Archives de catégorie : Microsoft

Demain, un cloud souverain européen ?

Plusieurs initiatives, françaises ou européennes, poussent à la création d’un cloud souverain européen capable de protéger les données industrielles sensibles.

J’ai publié mardi dans le quotidien Les Échos une enquête sur la volonté d’un nombre croissant d’acteurs économiques et politiques européens de disposer d’une offre de clouds souverains, conférant aux entreprises et administrations du Vieux Contient 1) autonomie face aux volontés hégémoniques des hébergeurs américains ou chinois et 2) protection contre les réquisitions juridiques des États-Unis : http://bit.ly/cloudsouv 

Deux livres à lire ou à relire pour comprendre le programme d’espionnage américain révélé par The Guardian et The Washington Post

The Guardian et The Washington Post viennent de révéler que la NSA (National Security Agency), l’agence américaine chargée des écoutes électroniques avait directement accès aux serveurs d’Apple, Facebook, Google, Microsoft, Skype et autre Yahoo! pour espionner des citoyens du monde entier. C’est-à-dire n’importe lequel d’entre nous !
Officiellement, ces écoutes visent à lutter contre le terrorisme, mais les données collectées pourraient tout aussi bien être utilisées pour l’espionnage économique ou la surveillance politique.
Les grandes oreilles de l’Oncle Sam ont accès à l’historique de nos recherches sur Google, aux courriers électroniques que nous échangeons sur Yahoo!, aux vidéos que nous publions sur YouTube ou aux photos que nous archivons sur Picasa dans le cadre d’un programme de surveillance appelé Prism, qui est le descendant du programme TIA (Total Information Awareness : Surveillance Totale) que je décris dans mon livre Tous Fichés : l’incroyable projet américain pour déjouer les attentats terroristes (Editions Télémaque novembre 2005).
Ce programme de «Surveillance totale», initié après les attentats du 11 septembre 2001, visait à constituer des fiches sur chaque habitant de la planète pour  détecter, dans nos agissements, les signes annonçant la préparation d’attentats terroristes.
Une des retombées de ce programme de recherche fut la réquisition par les autorités américaines des données des passagers : depuis novembre 2001, toutes les compagnies aériennes qui desservent ou qui survolent les Etats-Unis doivent communiquer toutes les informations qu’elles possèdent sur les passagers de chacun de leurs vols (nom, adresse, email, numéro de carte bancaire, passagers voyageant avec eux, préférences alimentaires…).
Puis les autorités américaines ont étendu ces réquisitions aux données des grands acteurs américains de l’Internet. Dans mon livre Silicon Valley / Prédateurs vallée ? Comment Apple, Facebook, Google et les autres s’emparent de nos données (Editions Télémaque novembre 2011), je raconte que ces entreprises savent… tout de nous !
Près d’un milliard de Terriens utilisent les services de Google ou de Facebook. A travers les mots clés que nous tapons lors de nos recherches, Google sait quelles maladies nous avons (il est capable de prédire les épidémies de grippe avec trois jours d’avance sur les observatoires officiels de la grippe qui existent dans les pays développés), pour qui nous votons, nos croyances, nos préférences alimentaires, etc.

Deux livres à lire ou à relire pour comprendre le programme d'espionnage américain révélé par The Guardian et The Washington Post

The Guardian et The Washington Post viennent de révéler que la NSA (National Security Agency), l’agence américaine chargée des écoutes électroniques avait directement accès aux serveurs d’Apple, Facebook, Google, Microsoft, Skype et autre Yahoo! pour espionner des citoyens du monde entier. C’est-à-dire n’importe lequel d’entre nous !
Officiellement, ces écoutes visent à lutter contre le terrorisme, mais les données collectées pourraient tout aussi bien être utilisées pour l’espionnage économique ou la surveillance politique.
Les grandes oreilles de l’Oncle Sam ont accès à l’historique de nos recherches sur Google, aux courriers électroniques que nous échangeons sur Yahoo!, aux vidéos que nous publions sur YouTube ou aux photos que nous archivons sur Picasa dans le cadre d’un programme de surveillance appelé Prism, qui est le descendant du programme TIA (Total Information Awareness : Surveillance Totale) que je décris dans mon livre Tous Fichés : l’incroyable projet américain pour déjouer les attentats terroristes (Editions Télémaque novembre 2005).
Ce programme de «Surveillance totale», initié après les attentats du 11 septembre 2001, visait à constituer des fiches sur chaque habitant de la planète pour  détecter, dans nos agissements, les signes annonçant la préparation d’attentats terroristes.
Une des retombées de ce programme de recherche fut la réquisition par les autorités américaines des données des passagers : depuis novembre 2001, toutes les compagnies aériennes qui desservent ou qui survolent les Etats-Unis doivent communiquer toutes les informations qu’elles possèdent sur les passagers de chacun de leurs vols (nom, adresse, email, numéro de carte bancaire, passagers voyageant avec eux, préférences alimentaires…).
Puis les autorités américaines ont étendu ces réquisitions aux données des grands acteurs américains de l’Internet. Dans mon livre Silicon Valley / Prédateurs vallée ? Comment Apple, Facebook, Google et les autres s’emparent de nos données (Editions Télémaque novembre 2011), je raconte que ces entreprises savent… tout de nous !
Près d’un milliard de Terriens utilisent les services de Google ou de Facebook. A travers les mots clés que nous tapons lors de nos recherches, Google sait quelles maladies nous avons (il est capable de prédire les épidémies de grippe avec trois jours d’avance sur les observatoires officiels de la grippe qui existent dans les pays développés), pour qui nous votons, nos croyances, nos préférences alimentaires, etc.

Quand l’ICOMP fait – mal – du lobbying anti-Google

J’ai reçu la semaine dernière une invitation par email (voir ci-contre – le nom de l’expéditeur a été flouté par moi) pour participer à un déjeuner sur le thème «Comment sont gérées nos données privées sur Internet ? En présence de Pamela Jones Harbour (ancien commissaire de la Federal Trade Commission – l’organisme qui veille sur le droit des consommateurs aux Etats-Unis) et Auke Haagsma (ancien juriste à la Commission européenne)».


Ce déjeuner était organisé par l’ICOMP (Initiative for a Competitive Online Marketplace).









Or, sur Internet, l’ICOMP est souvent présentée comme un organisme de lobbying soutenu par Microsoft  (voir ci-contre un extrait de la fiche Wikipedia consacrée à l’Icomp).






Interrogée par retour de mail, la personne qui m’a envoyé l’invitation ne dément pas et se contente de me faire parvenir un document Word intitulé ICOMP : pour un marché en ligne concurrentiel où l’on peut lire :





J’accepte cependant l’invitation.


Et je me retrouve donc vendredi 2 mars 2012 à 13H autour d’une grande table réunissant, entre autres, des responsables de l’ICOMP, des membres de Burson-Marsteller, l’agence de communication et de relations publiques qui assure le secrétariat de l’ICOMP, les représentants de plusieurs sociétés ou organismes se plaignant des pratiques de Google, deux journalistes et moi-même, venu en tant que blogueur.





Surprise, la présentation faite par Pamela Jones Harbour, associée chez Fulbright & Jaworski LLP, un des plus grands cabinets d’avocat américain (du moins en termes d’effectifs…), ne s’intitule pas  Comment sont gérées nos données privées sur Internet ?, mais Antitrust Issues Raised by Google’s Privacy Policy Changes (ce que l’on peut traduire par Les problèmes de droit de la concurrence posés par les nouvelles règles de confidentialité de Google).
















S’en sont suivies près de deux bonnes heures de discours et de discussion anti-Google, émaillés de quelques approximations et d’oublis.


Par exemple, il nous a été présenté un schéma, réalisé par Lumina, une banque d’investissement américaine spécialisée dans les nouvelles technologies, et montrant tous les acteurs du marché de la publicité en ligne :

DISPLAY LUMAscape

View more presentations from Terence Kawaja


Le même schéma nous a ensuite été proposé avec, mis en évidence, toutes les sociétés ou outils que Google, selon ICOMP, contrôle sur ce marché : «DoubleClick, Teracent, InviteMedia, Google Analytics, Admob et Admeld».


Mais ICOMP a oublié de mentionner les sociétés que le groupe Microsoft possède ou avec lesquelles il est lié sur ce même marché de la publicité en ligne : Atlas, Yahoo!…


Autres oublis de taille : les dangers que Facebook fait peser sur la vie privée.


Sans parler du fait que Microsoft* est désormais aussi en faute que Google pour les tracking cookies : en France, avant l’installation de ces petits logiciels espion, l’autorisation des internautes doit être recueillie.


Résultat, une impression d’acharnement contre Google que les responsables de l’ICOMP semblent vouloir voir condamner au même sort que Microsoft il y a quelques années : «empêtré dans des procès anti-trust et, du coup, incapable d’innover».


Je ne crois pas être tendre avec Google, comme je ne l’ai pas été, dans le mensuel Capital, avec Microsoft, aux temps de ses démêlés avec l’anti-trust américain.


Le débat sur les pratiques de Google est très important – en particulier depuis que le géant de Moutain View a changé ses règles de confidentialité – mais je considère,  au regard des enjeux, qu’il gagnerait à être un peu plus subtil…




____
Comme tous les acteurs de la publicité en ligne, Microsoft installe des tracking cookies : http://privacy.microsoft.com/FR-FR/fullnotice.mspx#display

Quand l'ICOMP fait – mal – du lobbying anti-Google

J’ai reçu la semaine dernière une invitation par email (voir ci-contre – le nom de l’expéditeur a été flouté par moi) pour participer à un déjeuner sur le thème «Comment sont gérées nos données privées sur Internet ? En présence de Pamela Jones Harbour (ancien commissaire de la Federal Trade Commission – l’organisme qui veille sur le droit des consommateurs aux Etats-Unis) et Auke Haagsma (ancien juriste à la Commission européenne)».


Ce déjeuner était organisé par l’ICOMP (Initiative for a Competitive Online Marketplace).









Or, sur Internet, l’ICOMP est souvent présentée comme un organisme de lobbying soutenu par Microsoft  (voir ci-contre un extrait de la fiche Wikipedia consacrée à l’Icomp).






Interrogée par retour de mail, la personne qui m’a envoyé l’invitation ne dément pas et se contente de me faire parvenir un document Word intitulé ICOMP : pour un marché en ligne concurrentiel où l’on peut lire :





J’accepte cependant l’invitation.


Et je me retrouve donc vendredi 2 mars 2012 à 13H autour d’une grande table réunissant, entre autres, des responsables de l’ICOMP, des membres de Burson-Marsteller, l’agence de communication et de relations publiques qui assure le secrétariat de l’ICOMP, les représentants de plusieurs sociétés ou organismes se plaignant des pratiques de Google, deux journalistes et moi-même, venu en tant que blogueur.





Surprise, la présentation faite par Pamela Jones Harbour, associée chez Fulbright & Jaworski LLP, un des plus grands cabinets d’avocat américain (du moins en termes d’effectifs…), ne s’intitule pas  Comment sont gérées nos données privées sur Internet ?, mais Antitrust Issues Raised by Google’s Privacy Policy Changes (ce que l’on peut traduire par Les problèmes de droit de la concurrence posés par les nouvelles règles de confidentialité de Google).
















S’en sont suivies près de deux bonnes heures de discours et de discussion anti-Google, émaillés de quelques approximations et d’oublis.


Par exemple, il nous a été présenté un schéma, réalisé par Lumina, une banque d’investissement américaine spécialisée dans les nouvelles technologies, et montrant tous les acteurs du marché de la publicité en ligne :

DISPLAY LUMAscape

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Le même schéma nous a ensuite été proposé avec, mis en évidence, toutes les sociétés ou outils que Google, selon ICOMP, contrôle sur ce marché : «DoubleClick, Teracent, InviteMedia, Google Analytics, Admob et Admeld».


Mais ICOMP a oublié de mentionner les sociétés que le groupe Microsoft possède ou avec lesquelles il est lié sur ce même marché de la publicité en ligne : Atlas, Yahoo!…


Autres oublis de taille : les dangers que Facebook fait peser sur la vie privée.


Sans parler du fait que Microsoft* est désormais aussi en faute que Google pour les tracking cookies : en France, avant l’installation de ces petits logiciels espion, l’autorisation des internautes doit être recueillie.


Résultat, une impression d’acharnement contre Google que les responsables de l’ICOMP semblent vouloir voir condamner au même sort que Microsoft il y a quelques années : «empêtré dans des procès anti-trust et, du coup, incapable d’innover».


Je ne crois pas être tendre avec Google, comme je ne l’ai pas été, dans le mensuel Capital, avec Microsoft, aux temps de ses démêlés avec l’anti-trust américain.


Le débat sur les pratiques de Google est très important – en particulier depuis que le géant de Moutain View a changé ses règles de confidentialité – mais je considère,  au regard des enjeux, qu’il gagnerait à être un peu plus subtil…




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Comme tous les acteurs de la publicité en ligne, Microsoft installe des tracking cookies : http://privacy.microsoft.com/FR-FR/fullnotice.mspx#display

A Seattle, 6 000 cracks planchent jour et nuit

Article paru dans le mensuel Capital en décembre 1995

Modèles types des informaticiens qui travaillent au siège de Microsoft : les «nerds». Ces célibataires, passionnés par les ordinateurs, fascinés par Bill Gates et payés à prix d’or, sont à la base du succès de la firme.

«Eh ! Halloween, c’est la semaine prochaine. Il va falloir acheter des bonbons pour les gosses.» Scott Davis est l’un des «developpers» (traduisez : analystes-programmeurs) chevronnés de Microsoft. Vêtu d’un short en jean et d’un T-shirt, il jongle à longueur de journée entre deux micro-ordinateurs et un fusil à eau qu’il pointe sur toute personne qui pénètre dans son bureau. De sa fenêtre, il a vue sur l’ensemble du «campus», le siège social de Microsoft, installé à Redmond, dans la banlieue de Seattle, au nord-ouest des Etats-Unis.
Dans huit jours, ces vingt-six bâtiments, construits en lisière de forêt, seront la proie de centaines de gamins déguisés en sorcières. Chaque année, la veille de la Toussaint (Halloween dans le calendrier américain), l’entreprise leader sur le marché mondial des logiciels pour micro-ordinateurs se transforme en terrain de jeu pour les «kids» de ses employés «Ici, c’est un peu la culture du chaos, résume, tout en rajustant son col de chemise défraîchi, Mike Murray, responsable de la gestion des ressources humaines. Nous limitons au maximum les contraintes.» Voire. L’ambiance semble effectivement très «cool» à Redmond. Les 5 400 informaticiens et 2 600 gestionnaires du siège choisissent eux-mêmes leur mobilier et viennent travailler quand ça les arrange (par exemple la nuit et le dimanche). A tout moment, ils peuvent aller se défouler sur l’un des deux terrains de sport qui équipent le «campus».
Mais, en pratique, cette atmosphère bon enfant se révèle vite un piège. «On se sent tellement bien au bureau qu’on y passe un temps fou», met en garde un Français qui travaille à Redmond. «Exact : en moyenne, nos salariés travaillent onze heures par jour», estime Mike Murray. Cette gestion astucieuse des ressources humaines prouve que, chez Microsoft, le «chaos» n’est qu’une apparence. En vingt ans d’existence, l’entreprise a peaufiné des méthodes de travail souvent originales, mais toujours très efficaces. Pour le développement de ses produits, rien n’est laissé au hasard
«Tout commence par une écoute attentive des besoins des consommateurs, raconte Craig Bartholomew, responsable d’Encarta, une encyclopédie sur CD-Rom qui s’est vendue à près d’un million d’exemplaires dans le monde. C’est en discutant avec des utilisateurs, début 1991, que je me suis rendu compte qu’il existait un marché pour ce type d’ouvrages.» Ensuite, tout est allé très vite.
Quelques jours plus tard, Bartholomew envoyait par «e-mail»  le système de messagerie électronique qui relie tous les employés  un mémo à l’un des vice-présidents. Le lendemain, BillG (l’«adresse» de Bill Gates sur «e-mail» devenue son surnom dans l’entreprise) prenait connaissance de son projet. Dans les quinze jours suivants, l’état-major du groupe, qui se réunit deux fois par mois, donnait son feu vert. Il ne restait plus qu’à constituer l’équipe de travail
Celle-ci, quel que soit le logiciel préparé, ne comporte jamais plus de 200 personnes (une règle imposée par BillG lui-même pour maintenir une bonne communication à l’intérieur des groupes) réparties en six «teams» : les spécialistes du marketing, les «developpers», les testeurs, chargés de «torturer» le programme pour en déceler toutes les faiblesses, les «writers» (ceux qui écrivent la documentation technique) et les «localizers», responsables des adaptations pour les marchés étrangers. L’ensemble est piloté par des «program managers» (chefs de projet) ; ce sont eux qui, toujours via «E-mail», informent Bill Gates des choix techniques retenus après une rapide étude de faisabilité. Le grand patron répond par un laconique «This is very sexy» (le summum des compliments) ou «This is not sexy» (la pire des humiliations).
Une fois son imprimatur obtenu, les «developpers» entrent en scène. Leur rôle est ingrat mais primordial. Ils doivent traduire le programme en instructions de base qui prennent le moins de place possible dans la mémoire des ordinateurs. Ce n’est qu’à cette condition que le logiciel sera rapide, et donc agréable à manier. Sans cela, il n’a aucune chance de devenir un best-seller.
Mike Murray, le directeur des ressources humaines, n’hésite pas à affirmer que «l’avenir de Microsoft dépend du talent de ses « developpers »». Pour s’assurer les services des meilleurs, il a mis en place une procédure de recrutement draconienne : l’an dernier, sur 150 000 personnes qui ont envoyé leur CV, 30 000 ont été reçues en entretien et 2 000 embauchées. 1,5% des candidats !
La plupart des jeunes recrues sont des «nerds». Une expression qui, dans la bouche d’un Américain, signifie «mecs bigleux et sans petite amie qui passent leur temps à jouer sur leur ordinateur». «C’est vrai qu’il y a beaucoup de « nerds » chez nous, poursuit Mike Murray. Mais ce n’est pas forcément un défaut : à ses débuts, Bill Gates en était un. Regardez ce qu’il est devenu» En tout cas, ces «nerds» constituent une main-d’uvre corvéable et serviable à merci. Passionnés d’informatique, célibataires, fascinés par Bill Gates, ils bossent comme des fous, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit : le parking de Redmond ne désemplit jamais. Leur vie a même inspiré un livre, «Microserfs» (jeu de mot signifiant «Les serfs de la micro»), devenu un best-seller à Seattle. Extrait : «Le 25 décembre, vers minuit, Susan leva les yeux de son ordinateur et grommela : « Uhh, joyeux Noël. » Tout le monde fit la même chose, puis retourna à son travail»
Un tel degré de dévouement de la part des «nerds» s’explique aussi par leur intéressement à la bonne marche de l’entreprise. En plus de leur salaire de base, qui n’a rien de faramineux (30 000 dollars par an, soit 147 000 francs, pour un débutant, 70 000 dollars, soit 343 000 francs pour un confirmé), ils bénéficient de stock-options, c’est-à-dire de la possibilité d’acheter des actions du groupe à un prix préférentiel. Si les produits qu’ils réalisent se vendent bien, le chiffre d’affaires et le bénéfice de Microsoft augmentent, l’action s’envole en Bourse et c’est le jackpot. «Tous les « developpers » embauchés il y a cinq ans, comme moi, sont millionnaires aujourd’hui», assure Scott Davis, en jouant avec son fusil à eau.
Inconvénient : ces informaticiens se prennent souvent pour des vedettes et ont tendance à n’en faire qu’à leur tête, sans tenir compte des attentes des consommateurs. Pour empêcher cette dérive naturelle, des prototypes de leurs programmes sont régulièrement soumis au verdict des utilisateurs. A cette fin, les équipes de Redmond se sont dotées de quinze «laboratoires», tous aménagés sur le même modèle : deux pièces séparées par une glace sans tain. Dans l’une, un cobaye, placé devant un ordinateur, travaille sur une ébauche de logiciel ; dans l’autre, un spécialiste observe ses faits et gestes retransmis par deux caméras et un microphone. «Nous demandons à nos volontaires de commenter à voix haute ce qu’ils font, explique Mark Simpson, directeur des laboratoires. Cela nous permet de comprendre ce qui se passe dans leur tête lorsqu’ils utilisent nos futurs produits et de déceler d’éventuels problèmes.»
Pas moins de 300 cobayes défilent ici chaque mois. Ils s’engagent, pour deux ans, à ne jamais parler à l’extérieur de ce qu’ils ont vu ; en échange de leur collaboration, ils reçoivent le logiciel de leur choix. Leurs remarques ne portent souvent que sur des détails. Par exemple, l’idée de garder en mémoire les dix dernières opérations effectuées sur Excel  un programme qui permet de manipuler des tableaux de chiffres  vient de l’un d’eux. Mais c’est à coups de petites retouches accumulées qu’un logiciel acquière sa présentation définitive.
Pour Windows 95, ce sont soixante tests de ce type qui ont été réalisés avant le «ship day», le jour où, solennellement, les «developpers» ont remis aux services de production le «golden master disk». Cette matrice est duplicable à l’infini : dans l’usine Microsoft, à quelques kilomètres de Redmond, douze secondes suffisent pour recopier sur une disquette un programme dont la gestation aura duré vingt-quatre mois.
De notre envoyé spécial à Seattle, Jacques Henno

Des managers brillants et originaux

Avec son col ouvert et son jean, Charles Simonyi ressemble à n’importe quel «developper» de Microsoft. Pourtant, son arrivée à la cantine ne passe jamais inaperçue. «Regarde, c’est l’inventeur de Multiplan», murmure-t-on autour de lui. Ce logiciel de calculs, lancé en 1982 (sa dernière version s’appelle Excel), a changé la vie de tous ceux qui manipulent des chiffres. Né en Hongrie, Charles Simonyi a découvert l’informatique à 16 ans, sur un Oural 2, l’ordinateur russe qui équipait l’université de Budapest. A 20 ans, il était étudiant à Berkeley, une des meilleures universités californiennes. Quatre ans plus tard, il était embauché par Microsoft, pour développer des tableurs et les traitements de texte. Aujourd’hui, âgé de 38 ans, il travaille avec Nathan Myhrvold, le directeur de la recherche chez Microsoft. Lui non plus ne passe pas inaperçu : ce titulaire d’un doctorat en physique, ancien collaborateur de l’astrophysicien Stephen Hawking, conduit un Hummer, une Jeep utilisée par l’armée américaine pendant la guerre du Golfe.