions : les étudiants, équipés de lunettes de vue en relief, pourront assister, comme s’ils y étaient, à un cours donné à l’autre bout du monde. Les ingénieurs du California Institute of Technology, eux, travaillent sur un nouveau procédé de vidéo-conférence : jusqu’à 100 personnes pourront s’y connecter en même temps et se voir, se parler ou échanger des documents électroniques. Et à la San Diego University, on prépare, pour les carabins, un cours d’anatomie virtuelle. Les dépouilles de deux condamnés à mort américains ont été congelées, puis découpées en 3 500 tranches, qui ont été numérisées. Ces données permettent, à partir de n’importe quel PC, de reconstituer virtuellement chaque organe et de le manipuler sous tous les angles.

Beaucoup d’autres applications, encore plus proches des attentes du grand public, sont à l’étude. Dans quelques années, les étudiants américains utiliseront sans doute des ordinateurs très bons marchés, car dépourvus, de disques durs : ils conserveront tous leurs fichiers sur un serveur central, auquel ils accéderont instantanément.

En fait, Internet 2 va permettre à de nombreuses entreprises et laboratoires de recherche d’éprouver de nouveaux matériels et logiciels (fibres optiques, protocoles d’échange de fichiers, serveurs…). Le même phénomène s’était déjà produit à partir de 1985, lorsque les universités américaines avaient commencé à se brancher sur l’ancêtre d’Internet, NSF-Net. C’est sur ce réseau, mis en place par la National Science Foundation, l’équivalent américain du CNRS français, qu’on a testé tous les équipements du Web actuel. En 1993, par exemple, Marc Andreessen, alors simple étudiant à l’Université de l’Illinois, imagina Mosaic, le premier browser. Un an plus tard, il créait sa propre société, Netscape.

Les retombées économique d’Internet 2 pourraient être encore plus importantes. Aussi toutes les entreprises high-tech américaines soutiennent ce projet. «Internet 2 va révolutionner l’informatique», prédit Rick Rashid, un des responsables de la recherche chez Microsoft. Qwest, la cinquième compagnie de téléphone du pays, a prêté ses réseaux en fibre optique ; Cisco et 3Com (équipements de réseau) ont fourni pour 30 millions de francs de matériel ; sans oublier le gouvernement qui verse quelques dizaines de millions. «Au total, notre budget dépasse les 200 millions de dollars», jubile Doug Van Houweling, président de l’association Internet 2. Une manne qui, indirectement, va profiter à toute l’industrie informatique américaine. Et lui permettre de creuser un peu plus l’écart avec ses concurrents européens ou japonais.

Visite au Xerox Parc, le labo qui a inventé la micro-informatique

Dès 1971, les équipes de ce temple du high-tech avaient mis au point le premier odrinateur personnel. Aujourd’hui, elles planchent sur les écrans en trois dimensions et le papier électronique.

La cafetière qui bout dans la cuisine du Xerox Parc, à Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, ressemble à n’importe quel autre percolateur. A un détail près : elle est dotée d’un petit bouton rouge, relié au réseau informatique de ce laboratoire de recherche, propriété de Xerox, le leader mondial des photocopieurs. Les personnes qui passent dans la cuisine, l’actionnent dès que le café est prêt. Aussitôt, un message s’affiche sur les PC de tous les chercheurs, les invitant à faire une pause. L’occasion pour les psychologues et anthropologues qui planchent sur un nouvel écran d’ordinateur d’échanger quelques idées avec leurs collègues, ingénieurs spécialistes des imprimantes laser ou mathématiciens passionnés d’Internet.

La plupart des découvertes faites au Xerox Parc sont nées ainsi, au cours d’une discussion informelle. Et des trouvailles, ici, on en fait tous les jours. Les 250 scientifiques employés par ce labo déposent 150 brevets par an. Le Parc est inconnu du grand public mais, pour les spécialistes de la high-tech, ce lieu est mythique. C’est dans ce bâtiment de cinq étages, construit à flanc de colline, qu’a été inventée l’informatique moderne : l’Alto, le premier micro-ordinateur, a vu le jour ici, en 1971. De même, l’interface graphique (pour lancer un logiciel on clique sur une icône), l’imprimante laser, la carte Ethernet (qui permet aux PC de communiquer entre eux) et une partie des protocoles Internet ont été développés dans cet immeuble. Mieux : Steve Jobs, le fondateur d’Apple, aurait eu l’idée du Macintosh en visitant le Parc, à la fin des années soixante-dix.

«A l’époque, nous n’aurions pas pu faire lui faire de procès, sourit Richard Bruce, docteur en physique et directeur de la section “ordinateur”. Les juristes de Xerox ne prenaient même pas la peine de breveter les nouveaux logiciels !» Lors de sa création, en 1970, l’établissement avait reçu pour mission d’imaginer le bureau et les photocopieurs du futur. La direction embaucha des scientifiques de formation ou de nationalité très diverses et leur laissa mener de front travaux théoriques et recherches appliquées. La première équipe (Alan Kay, Bob Taylor…) s’intéressa surtout à la micro-informatique mais les patrons de Xerox ne comprirent pas l’intérêt de ses découvertes. Résultat, les idées furent exploitées par d’autres sociétés de la région : Hewlett-Packard, Intel, Sun…

Aujourd’hui, plus question de refaire les mêmes erreurs. Après un passage à vide, au début des années quatre-vingt dix, le Parc bénéficie à nouveau du soutien de la direction de Xerox et se retrouve à la pointe de la recherche. «C’est l’endroit où il faut être si l’on veut marquer son époque», affirme, tout de go, Jim Pitkow, qui a rejoint le labo en 1997, tout de suite après avoir décroché un doctorat en informatique. Dotées d’un budget de 360 millions de francs, les équipes travaillent sur une multitude de projets : agrafes électroniques qui indiqueront où sont rangées les factures de gaz ou de téléphone, interfaces en 3 dimension pour les ordinateurs, papier intelligent (lorsqu’on le passe dans la photocopieuse-scanner, il stipule à quels destinataires il doit être faxé), etc. «80% de ces travaux n’aboutiront pas», estime Johan de Kleer, Hollandais, titulaire d’un doctorat du MIT et salarié du Parc depuis 1979. Mais toutes les inventions-maison sont désormais soigneusement protégées. Ainsi, Xerox vient d’intenter un procès contre le groupe 3 Com. Motif : le Palm Pilot, le célèbre agenda électronique commercialisé par 3 Com, utiliserait un langage dérivé de l’Unistroke Alphabet, un alphabet simplifié mis au point au Parc. Si Xerox gagne son procès, cela devrait lui rapporter beaucoup, beaucoup d’argent : des millions de Palm Pilot ont déjà été vendus à travers le monde.

Jacques Henno

Articles parus dans le mensuel Capital en juin 1999

High-tech : les Etats-Unis ont une révolution d'avance sur le reste du monde

Micro-ordinateurs, logiciels, Internet, agendas électroniques… Toutes ces découvertes ont vu le jour outre-Atlantique. Aujourd’hui, ce sont elles qui tirent l’économie du pays et créent des emplois.

Palo Alto, une petite ville situé à 30 kilomètres au sud de San Francisco, en pleine Silicon Valley. En ce dimanche après-midi, le parking de Fry’s, un grand magasin d’informatique, est plein à craquer. Mordus de high-tech et badauds sont venus découvrir les derniers gadgets électroniques : dictaphone Dragon, qui convertit automatiquement un message oral en texte, agenda électronique Rex, de la taille d’une carte de crédit, mini-antenne GPS et logiciel Door-to-Door Co-Pilot, pour transformer les ordinateurs portables en navigateurs routiers… Rares sont les clients qui ne repartent pas avec un ou deux de ces appareils, «made in USA».

Le moteur de la croissance américa[1]ine, c’est eux. Californiens, Texans ou New-yorkais, passionnés par la «high-tech», sont tous suréquipés en micro-ordinateurs et autres CD-Rom. Outre-Atlantique, les achats de matériels informatiques représentent 30% des investissements des entreprises et des ménages, contre seulement 8% en France. Du coup, les usines d’Intel (micro-processeurs) ou de Dell (PC vendus par correspondance) tournent 24 heures sur 24. «Aujourd’hui, la high-tech américaine réalise 700 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 20% du PIB des Etats-Unis», estime Kay Howell, directrice du NCO (National coordination office), l’agence fédérale qui coordonne la recherche en informatique. Et le secteur embauche à tour de bras, créant 30% des nouveaux emplois du payæs.

Ted Hoff peut-être fier de lui. Sans cet ingénieur américain, aujourd’hui âgé de 70 ans, rien de cela ne serait jamais arrivé. C’est lui, en effet, qui en 1971, a mis au point le premier Ômicroprocesseur. Depuis, l’Amérique n’a cessé de dominer le secteur de la high-tech. Deux exemples : le premier ordinateur personnel a vu le jour à Palo Alto, au Xerox Parc (lire page XXX) et le premier «browser» (navigateur sur Internet) ‚a été mis au point par un étudiant de l’Illinois. Aujourd’hui, les Etats-Unis gardent une avance considérable dans tous les domaines, logiciels, ordinateurs, réseaux, annuaires de recherche sur Internet… Mais cela ne les empêche pas d’investir massivement dans la recherche. Déjà, les universitaires américains préparent la nouvelle génération d’Internet. Elle permettra le développement d’applications spectaculaires, comme la reconnaissance tactile à distance (lire ci-contre). La croissance américaine n’est pas prête de s’arrêter.

De notre envoyé spécial à San Francisco et Washington, Jacques Henno

Internet 2 : sur les campus américains, on prépare déjà le Web de demain

Le nouveau réseau électronique développé par les universités américaines va révolutionner Internet.

Installés à l’université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, deux étudiants observent une fibre de coton à travers un microscope électronique. Ce qu’ils voient ? Une sorte de gros tuyau blanc rugueux posé sur une surface jaune. Cinq cents kilomètres plus au Nord, à Washington, trois autres élèves regardent sur un PC la même image, transmise par une ligne Internet à haut débit. Mais le plus extraordinaire, c’est qu’ils peuvent toucher – oui, toucher à distance – cette fibre. Sur l’ordinateur de Washington, la traditionnelle souris a été remplacée par un stylet, supporté par un bras mécanique. Il suffit de positionner le curseur au-dessus de la fibre, puis de descendre lentement, pour sentir, à travers le stylet, la résistance du coton.

Cette surprenante expérience de reconnaissance tactile constituait le clou du forum «Networking 99» qui s’est tenu fin avril à Washington et qui a rassemblé le gratin de l’Internet : 550 représentants de facultés ou de firmes high-tech américaines, ainsi que les meilleurs spécialistes européens. Tout ce petit monde était venu célébrer la naissance d’Internet 2, un réseau électronique révolutionnaire qui d’ici à la fin de l’année va relier 154 universités yankees. Ultra-rapide, il pourra transporter l’équivalent de 90 000 pages de texte en une seconde. Un chiffre qui a de quoi faire rêver l’internaute moyen, dont le modem fonctionne à 56 000 bits par seconde et qui peut donc télécharger moins de deux pages de texte par seconde. A 2,4 milliards de bits par seconde, Internet 2 ira 50 000 fois plus vite. Finies les longues minutes d’attente devant un écran vide. Télécharger un logiciel ou des clips vidéo s’effectuera en un clin d’œil.

Du coup, cette super-autoroute de l’information va permettre la mise au point de nouvelles applications, inimaginables jusqu’à présent. «Jamais l’homme n’a eu une telle opportunité pour améliorer ses moyens de communication !», a lancé, sous les applaudissements de ses confrères, Joe Mambretti, directeur du centre de recherche en informatique de la North Carolina State University. Son équipe planche sur un système de télé-enseignement en 3 dimensions : les étudiants, équipés de lunettes de vue en relief, pourront assister, comme s’ils y étaient, à un cours donné à l’autre bout du monde. Les ingénieurs du California Institute of Technology, eux, travaillent sur un nouveau procédé de vidéo-conférence : jusqu’à 100 personnes pourront s’y connecter en même temps et se voir, se parler ou échanger des documents électroniques. Et à la San Diego University, on prépare, pour les carabins, un cours d’anatomie virtuelle. Les dépouilles de deux condamnés à mort américains ont été congelées, puis découpées en 3 500 tranches, qui ont été numérisées. Ces données permettent, à partir de n’importe quel PC, de reconstituer virtuellement chaque organe et de le manipuler sous tous les angles.

Beaucoup d’autres applications, encore plus proches des attentes du grand public, sont à l’étude. Dans quelques années, les étudiants américains utiliseront sans doute des ordinateurs très bons marchés, car dépourvus, de disques durs : ils conserveront tous leurs fichiers sur un serveur central, auquel ils accéderont instantanément.

En fait, Internet 2 va permettre à de nombreuses entreprises et laboratoires de recherche d’éprouver de nouveaux matériels et logiciels (fibres optiques, protocoles d’échange de fichiers, serveurs…). Le même phénomène s’était déjà produit à partir de 1985, lorsque les universités américaines avaient commencé à se brancher sur l’ancêtre d’Internet, NSF-Net. C’est sur ce réseau, mis en place par la National Science Foundation, l’équivalent américain du CNRS français, qu’on a testé tous les équipements du Web actuel. En 1993, par exemple, Marc Andreessen, alors simple étudiant à l’Université de l’Illinois, imagina Mosaic, le premier browser. Un an plus tard, il créait sa propre société, Netscape.

Les retombées économique d’Internet 2 pourraient être encore plus importantes. Aussi toutes les entreprises high-tech américaines soutiennent ce projet. «Internet 2 va révolutionner l’informatique», prédit Rick Rashid, un des responsables de la recherche chez Microsoft. Qwest, la cinquième compagnie de téléphone du pays, a prêté ses réseaux en fibre optique ; Cisco et 3Com (équipements de réseau) ont fourni pour 30 millions de francs de matériel ; sans oublier le gouvernement qui verse quelques dizaines de millions. «Au total, notre budget dépasse les 200 millions de dollars», jubile Doug Van Houweling, président de l’association Internet 2. Une manne qui, indirectement, va profiter à toute l’industrie informatique américaine. Et lui permettre de creuser un peu plus l’écart avec ses concurrents européens ou japonais.

Visite au Xerox Parc, le labo qui a inventé la micro-informatique

Dès 1971, les équipes de ce temple du high-tech avaient mis au point le premier odrinateur personnel. Aujourd’hui, elles planchent sur les écrans en trois dimensions et le papier électronique.

La cafetière qui bout dans la cuisine du Xerox Parc, à Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, ressemble à n’importe quel autre percolateur. A un détail près : elle est dotée d’un petit bouton rouge, relié au réseau informatique de ce laboratoire de recherche, propriété de Xerox, le leader mondial des photocopieurs. Les personnes qui passent dans la cuisine, l’actionnent dès que le café est prêt. Aussitôt, un message s’affiche sur les PC de tous les chercheurs, les invitant à faire une pause. L’occasion pour les psychologues et anthropologues qui planchent sur un nouvel écran d’ordinateur d’échanger quelques idées avec leurs collègues, ingénieurs spécialistes des imprimantes laser ou mathématiciens passionnés d’Internet.

La plupart des découvertes faites au Xerox Parc sont nées ainsi, au cours d’une discussion informelle. Et des trouvailles, ici, on en fait tous les jours. Les 250 scientifiques employés par ce labo déposent 150 brevets par an. Le Parc est inconnu du grand public mais, pour les spécialistes de la high-tech, ce lieu est mythique. C’est dans ce bâtiment de cinq étages, construit à flanc de colline, qu’a été inventée l’informatique moderne : l’Alto, le premier micro-ordinateur, a vu le jour ici, en 1971. De même, l’interface graphique (pour lancer un logiciel on clique sur une icône), l’imprimante laser, la carte Ethernet (qui permet aux PC de communiquer entre eux) et une partie des protocoles Internet ont été développés dans cet immeuble. Mieux : Steve Jobs, le fondateur d’Apple, aurait eu l’idée du Macintosh en visitant le Parc, à la fin des années soixante-dix.

«A l’époque, nous n’aurions pas pu faire lui faire de procès, sourit Richard Bruce, docteur en physique et directeur de la section “ordinateur”. Les juristes de Xerox ne prenaient même pas la peine de breveter les nouveaux logiciels !» Lors de sa création, en 1970, l’établissement avait reçu pour mission d’imaginer le bureau et les photocopieurs du futur. La direction embaucha des scientifiques de formation ou de nationalité très diverses et leur laissa mener de front travaux théoriques et recherches appliquées. La première équipe (Alan Kay, Bob Taylor…) s’intéressa surtout à la micro-informatique mais les patrons de Xerox ne comprirent pas l’intérêt de ses découvertes. Résultat, les idées furent exploitées par d’autres sociétés de la région : Hewlett-Packard, Intel, Sun…

Aujourd’hui, plus question de refaire les mêmes erreurs. Après un passage à vide, au début des années quatre-vingt dix, le Parc bénéficie à nouveau du soutien de la direction de Xerox et se retrouve à la pointe de la recherche. «C’est l’endroit où il faut être si l’on veut marquer son époque», affirme, tout de go, Jim Pitkow, qui a rejoint le labo en 1997, tout de suite après avoir décroché un doctorat en informatique. Dotées d’un budget de 360 millions de francs, les équipes travaillent sur une multitude de projets : agrafes électroniques qui indiqueront où sont rangées les factures de gaz ou de téléphone, interfaces en 3 dimension pour les ordinateurs, papier intelligent (lorsqu’on le passe dans la photocopieuse-scanner, il stipule à quels destinataires il doit être faxé), etc. «80% de ces travaux n’aboutiront pas», estime Johan de Kleer, Hollandais, titulaire d’un doctorat du MIT et salarié du Parc depuis 1979. Mais toutes les inventions-maison sont désormais soigneusement protégées. Ainsi, Xerox vient d’intenter un procès contre le groupe 3 Com. Motif : le Palm Pilot, le célèbre agenda électronique commercialisé par 3 Com, utiliserait un langage dérivé de l’Unistroke Alphabet, un alphabet simplifié mis au point au Parc. Si Xerox gagne son procès, cela devrait lui rapporter beaucoup, beaucoup d’argent : des millions de Palm Pilot ont déjà été vendus à travers le monde.

Jacques Henno

Articles parus dans le mensuel Capital en juin 1999

Yahoo !, l'idole des Internautes

C’est l’une des plus belles success stories américaines du moment. A 30 ans, les inventeurs du célèbre annuaire du Net sont déjà multimilliardaires.

De notre envoyé spécial en Californie, Jacques Henno

Construit au milieu des pins, à 40 kilomètres au sud de San Francisco, ce long bâtiment marron est l’un des plus sûrs de la Silicon Valley. Trois ingénieurs veillent en permanence sur l’édifice, monté sur de gigantesques amortisseurs antisismiques. En cas d’alerte au feu, ils ont ordre de déguerpir : un gaz mortel, le halon 1301, envahirait aussitôt les installations pour étouffer l’incendie et protéger les ordinateurs qu’elles abritent. Car si l’un d’eux tombait en panne, des millions d’internautes se retrouveraient perdus dans le «cyberespace». Ces machines, propriétés d’une société de services, hébergent en effet des centaines de serveurs Internet, dont celui de Yahoo!, le site Web le plus populaire de la planète. Cet annuaire compte à lui seul plus de 40 millions d’utilisateurs.
Vous vous intéressez aux poissons volants, aux frasques de Bill Clinton, aux prévisions météo ou au commerce électronique ? En vous connectant sur Yahoo!, vous accéderez sans peine à tous les services du réseau. Les Américains appellent d’ailleurs «portal» (portail) ce type de site. Il en existe des centaines d’autres : Hot Bot, Infoseek aux Etats-Unis, Nomade en France, pour ne citer que les plus connus. Mais, partout où il s’est implanté, Yahoo! est numéro 1 ou 2 de la spécialité. D’où l’incroyable envolée de l’action, introduite en Bourse en 1996. Fin 1998, elle cotait plus de 1 300 francs au Nasdaq, le marché américain des valeurs high-tech. Ce qui valorisait l’entreprise à 135 milliards de francs. Plus qu’Alcatel ou LVMH, alors que Yahoo! n’emploie que 700 personnes, réalise à peine 1,1 milliard de francs de chiffre d’affaires annuel et a dégagé ses premiers profits en 1998. Jusqu’à présent, tous les bénéfices d’exploitation ont en effet été engloutis dans des acquisitions, afin d’accélérer le rythme de la croissance.
Les spéculateurs sont-ils devenus fous ? Ils anticipent en tout cas une explosion des revenus de la société. Comme tout moteur de recherche, Yahoo! se finance en commercialisant des espaces publicitaires et, surtout, en prélevant une dîme sur les ventes réalisées via son site. Pour l’instant, ce média reste marginal. En 1998, à peine 10 milliards de francs ont été dépensés dans le monde en publicité sur le Web. Mais ces chiffres devraient décupler dans les prochaines années, car l’audience du Net grimpe en flèche. En 1997, la planète comptait 79 millions d’internautes. En 2002, ils seront plus de 300 millions !
Inévitablement, cet essor dopera l’activité de Yahoo!. Ses performances, d’ailleurs, sont déjà exceptionnelles : sa marge brute d’exploitation dépasse 30% (20% chez LVMH). «Internet est un média qui nécessite très peu d’investissements, explique Lanny Baker, analyste chez Salomon Smith Barney, à San Francisco. Et Yahoo! est une des firmes les mieux gérées que je connaisse.» Pourtant, lorsqu’on arrive au siège, à Santa Clara, au coeur de la Silicon Valley, on croit débarquer chez des potaches. 500 salariés y travaillent dans un capharnaüm indescriptible ­ flippers, bouées de sauvetage, squelettes en plastique. Jonché de vêtements sales, le bureau de David Filo, un des deux fondateurs, ressemble à une chambre d’étudiant. Et son associé, Jerry Yang, qui s’est baptisé «chef Yahoo!» sur sa carte de visite, affiche une décontraction toute californienne. «Mon âge ? 30 ans, annonce d’emblée cet Américain sans complexe né à Taïwan. Ma fortune ? Je possède 11% des actions de la société, soit, sur le papier, 2,7 milliards de dollars.»
Fabuleux destin ! Il y a encore cinq ans, Jerry Yang et David Filo étaient étudiants à Stanford. La célèbre université californienne avait mis à leur disposition un bureau et un ordinateur dans une caravane. Les deux copains consacraient tous leurs loisirs à surfer sur le Web. «Nous avions beaucoup de mal à dénicher des sites intéressants, se souvient Jerry Yang. Aussi, en avril 1994, nous avons créé un index regroupant nos serveurs préférés et l’avons mis à la disposition des autres internautes.» Succès immédiat. Car les moteurs de recherche de l’époque n’étaient pas très efficaces. L’utilisateur entrait quelques mots clés (par exemple, James Bond), puis se retrouvait avec une liste d’une centaine de serveurs Web, qu’il devait trier. Alors que, dans la base de données réalisée par Filo et Yang, les informations étaient soigneusement rangées par thèmes, grâce à une classification arborescente : pour obtenir des renseignements sur l’agent 007, il suffisait de cliquer sur la catégorie «loisirs-culture», puis sur «films» et enfin «genre : action».
Nos deux étudiants se sont vite rendu compte que leur trouvaille valait de l’or : début 1995, les visiteurs se bousculaient dans leur caravane. Steve Case, le patron d’AOL, premier fournisseur d’accès à Internet dans le monde et, aujourd’hui, principal concurrent, leur proposa 11 millions de francs pour leur annuaire, tandis que les «VC» («venture-capitalists») les pressaient de créer leur propre société. Parmi eux, Michael Moritz, de Sequoia Capital.
«J’ai tout de suite compris que David et Jerry venaient de créer un média révolutionnaire, se souvient cet ancien journaliste, reconverti dans la finance. Et j’ai mis à leur disposition 1 million de dollars.» Ses deux poulains se laissèrent convaincre de monter leur boîte, mais à une condition : qu’ils n’assument pas la direction opérationnelle de l’entreprise.
Le 5 avril 1995, les statuts de Yahoo! étaient déposés. Traduction : «Yet another hierarchical officious oracle» (Encore un autre oracle trop zélé et hiérarchique). «Une blague que seuls David et moi pouvons comprendre», sourit Jerry Yang. «Ce cri du coeur est un superbe nom commercial», se félicite Tim Koogle, président depuis août 1995. A 47 ans, cet ancien cadre de Motorola fait figure d’aïeul dans une entreprise où la moyenne d’âge ne dépasse pas 28 ans. A peine recruté par Michael Moritz, il s’est employé à transformer ce qui n’était encore qu’un hobby d’étudiants en vrai business.
Sa stratégie s’appuie sur trois axes de développement. «Nous devons fournir du contenu rédactionnel, en assurer la distribution et faire connaître notre marque», résume Jeff Mallett, 34 ans, directeur général. En matière de management, la maison s’est fixé deux règles d’or. Un : «Dépenser le moins possible, afin de ne pas s’endetter», martèle Gary Valenzuela, un autre «papy» de 41 ans, directeur financier. Deux : «Etre fun. Nous tenons à garder notre image décalée, qui plaît aux
30-35 ans, principale tranche d’âge des internautes», poursuit Karen Edwards, directrice du marketing.
Ainsi, à chaque Noël, la page d’accueil de Yahoo! s’orne de boules ou de feuilles de houx. «Sympa, non ?», lance Srinija Srinivasan, qui, à 27 ans, est «ontological Yahoo!», responsable du contenu rédactionnel. L’annuaire proprement dit est réalisé, à peu de frais, par les «surfeurs». Ils sont une centaine au siège californien et une dizaine dans chaque filiale. Payés au lance-pierre (7 370 francs net par mois en France), ils passent leur temps à repérer de nouveaux sites. Yahoo! en a répertorié 1 million aux Etats-Unis et 55 000 en France.
Quant aux informations pratiques, comme les prévisions météo, elles sont fournies par 300 prestataires extérieurs. Dans 85% des cas, Yahoo! les obtient gratuitement. «C’est un échange : ces prestataires nous donnent leurs « contenus », nous leur apportons notre audience, donc de la notoriété», explique Grégoire Clémencin, producteur de Yahoo! France.
Seuls les services personnalisés, comme Yahoo.mail (les boîtes aux lettres mises à la disposition des internautes), sont réalisés en interne. Pour distancer la concurrence, les spécialistes de la maison ne manquent pas d’idées. Ils viennent par exemple d’acquérir une technologie mise au point par un Français, Philippe Kahn, qui permet de gérer son agenda sur Yahoo!, puis de le télécharger sur un ordinateur portable.
Astuce : pour accéder à ces services, il faut décliner nom, âge, e-mail et centres d’intérêt. L’entreprise a ainsi mis en fiche 25 millions d’internautes. «Grâce à ces données, nous pourrons bientôt afficher les publicités en fonction du profil des utilisateurs», confie Jeff Mallett. Ainsi, chaque fois qu’un célibataire, passionné de plongée, se connectera, Yahoo! l’identifiera et enverra sur son écran une publicité du genre Club Med. Aujourd’hui, les 1 500 annonceurs du site (IBM, Toyota, Dior) peuvent simplement acheter un bandeau qui apparaît systématiquement sur la page d’accueil ou uniquement lorsque l’utilisateur clique sur certains mots clés (ordinateurs, voitures). Une semaine de présence sur Yahoo! France coûte plus de 85 000 francs.
Le deuxième axe stratégique de l’entreprise consiste à contrôler sa «distribution» pour être accessible à tous les internautes. Cela suppose la création de filiales à l’étranger et des accords avec les fabricants d’ordinateurs ou les fournisseurs d’accès à Internet, pour que Yahoo! ait la priorité sur ses concurrents.
Sur le premier point, la firme californienne a de l’avance sur ses rivaux, puisqu’elle est présente dans quatorze pays (Allemagne, Espagne, Australie, Corée). Elle s’est internationalisée dès 1996, avec l’aide de son principal actionnaire, Softbank, un holding japonais. Yahoo! France, par exemple, a été hébergé pendant un an et demi dans les locaux parisiens de Ziff-Davis, un éditeur de revues informatiques, filiale du groupe japonais. Il n’y a pas de petites économies
En revanche, le référencement constitue la principale faiblesse de la firme américaine. Jusqu’ici, ses dirigeants avaient surtout misé sur la solidarité. La plupart des internautes, lorsque Yahoo! répertorie leur site, renvoient la balle en créant un «lien» qui oriente leurs visiteurs vers le moteur de recherche. Plus de 1 million de documents contiennent ainsi un renvoi automatique sur Yahoo!. Mais cela ne suffit plus. La plupart des concurrents ont passé des accords avec des constructeurs informatiques ou des fournisseurs d’accès. Exemple : dans quelques semaines, les micro-ordinateurs Dell achetés aux Etats-Unis et au Canada se connecteront automatiquement sur AOL. Yahoo!, de son côté, n’a conclu que des alliances ponctuelles avec Compaq aux Etats-Unis ou British Telecoms en Grande-Bretagne. «Mais nous allons nous rattraper en 1999», annonce Fabiola Arredondo, 32 ans, directrice générale pour l’Europe, basée à Londres.
Dernière priorité : l’image. 90% des utilisateurs du Web connaissent déjà la marque. «Mais notre taux de notoriété tombe à 40% auprès du public qui envisage de s’abonner à Internet, précise Karen Edwards, la directrice du marketing. Ces clients potentiels constituent notre cible prioritaire.» Là encore, tous les moyens sont bons. Ainsi, pendant la dernière «gay pride» de San Francisco, des employés brandissant des pancartes Yahoo! ont défilé au milieu des homosexuels. De même, un échange original vient d’être négocié avec la série télévisée «Urgences» : Yahoo! fournit des accès Internet et quand, au cours des épisodes, les acteurs se brancheront sur le Web, le site apparaîtra clairement à l’écran. Autre exemple : en septembre dernier, la firme a loué un stand à la Fête de «l’Humanité». Il a été pris d’assaut. Non pas parce qu’il s’agissait d’une affreuse entreprise capitaliste. Mais par curiosité : les visiteurs étaient fascinés par Internet. Pari gagné.
Jacques Henno

Article paru dans Capital en février 1999

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Yahoo !, l’idole des Internautes

C’est l’une des plus belles success stories américaines du moment. A 30 ans, les inventeurs du célèbre annuaire du Net sont déjà multimilliardaires.

De notre envoyé spécial en Californie, Jacques Henno

Construit au milieu des pins, à 40 kilomètres au sud de San Francisco, ce long bâtiment marron est l’un des plus sûrs de la Silicon Valley. Trois ingénieurs veillent en permanence sur l’édifice, monté sur de gigantesques amortisseurs antisismiques. En cas d’alerte au feu, ils ont ordre de déguerpir : un gaz mortel, le halon 1301, envahirait aussitôt les installations pour étouffer l’incendie et protéger les ordinateurs qu’elles abritent. Car si l’un d’eux tombait en panne, des millions d’internautes se retrouveraient perdus dans le «cyberespace». Ces machines, propriétés d’une société de services, hébergent en effet des centaines de serveurs Internet, dont celui de Yahoo!, le site Web le plus populaire de la planète. Cet annuaire compte à lui seul plus de 40 millions d’utilisateurs.
Vous vous intéressez aux poissons volants, aux frasques de Bill Clinton, aux prévisions météo ou au commerce électronique ? En vous connectant sur Yahoo!, vous accéderez sans peine à tous les services du réseau. Les Américains appellent d’ailleurs «portal» (portail) ce type de site. Il en existe des centaines d’autres : Hot Bot, Infoseek aux Etats-Unis, Nomade en France, pour ne citer que les plus connus. Mais, partout où il s’est implanté, Yahoo! est numéro 1 ou 2 de la spécialité. D’où l’incroyable envolée de l’action, introduite en Bourse en 1996. Fin 1998, elle cotait plus de 1 300 francs au Nasdaq, le marché américain des valeurs high-tech. Ce qui valorisait l’entreprise à 135 milliards de francs. Plus qu’Alcatel ou LVMH, alors que Yahoo! n’emploie que 700 personnes, réalise à peine 1,1 milliard de francs de chiffre d’affaires annuel et a dégagé ses premiers profits en 1998. Jusqu’à présent, tous les bénéfices d’exploitation ont en effet été engloutis dans des acquisitions, afin d’accélérer le rythme de la croissance.
Les spéculateurs sont-ils devenus fous ? Ils anticipent en tout cas une explosion des revenus de la société. Comme tout moteur de recherche, Yahoo! se finance en commercialisant des espaces publicitaires et, surtout, en prélevant une dîme sur les ventes réalisées via son site. Pour l’instant, ce média reste marginal. En 1998, à peine 10 milliards de francs ont été dépensés dans le monde en publicité sur le Web. Mais ces chiffres devraient décupler dans les prochaines années, car l’audience du Net grimpe en flèche. En 1997, la planète comptait 79 millions d’internautes. En 2002, ils seront plus de 300 millions !
Inévitablement, cet essor dopera l’activité de Yahoo!. Ses performances, d’ailleurs, sont déjà exceptionnelles : sa marge brute d’exploitation dépasse 30% (20% chez LVMH). «Internet est un média qui nécessite très peu d’investissements, explique Lanny Baker, analyste chez Salomon Smith Barney, à San Francisco. Et Yahoo! est une des firmes les mieux gérées que je connaisse.» Pourtant, lorsqu’on arrive au siège, à Santa Clara, au coeur de la Silicon Valley, on croit débarquer chez des potaches. 500 salariés y travaillent dans un capharnaüm indescriptible ­ flippers, bouées de sauvetage, squelettes en plastique. Jonché de vêtements sales, le bureau de David Filo, un des deux fondateurs, ressemble à une chambre d’étudiant. Et son associé, Jerry Yang, qui s’est baptisé «chef Yahoo!» sur sa carte de visite, affiche une décontraction toute californienne. «Mon âge ? 30 ans, annonce d’emblée cet Américain sans complexe né à Taïwan. Ma fortune ? Je possède 11% des actions de la société, soit, sur le papier, 2,7 milliards de dollars.»
Fabuleux destin ! Il y a encore cinq ans, Jerry Yang et David Filo étaient étudiants à Stanford. La célèbre université californienne avait mis à leur disposition un bureau et un ordinateur dans une caravane. Les deux copains consacraient tous leurs loisirs à surfer sur le Web. «Nous avions beaucoup de mal à dénicher des sites intéressants, se souvient Jerry Yang. Aussi, en avril 1994, nous avons créé un index regroupant nos serveurs préférés et l’avons mis à la disposition des autres internautes.» Succès immédiat. Car les moteurs de recherche de l’époque n’étaient pas très efficaces. L’utilisateur entrait quelques mots clés (par exemple, James Bond), puis se retrouvait avec une liste d’une centaine de serveurs Web, qu’il devait trier. Alors que, dans la base de données réalisée par Filo et Yang, les informations étaient soigneusement rangées par thèmes, grâce à une classification arborescente : pour obtenir des renseignements sur l’agent 007, il suffisait de cliquer sur la catégorie «loisirs-culture», puis sur «films» et enfin «genre : action».
Nos deux étudiants se sont vite rendu compte que leur trouvaille valait de l’or : début 1995, les visiteurs se bousculaient dans leur caravane. Steve Case, le patron d’AOL, premier fournisseur d’accès à Internet dans le monde et, aujourd’hui, principal concurrent, leur proposa 11 millions de francs pour leur annuaire, tandis que les «VC» («venture-capitalists») les pressaient de créer leur propre société. Parmi eux, Michael Moritz, de Sequoia Capital.
«J’ai tout de suite compris que David et Jerry venaient de créer un média révolutionnaire, se souvient cet ancien journaliste, reconverti dans la finance. Et j’ai mis à leur disposition 1 million de dollars.» Ses deux poulains se laissèrent convaincre de monter leur boîte, mais à une condition : qu’ils n’assument pas la direction opérationnelle de l’entreprise.
Le 5 avril 1995, les statuts de Yahoo! étaient déposés. Traduction : «Yet another hierarchical officious oracle» (Encore un autre oracle trop zélé et hiérarchique). «Une blague que seuls David et moi pouvons comprendre», sourit Jerry Yang. «Ce cri du coeur est un superbe nom commercial», se félicite Tim Koogle, président depuis août 1995. A 47 ans, cet ancien cadre de Motorola fait figure d’aïeul dans une entreprise où la moyenne d’âge ne dépasse pas 28 ans. A peine recruté par Michael Moritz, il s’est employé à transformer ce qui n’était encore qu’un hobby d’étudiants en vrai business.
Sa stratégie s’appuie sur trois axes de développement. «Nous devons fournir du contenu rédactionnel, en assurer la distribution et faire connaître notre marque», résume Jeff Mallett, 34 ans, directeur général. En matière de management, la maison s’est fixé deux règles d’or. Un : «Dépenser le moins possible, afin de ne pas s’endetter», martèle Gary Valenzuela, un autre «papy» de 41 ans, directeur financier. Deux : «Etre fun. Nous tenons à garder notre image décalée, qui plaît aux
30-35 ans, principale tranche d’âge des internautes», poursuit Karen Edwards, directrice du marketing.
Ainsi, à chaque Noël, la page d’accueil de Yahoo! s’orne de boules ou de feuilles de houx. «Sympa, non ?», lance Srinija Srinivasan, qui, à 27 ans, est «ontological Yahoo!», responsable du contenu rédactionnel. L’annuaire proprement dit est réalisé, à peu de frais, par les «surfeurs». Ils sont une centaine au siège californien et une dizaine dans chaque filiale. Payés au lance-pierre (7 370 francs net par mois en France), ils passent leur temps à repérer de nouveaux sites. Yahoo! en a répertorié 1 million aux Etats-Unis et 55 000 en France.
Quant aux informations pratiques, comme les prévisions météo, elles sont fournies par 300 prestataires extérieurs. Dans 85% des cas, Yahoo! les obtient gratuitement. «C’est un échange : ces prestataires nous donnent leurs « contenus », nous leur apportons notre audience, donc de la notoriété», explique Grégoire Clémencin, producteur de Yahoo! France.
Seuls les services personnalisés, comme Yahoo.mail (les boîtes aux lettres mises à la disposition des internautes), sont réalisés en interne. Pour distancer la concurrence, les spécialistes de la maison ne manquent pas d’idées. Ils viennent par exemple d’acquérir une technologie mise au point par un Français, Philippe Kahn, qui permet de gérer son agenda sur Yahoo!, puis de le télécharger sur un ordinateur portable.
Astuce : pour accéder à ces services, il faut décliner nom, âge, e-mail et centres d’intérêt. L’entreprise a ainsi mis en fiche 25 millions d’internautes. «Grâce à ces données, nous pourrons bientôt afficher les publicités en fonction du profil des utilisateurs», confie Jeff Mallett. Ainsi, chaque fois qu’un célibataire, passionné de plongée, se connectera, Yahoo! l’identifiera et enverra sur son écran une publicité du genre Club Med. Aujourd’hui, les 1 500 annonceurs du site (IBM, Toyota, Dior) peuvent simplement acheter un bandeau qui apparaît systématiquement sur la page d’accueil ou uniquement lorsque l’utilisateur clique sur certains mots clés (ordinateurs, voitures). Une semaine de présence sur Yahoo! France coûte plus de 85 000 francs.
Le deuxième axe stratégique de l’entreprise consiste à contrôler sa «distribution» pour être accessible à tous les internautes. Cela suppose la création de filiales à l’étranger et des accords avec les fabricants d’ordinateurs ou les fournisseurs d’accès à Internet, pour que Yahoo! ait la priorité sur ses concurrents.
Sur le premier point, la firme californienne a de l’avance sur ses rivaux, puisqu’elle est présente dans quatorze pays (Allemagne, Espagne, Australie, Corée). Elle s’est internationalisée dès 1996, avec l’aide de son principal actionnaire, Softbank, un holding japonais. Yahoo! France, par exemple, a été hébergé pendant un an et demi dans les locaux parisiens de Ziff-Davis, un éditeur de revues informatiques, filiale du groupe japonais. Il n’y a pas de petites économies
En revanche, le référencement constitue la principale faiblesse de la firme américaine. Jusqu’ici, ses dirigeants avaient surtout misé sur la solidarité. La plupart des internautes, lorsque Yahoo! répertorie leur site, renvoient la balle en créant un «lien» qui oriente leurs visiteurs vers le moteur de recherche. Plus de 1 million de documents contiennent ainsi un renvoi automatique sur Yahoo!. Mais cela ne suffit plus. La plupart des concurrents ont passé des accords avec des constructeurs informatiques ou des fournisseurs d’accès. Exemple : dans quelques semaines, les micro-ordinateurs Dell achetés aux Etats-Unis et au Canada se connecteront automatiquement sur AOL. Yahoo!, de son côté, n’a conclu que des alliances ponctuelles avec Compaq aux Etats-Unis ou British Telecoms en Grande-Bretagne. «Mais nous allons nous rattraper en 1999», annonce Fabiola Arredondo, 32 ans, directrice générale pour l’Europe, basée à Londres.
Dernière priorité : l’image. 90% des utilisateurs du Web connaissent déjà la marque. «Mais notre taux de notoriété tombe à 40% auprès du public qui envisage de s’abonner à Internet, précise Karen Edwards, la directrice du marketing. Ces clients potentiels constituent notre cible prioritaire.» Là encore, tous les moyens sont bons. Ainsi, pendant la dernière «gay pride» de San Francisco, des employés brandissant des pancartes Yahoo! ont défilé au milieu des homosexuels. De même, un échange original vient d’être négocié avec la série télévisée «Urgences» : Yahoo! fournit des accès Internet et quand, au cours des épisodes, les acteurs se brancheront sur le Web, le site apparaîtra clairement à l’écran. Autre exemple : en septembre dernier, la firme a loué un stand à la Fête de «l’Humanité». Il a été pris d’assaut. Non pas parce qu’il s’agissait d’une affreuse entreprise capitaliste. Mais par curiosité : les visiteurs étaient fascinés par Internet. Pari gagné.
Jacques Henno

Article paru dans Capital en février 1999

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Apple lutte pour sa survie

Pertes abyssales, qualité des produits en baisse Le pionnier de la micro traverse la crise la plus grave de son histoire. Seul le lancement d’une nouvelle génération de Macintosh pourrait le sauver. Impossible, hélas, avant un an…

Difficile de croire, lorsqu’on découvre le siège social d’Apple, à Cupertino, en pleine Silicon Valley, à 40 kilomètres au sud de San Francisco, que cette entreprise est en péril. Le légendaire pionnier de la micro occupe deux tours de sept étages, flambant neuves. Dans le hall d’entrée, c’est la même vieille dame qui, depuis trois ans, accueille les visiteurs. Bien en vue près des ascenseurs, une affiche prévient : «En 1995, Apple a livré plus de micro-ordinateurs que n’importe quel autre fabricant. Quiconque a déclaré que les jours d’Apple étaient comptés a fait une erreur de calcul» Mais, en regardant d’un peu plus près les notes de service affichées dans le bureau de l’un des managers, on comprend que tout cela relève de la propagande. Punaisée sur le mur, une circulaire interne rappelle l’«Objectif de communication numéro 1» du groupe : «Le message à faire passer est : Apple a un avenir. () Nous traversons des problèmes à court terme.»
Problèmes à court terme ? Doux euphémisme. Apple n’a jamais été dans une situation aussi catastrophique. L’entreprise mythique qui, il y a vingt ans, inventa la micro-informatique, risque sérieusement de se faire sortir du marché. A la mi-96, ses ventes ne représentaient plus que 5,5% du secteur, soit 2,3 points de moins qu’un an auparavant. «Et ça continue de baisser», constate Kimball Brown, analyste chez Dataquest, un cabinet d’études spécialisé dans l’informatique.
Les résultats financiers sont encore plus alarmants. L’exercice 1995-1996, clos le 30 septembre dernier, s’est soldé par un chiffre d’affaires en chute de 11% à 51,5 milliards de francs et par une perte record de 4,3 milliards. L’exercice 1996-1997 ne s’annonce guère meilleur. Entre octobre et décembre 1996, l’entreprise a déjà perdu un demi-milliard de francs.
La crise est si grave que même Steve Jobs, le fondateur du groupe, parti en 1985, n’est pas sûr de pouvoir faire grand-chose. Appelé à l’aide par Gil Amelio, le P-DG, il a accepté de lui apporter un appui technique, facturé au prix fort, mais s’est bien gardé de s’impliquer dans la gestion quotidienne. Pour 2,1 milliards de francs, il lui a revendu sa société, Next, dont les équipes vont intégrer Apple et développer un nouveau système d’exploitation (l’interface entre l’homme et la machine). Lui-même se contentera d’occuper, à mi-temps, le poste de conseiller du président. Sage décision de la part d’un homme qui, voilà quelques mois, avait déclaré en substance à un mensuel américain : «Apple est foutu»
Le retour de celui qui passe pour un des meilleurs visionnaires de l’informatique constitue, malgré tout, un joli coup de pub pour une société qui avait sérieusement besoin de redorer son blason. Il y a encore peu, la firme de Cupertino était réputée dans le monde entier pour sa créativité et la qualité de ses produits. Aujourd’hui, elle a perdu son leadership technologique et se révèle incapable de fabriquer du matériel de pointe. «Les ordinateurs Apple ne possèdent plus aucun avantage sur des PC équipés de Windows 95, le système d’exploitation de Microsoft», tranche Brian Murphy, un des responsables de Northern Telecom, une firme canadienne qui a décidé de se débarrasser de 30 000 Macintosh.
Pour reprendre son avance technique, Apple a bien tenté, pendant cinq ans, de mettre au point un nouveau système d’exploitation, baptisé Copland. Un fiasco ! Les équipes de recherche, pourtant dotées d’un budget annuel de 3 milliards de francs, n’ont réussi qu’à écrire des bouts de programmes. La première décision de Gil Amelio, débauché de National Semiconductor en février 1996, fut d’arrêter ce gâchis. Autre urgence : il a dû passer une provision de 400 millions de francs pour couvrir les frais de réparation de milliers d’ordinateurs défectueux mis sur le marché avant son arrivée. Aujourd’hui encore, des clients renvoient en usine leur Power Macintosh 5200, pour cause de microprocesseur défaillant, ou leur portable PowerBook 190, dont l’écran leur est resté entre les mains.
Pas étonnant, dans ces conditions, que les acheteurs boudent les produits frappés de la petite pomme multicolore. Chez Fry’s, la chaîne de magasins fréquentée par tous les mordus de la Silicon Valley, on ne se bouscule plus devant les Macintosh. «Regardez, nous sommes dimanche, en fin après-midi. C’est une heure d’affluence, mais il n’y a pas un chat au stand Apple», soupire Nidal, vendeur au magasin de Palo Alto.
Ironie du sort, c’est tout à côté d’ici, en 1976, qu’a commencé l’épopée d’Apple. Dans leur modeste garage, Steve Jobs, alors âgé de 21 ans, et son compère Steve Wozniak, 26 ans à l’époque, ont inventé deux machines, l’Apple I et l’Apple II, qui allaient bouleverser toute l’industrie informatique mondiale. Il s’agissait des premiers ordinateurs destinés à un grand public, même s’il fallait encore quelques solides connaissances techniques pour les faire fonctionner. Nouveau coup de génie huit ans plus tard, avec le Macintosh. Cette fois, plus besoin d’être un mordu pour s’en servir. Quelques minutes suffisaient pour apprendre à lancer un logiciel à l’aide de la souris.
Pour commercialiser cette petite merveille, Steve Jobs débaucha un as du marketing, John Sculley, vice-président de Pepsi. Mais le lancement fut un échec retentissant qui, déjà, faillit coûter la vie à l’entreprise. Sculley en profita pour évincer Jobs de la direction d’Apple. Il hérita d’une entreprise où le mot management était inconnu. Il n’y avait ni budget prévisionnel ni inventaire. Pour redresser la barre, John Sculley licencia 20% du personnel.
Dans la deuxième moitié des années 80, grâce à l’explosion du marché et à son avance technologique, la petite société californienne connut son heure de gloire. Elle devint le numéro 2 mondial du secteur avec 10% des ventes, derrière le géant IBM, ce qui lui valut une réputation d’entreprise impertinente et anticonformiste. Ses clients, de véritables aficionados, acceptaient de payer très cher le privilège d’acheter un Mac. Sur certains modèles, la marge brute dépassait 50%.
Nouvelle alerte en 1993, lorsque tous les constructeurs de micro-informatique se lancèrent dans une guerre des prix sans merci. Apple, incapable de s’aligner, vit sa part de marché mondiale tomber à 8%. Exit John Sculley. Au tour de Michael Spindler, jusqu’alors directeur général, de prendre les commandes. Dans un premier temps, le nouveau patron parvint à maintenir les bénéfices, grâce à 2 500 suppressions d’emplois. Puis, affolé en voyant sa part de marché continuer sa dégringolade, il lança un plan de reconquête visant à sortir le plus rapidement possible de nouveaux produits à bas prix. Tout le contraire des habitudes maison. Raté ! La qualité des Macintosh s’effondra, la part de marché poursuivit sa descente aux enfers et le résultat plongea dans le rouge.
Aujourd’hui, Gilbert Amelio est au pied du mur. Pour qu’Apple demeure un acteur majeur de la micro-informatique, il doit mener à bien deux réformes de fond : augmenter durablement la productivité et, surtout, relancer les efforts de recherche. Depuis l’invention du Mac, et à l’exception des ordinateurs de poche Newton, lancés en 1993 ­ autre échec ­ rien de vraiment nouveau n’est sorti des laboratoires de Cupertino.
Le premier chantier a été confié à Marco Landi, directeur général depuis mai dernier. «Nous devons devenir moins cher que tous nos concurrents», martèle ce volubile Italien, qui a appris le «cost-killing» (la chasse aux coûts) chez Texas Instruments. Sa méthode est classique : dégraisser et réduire le nombre de fournisseurs. Le plan d’incitation au départ proposé aux salariés a marché au-delà de tout espoir. 3 500 personnes, soit 27% des effectifs, ont quitté l’entreprise en douze mois.
Parmi elles, les 1 300 salariés de l’usine du Colorado, vendue à un sous-traitant. Le sort des trois autres unités dépendra de leurs performances. Message reçu par James McCluney, le directeur industriel. «Je dois diminuer mes coûts de 15% d’ici à septembre prochain», reconnaît-il. Heureusement, chez Apple, les gaspillages se repèrent assez facilement Ainsi, pour réunir les 700 composants dont il avait besoin, le groupe s’approvisionnait auprès de 370 fournisseurs différents. James McCluney n’en a gardé que 300, ceux qui ont accepté de baisser leurs prix de 10%.
En interne, les ingénieurs ont été priés de concevoir des produits moins onéreux à fabriquer. «Vous voyez ce petit caoutchouc sous la poignée ?», montre Jonathan Ive, le responsable du design industriel, en saisissant sa dernière invention, un ordinateur portable pour écolier. «Il facilite la prise en main de l’appareil. J’ai dû me battre pour l’imposer. Cela augmentait de 1 franc le prix de revient de la machine.»
Ces économies commencent à porter leurs fruits. En octobre dernier, Apple a baissé de 30% le prix de vente de ses ordinateurs familiaux. Prouesse aussitôt réduite à néant par une autre grosse faiblesse de l’entreprise : son incapacité à établir des prévisions de vente fiables. «Dans ce domaine, ce sont les plus mauvais», estime Patrick Bouali, responsable du département Apple chez Surcouf, le grand magasin d’informatique parisien. «Vous savez, dans cette industrie, faire des pronostics de vente, c’est un peu comme lire l’avenir dans une boule de cristal», lâche H.L. Cheung, responsable de la gamme Performa (ordinateurs pour la famille et l’école). Avant d’avouer, gêné, qu’il n’utilise aucun modèle scientifique pour élaborer ses prévisions. Résultats : après Noël 1996, Apple s’est retrouvé avec un énorme stock de Performa invendus. Gil Amelio a dû prendre de nouvelles mesures d’économie, dont 900 nouvelles suppressions d’emplois.
Mais, pour le patron, le plus dur reste à faire : la préparation d’un nouvel OS («Operating System» : système d’exploitation), à partir des travaux de Steve Jobs. Si Amelio échouait sur ce point, Apple serait définitivement distancé par Microsoft et ne pourrait pas conserver, même auprès de ses clients les plus fidèles, son image de constructeur à part dans l’univers informatique. La firme pourrait bien, alors, être rachetée, voire disparaître. Après l’échec de Copland, l’OS préparé en interne, Gil Amelio s’était mis en quête, à l’extérieur, d’un programme tout prêt. Le choix sembla d’abord se porter sur Be OS, un produit mis au point par l’ancien numéro 2 d’Apple, Jean-Louis Gassée. Les négociations achoppèrent sur le prix. Gil Amelio signa finalement avec Steve Jobs, dont les équipes avaient développé leur propre système d’exploitation, NextStep. Celui-ci rend beaucoup plus facile l’utilisation de programmes multimédias (CD-Rom, Internet) sur un ordinateur. Un argument de poids, car ce sont ces applications qui tirent actuellement les ventes des ordinateurs.
Ce choix n’a pas fait l’unanimité, à l’intérieur comme à l’extérieur du groupe. «C’est un logiciel puissant et très simple à manier ; exactement ce qu’il faut pour Apple», s’enthousiasme Ann Wrixon, directrice générale de BMUG, une association qui rassemble 12 000 fans de «la Pomme». «Il y a encore trop d’inconnues, notamment la date de sortie des nouvelles machines, pour dire si NextStep était le bon choix», tempère Todd Bakar, analyste financier chez Hambrecht & Quist, une banque d’affaires de San Francisco spécialisée dans la high-tech. Une course de fond est engagée pour la mise au point de la version définitive de ce produit, baptisée Rhapsody. Tout retard laisserait le champ libre à Microsoft, dont les logiciels multimédias vont profiter prochainement d’un surcroît de puissance. Intel, le fabricant de microprocesseurs qui équipe la plupart des PC, vient en effet d’annoncer la sortie d’une nouvelle puce, le Pentium MMX.
Début janvier, à MacWorld, le salon qu’Apple organise tous les ans à San Francisco, Gil Amelio s’est voulu rassurant. Il a affirmé que Rhapsody serait disponible début 1998 et que les anciens logiciels pour Mac pourraient «tourner» dessus. Et il a révélé que le groupe avait pris un ticket dans une start-up californienne, Exponential, qui met au point un microprocesseur révolutionnaire, deux à trois fois plus rapide que celui d’Intel.
Paradoxalement, seul Microsoft, pour l’instant, a apporté un soutien énergique à la stratégie d’Apple. Ses responsables ont promis de continuer à développer des logiciels pour le Mac. «Mettez-vous à leur place, analyse un expert, si Apple disparaissait, ils se retrouveraient en situation de monopole. Ce qui, aux Etats-Unis, leur vaudrait procès sur procès.» Donner un petit coup de pouce à leur malheureux concurrent leur coûtera bien moins cher
De notre envoyé spécial en Californie, Jacques Henno

Des P-DG virés à coups de millions de dollars
Apple a beau perdre de l’argent, ses P-DG successifs en gagnent beaucoup Au total, sur les quinze derniers mois, la firme a accumulé plus de 4,8 milliards de francs de pertes nettes. Mais son président actuel, Gil Amelio, parce qu’il a réussi, grâce à une reprise sur provision, à dégager un bénéfice de 131 millions de francs entre juillet et septembre dernier, va empocher une prime de 12 millions de francs. C’est l’un des nombreux avantages qu’Amelio a négociés lors de son embauche, en février 1996. Une pratique courante aux Etats-Unis, mais dans des entreprises bénéficiaires ! Le salaire annuel de base du P-DG n’est «que» de 5,2 millions de francs. Mais, le jour de son entrée dans l’entreprise, il a reçu, comme cadeau de bienvenue, un chèque de 1 million de francs, plus un prêt de 26 millions. Son indemnité, en cas de licenciement à la suite d’un changement d’actionnaires, pourrait atteindre 50 millions de francs.
Son prédécesseur, Michael Spindler, avait quitté l’entreprise avec «seulement» 19 millions de francs. Quant à John Sculley, P-DG de 1984 à 1993, il avait empoché, en partant, 23 millions, plus un petit bonus : la compagnie lui avait racheté sa propriété californienne, estimée à 50 millions de francs.

Les malheurs d’Apple France
Lan dernier, les ventes de micro-ordinateurs domestiques ont augmenté de 25% en France. Mais la filiale française d’Apple n’a pas profité de ce boom. «Sur le marché grand public, nos ventes ont stagné en 1996», reconnaît Georges Bongi, directeur général d’Apple France. La filiale reste numéro 1 pour les ordinateurs familiaux, mais elle rencontre de moins en moins de succès auprès des entreprises. Dans ce secteur, sa part de marché n’est plus que de 4%. Plusieurs grands groupes, comme les AGF, ont même annoncé leur décision de remplacer tous leurs Macintosh par des compatibles IBM PC. «La politique d’Apple à l’égard des entreprises n’était pas performante, explique le responsable d’un centre de recherche qui utilisait 270 Macs. Il m’est arrivé de ne
pas voir leur représentant pendant douze mois.»

Articles parus dans le mensuel Capital en février 1997