Vous vous croyez, en tant qu’Européens protégés par le RGPD ? Vous pensez que ce fameux Règlement Général sur la Protection des Données, applicable depuis le 25 mai dernier, met vos données personnelles à l’abris de tout abus ? Pas si simple : RGPD ou pas, les plateformes d’« ad exchange », qui servent d’intermédiaires entre les annonceurs et les sites ou les applications sur smartphone qui veulent vendre leur espace publicitaire, communiquent allègrement nos données aux annonceurs…
Connaissez-vous les plateformes d’« ad exchange » ? Non ? Vous devriez vous y intéresser car ces plateformes sont au cœur du marché de la publicité sur Internet : ces programmes informatiques de vente et d’achat d’espaces publicitaires sur Internet mettent en relation des acheteurs (agences de publicité, agences médias ou annonceurs directement) et des vendeurs (sites Web, réseaux ou régies publicitaires) : les espaces publicitaires sont mis aux enchères et vendus aux plus offrants. Mais les vendeurs ne mettent pas que leurs espaces publicitaires à la disposition des acheteurs : ils proposent aussi des informations sur les internautes qui pourront voir les publicités des acheteurs. C’est ainsi que nos données de géolocalisation peuvent se retrouver “en vente” sur ces plateformes (lire ci-dessous les explications d’Armand Heslot, expert à la CNIL, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés)
Comment cela est-il possible alors que le fameux RGPD (règlement général sur la protection des données) est applicable depuis le 25 mai 2018 ? En fait, ce règlement doit être encore accompagné de textes dits « spéciaux » qui vont préciser son application dans certains domaines spécifiques. C’est ainsi qu’une nouvelle directive « ePrivacy » va définir l’application du RGPD aux traitements réalisés dans le contexte des communications électroniques : elle va encadrer la collecte des données sur mobile et sur Internet.
Une première version de la directive ePrivacy existe depuis 2002 et a été modifiée en 2009. « Dans les faits, elle n’est pas appliquée », constate un spécialiste du sujet. Elle n’a été traduite et transcrite dans le droit français qu’en août 2011 et cette transcription laissait substituer de nombreuses zones d’ombre. De plus, la directive est en pleine réécriture au niveau européen ; la nouvelle version devrait entrer en vigueur au cours de l’année 2019. « Dans ce contexte, il est difficile d’appliquer une politique de contrôle », poursuit ce spécialiste.
Le futur texte ePrivacy devrait prévoir « comme principe le recueil du consentement des utilisateurs avant toute utilisation de traceur au sein des terminaux (téléphone, tablette, ordinateur, etc.). La notion de traceur s’entend ici au sens très large puisqu’il s’agit de toutes techniques permettant de suivre les utilisateurs : cookies, empreintes numériques (fingerprinting), pixels invisibles (web bugs) »… (Rapport d’activité 2017 de la CNIL, p. 31).
En attendant, les plateformes d’« ad exchange » communiquent la nature de l’appareil que nous utilisons (marque et modèle, nom de l’éventuel opérateur de téléphonie mobile, dimension de l’écran…), notre géolocalisation, notre âge, notre sexe, notre adresse habituelle… Les entreprises peuvent ainsi poursuivre la “réification” de leur stratégie de pouvoir : faire de nous des objets, mesurables et manipulables à distance…
Jacques Henno
Armand Heslot (CNIL) : « Une application que vous avez installée sur votre smartphone peut transférer aux annonceurs vos données de géolocalisation »
Armand Heslot (service de l’expertise technologique de la CNIL)
Armand Heslot est ingénieur au service de l’expertise technologique de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés)
Comment nos données de géolocalisation sont-elles partagées par les plateformes d’« ad exchange » ?
Armand Heslot : La plupart des espaces publicitaires sur les mobiles ou le Web sont effectivement vendus aux enchères par l’intermédiaire de réseaux de commercialisation de publicités, appelés plateformes d’« ad exchange ». Les échanges d’informations ayant lieu au sein de ces plateformes sont régis par des spécifications techniques élaborées par l’Interactive Advertising Bureau, une organisation regroupant les principaux acteurs de la publicité en ligne. J’invite d’ailleurs tous vos lecteurs à consulter la spécification « open RTB » (pour « real-time bidding », enchère en temps réel) de l’IAB. Ils y verront quels formats sont utilisés et surtout quels types d’information sur leur géolocalisation peuvent être transmises : leurs coordonnées GPS, leur adresse IP ou une localisation qu’ils ont eux-mêmes communiquée à un site ou une application.
Quelles sont les conséquences pour l’utilisateur d’une application sur smartphone ?
Armand Heslot : Une application que vous avez installée sur votre smartphone peut transférer aux annonceurs qui lui achètent des espaces publicitaires vos données de géolocalisation très précises, obtenues par l’intermédiaire du GPS de votre téléphone. Si vous désactivez la géolocalisation sur votre mobile ou si vous ne donnez pas les autorisations d’accès à la géolocalisation à une application, celle-ci ne pourra plus accéder à vos coordonnées GPS, mais elle pourra utiliser d’autre moyens pour avoir une estimation de votre localisation comme votre adresse IP ou l’adresse physique que vous avez déclarée en vous inscrivant sur cette application…
Ces transferts d’informations de géolocalisation ne sont pas encadrés par la loi ?
Armand Heslot : Si, la CNIL considère que la collecte de données de géolocalisation précises nécessite le consentement des personnes. Par ailleurs, la directive européenne du 12 juillet 2002 sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, appelée également directive « ePrivacy » encadre la collecte des données sur mobile et sur le web (Cette directive est en pleine réécriture au niveau européen et devrait être transformée en un règlement). Elle a été traduite et transcrite dans le droit français en août 2011, et a donné lieu à la recommandation du 5 décembre 2013, dans laquelle la CNIL a estimé que la collecte et le transfert de telles données devaient faire l’objet d’un consentement de la part des internautes. Ce que la CNIL constate au travers de ses contrôles, c’est que même si des mécanismes de demande d’autorisation des utilisateurs sont mis en place, l’information est trop souvent incomplète, ce qui rend le consentement des personnes non valable.
La géolocalisation par Bluetooth, popularisée chez Apple sous le nom d’iBeacon, permet d’afficher sur un smartphone, selon l’endroit où se trouve son propriétaire, des informations personnalisées, avec une précision pouvant aller jusqu’à quelques centimètres. Ou de déclencher, sur ce même smartphone, l’ouverture d’une application.
Depuis quelques mois, les spécialistes s’enthousiasment pour ces petites balises Bluetooth et imaginent toutes sortes d’usages : promotions en magasin, domotique (gestion du chauffage quand vous quittez votre domicile…), déplacements (en entrant dans une gare, vous saurez de quel quai part votre TGV), localisation des objets (équipée d’une balise, votre valise s’annoncera en débarquant sur le tapis roulant de l’aéroport), jeu vidéo (l’ONU a utilisé des balises iBeacon pour simuler la présence de bombes antipersonnel lors d’une opération de sensibilisation à New York), médecine…
La géolocalisation par Bluetooth, popularisée chez Apple sous le nom d’iBeacon, permet d’afficher sur un smartphone, selon l’endroit où se trouve son propriétaire, des informations personnalisées, avec une précision pouvant aller jusqu’à quelques centimètres. Ou de déclencher, sur ce même smartphone, l’ouverture d’une application.
Depuis quelques mois, les spécialistes s’enthousiasment pour ces petites balises Bluetooth et imaginent toutes sortes d’usages : promotions en magasin, domotique (gestion du chauffage quand vous quittez votre domicile…), déplacements (en entrant dans une gare, vous saurez de quel quai part votre TGV), localisation des objets (équipée d’une balise, votre valise s’annoncera en débarquant sur le tapis roulant de l’aéroport), jeu vidéo (l’ONU a utilisé des balises iBeacon pour simuler la présence de bombes antipersonnel lors d’une opération de sensibilisation à New York), médecine…
Je participe ce soir, jeudi 15 août 2013, à l’émission «Le téléphone sonne» sur France Inter, de 19H20 à 20H, consacré à «Internet et réseaux sociaux, sommes-nous tous traqués et fichés ?[1]», aux côtés d’Etienne Drouard (avocat spécialiste de la protection de la vie privée, ancien membre de la CNIL), Mickaël Vuillaume (web analyste) et Jérémie Zimmermann (porte-parole de l’association la Quadrature du Net).
Les médias se sont fait l’écho de l’enquête ouverte fin juin par la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) et la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes)[2] sur l’IP Tracking.
L’IP Tracking consisterait à repérer les ordinateurs des internautes qui recherchent des billets sur les sites de compagnies aériennes ou ferroviaires ; s’ils n’achètent pas tout de suite, mais reviennent un peu plus tard sur ces sites consulter les mêmes voyages, les prix sont augmentés pour inciter ces internautes à payer tout de suite.
Si elle était avérée, cette pratique commerciale pourrait être considérée comme déloyale[3] par la DGCCRF. De son côté, la CNIL se pose «la question de la loyauté de la collecte des données permettant de mettre en œuvre l’IP Tracking. Cette pratique serait opérée à l’insu des personnes et sans qu’elles soient en mesure de connaître, voire d’agir sur les mécanismes conduisant à moduler le tarif affiché.[4]»
Malheureusement le manque de loyauté de la collecte de données risque, je le crains, d’être difficile à prouver. En effet, l’IP Tracking s’effectue au moyen de cookies, des petits logiciels espions que les sites Web installent sur les navigateurs des internautes. Or, normalement, en Europe, tous les sites doivent informer leurs visiteurs qu’ils utilisent des cookies et leur demander leur accord avant de les installer sur leurs ordinateurs[5].
Une petite application – Ghostery[6] – permet de voir tous les cookies qui s’installent sur votre ordinateur lorsque vous arrivez sur un site.
Ces cookies constituent des identifiants uniques qui permettent de savoir que tel ordinateur s’est rendu sur telle page de tel site Web. Ils contiennent souvent l’adresse IP de l’ordinateur (un numéro unique attribué en général par votre FAI – Fournisseur d’Accès à Internet), l’url des sites visités, une date d’expiration…
Ces cookies sont utilisés pour suivre à la trace les déplacements des Internautes à l’intérieur d’un même site ou au cours de leurs pérégrinations sur le Web, de serveurs en serveurs. C’est grâce à ces cookies que l’on peut connaître le nombre de visiteurs d’un site ou que nous n’avons pas besoin de retaper notre mot de passe lorsque nous revenons sur un site sur lequel nous nous sommes déjà identifiés.
Surtout, c’est grâce à ces petits logiciels espions que Google et les autres géants de la publicité en ligne nous affichent, sur leurs propres sites, mais aussi les sites dont ils assurent la régie publicitaire, des publicités dites « comportementales », car ciblées en fonction de notre comportement, de notre navigation sur Internet. Pour schématiser, ces régies publicitaires savent que notre ordinateur s’est d’abord rendu sur un site consacré aux couches-culottes, puis sur un site spécialisé dans les voitures familiales, avant un site dédié au crédit, et en déduisent que nous sommes à la recherche d’un crédit automobile. Elles vont donc nous afficher une pub pour un crédit automobile. Cette bannière correspondant à nos centres d’intérêts, nous allons cliquer dessus, ce qui va rapporter plus d’argent à Google et consorts.
Si vous souhaitez en savoir plus, je mets à votre disposition une petite vidéo expliquant le fonctionnement de la publicité comportementale[7].
Si vous souhaitez connaître dans quelles catégories publicitaires Google vous a classé, rendez vous sur http://www.google.com/intl/fr/policies/technologies/ads/ ; vers le milieu de cette page, vous trouverez un paragraphe intitulé
«Comment contrôler les cookies publicitaires» et qui commence par «Les paramètres des annonces permettent de gérer les annonces Google que vous voyez». Cliquez sur paramètres des annonces
Il existe plusieurs formes de publicités comportementales. L’une d’elles s’appelle le retargeting (reciblage). Elle consiste à utiliser les cookies pour suivre les internautes qui visitent un site marchand, mettent un produit dans leur panier, mais ne l’achètent pas. Pendant plusieurs jours, ils se verront proposer une publicité pour ce même produit. L’IP Tracking pourrait être considéré comme une variante du retargeting : on suit les internautes qui n’achètent pas et lorsqu’ils reviennent, on augmente le prix du produit qui les intéresse.
Inconvénient des cookies : on ne sait pas exactement qui est derrière l’ordinateur. On sait juste que c’est tel ordinateur qui visite tel site. C’est pourquoi Google, par exemple, nous pousse de plus en plus à nous identifier en utilisant un de ses services. En ce sens, le réseau social Google + avec 500 millions d’inscrits[8] est un succès pour le célèbre moteur de recherche. Une fois que je me suis inscrit sur un service Google (courrier électronique Gmail, site de partage de photo Picasa, réseau social Google +, YouTube…), les cookies de Google peuvent me suivre partout et accumuler autant d’informations sur moi.
Google se rapproche ainsi de Facebook, qui nous cible en fonction de notre graphe social (notre réseau d’amis sur Facebook), de nos publications, des sites que nous visitons et qui comportent un bouton «J’aime» de Facebook… Facebook accumule ainsi des données très indiscrètes sur nous (voir à ce sujet la polémique que j’ai soulevée sur le ciblage que Facebook propose en fonction de nos centres d’intérêts supposés pour certaines pratiques sexuelles ou des drogues illicites[9]).Pour savoir dans quelles catégories publicitaires Facebook vous a classé, suivez ce lien : http://tousfiches.blogspot.fr/2013/01/comment-savoir-dans-quelles-categories.html
Il existe d’autres techniques pour suivre à la trace les déplacements des Internautes sur le Web (par exemple, les pixels espions). Mais, à ce jour, la forme de publicité comportementale la plus aboutie fonctionne sur les smartphones : nous les avons en permanence sur nous et ils révèlent donc notre position.
Encadré : Yield Management
Petit rappel : les compagnies aériennes et ferroviaires pratiquent toutes le yield management (gestion fine des capacités) : pour optimiser le remplissage de leurs avions et de leurs trains, elles font fluctuer leur prix en fonction de la demande. Un voyageur, qui réserve un billet d’avion six mois à l’avance, paiera moins cher que quelqu’un qui réserve la veille du départ. La compagnie aérienne suppose que ce dernier veut absolument partir ce jour-là et qu’il est donc prêt à payer plus cher.
Aux Etats-Unis, le moteur de recherche Bing propose un outil qui permet de savoir s’il vaut mieux acheter son billet tout de suite, car il a forte probabilité d’augmenter dans les prochains jours, ou s’il vaut mieux attendre qu’il baisse.
[3] L’article L.120-1 du code de la consommation, considère comme déloyales une pratique commerciale «lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.»
Are you interested in zoophilia or cocaine? Facebook will be interested in targeting you!
Facebook proposes target advertising based on our interest in certain sexual practices or drug
Would you like to view an ad on Facebook because you are supposed to be interested in « sex », « oral sex », « anal sex » « sex without penetration, » « homosexuality”, « zoophilia », « necrophilia », « exhibitionism”, « masturbation”, « prostitution », « triolisme FFH », « drug », « cocaine, « marijuana » or « methamphetamine »?
Normally, these practices are strictly confidential. Most Facebook competitors ban using sexual practices to target people.
But, on Facebook, it is possible!
The following screenshots show one can publish an ad on Facebook targeted at the 324,360 people, who live in the United State, are 18 and older and like #Cocaine, #Masturbation, #Methamphetamine, #Zoophilia or triolisme ffh!
Facebook says (please, see the screenshot below) it offers two types of interests: precise interests, such as « sex » or « triolisme FFH », which target only people using the terms « sex » or « triolisme FFH » and topics marked with a # (#oral sex, #anal sex, #necrophilia, #zoophilia…) corresponding to users who have used words similar to those selected.
How Facebook can allow itself to target users from their sexual preferences or their interests in Drugs, as it appears on the social network?
How does Facebook find that some users have expressed interests close to homosexuality, masturbation, etc.? Which key words were used to assess those interests ? Is this process reliable?
May this targeting interest federal governmental agencies? Can the police authorities requisition Facebook databases to discover the identity of the users who posted on Facebook interests close to illegal practices (necrophilia … ) or illegal substances (cocaine)?
I have sent this text to Facebook, the Center for Democracy and Technology (CDT), the Electronic Privacy Information Center (EPIC) and the Privacy Rights Clearinghouse. I’m waiting for their comments.
Vous vous intéressez à la zoophilie ou à la cocaïne ? Vous intéressez Facebook !
Facebook propose de cibler les publicités en fonction de notre intérêt pour certaines pratiques sexuelles ou pour les drogues !
Aimeriez-vous recevoir une publicité parce que Facebook vous a identifié(e) comme quelqu’un intéressé par le «sexe», le «sexe oral», le «sexe anal», le «sexe sans pénétration», l’«homosexualité », l’«homosexualité ou les réfrigérateurs» (sic), la «zoophilie», la «nécrophilie», l’«exhibitionnisme», la «masturbation», la «prostitution», le «triolisme», la «drogue», la «cocaïne , le «cannabis» ou la «méthamphétamine» ?
Normalement, ces pratiques relèvent de la plus stricte intimité et non pas à être associées à des publicités. La plupart des concurrents de Facebook s’interdisent d’ailleurs de cibler les internautes en fonctions de leurs préférences sexuelles. Google précise ainsi : «Nous n’associons aucune catégorie de centres d’intérêt sensible à vos cookies ou identifiants anonymes (comme l’origine ethnique, la religion, l’orientation sexuelle, l’état de santé ou toute catégorie de données confidentielles d’ordre financier) ni ne prenons en compte ces catégories lors de la diffusion d’annonces par centres d’intérêt.»*
Et bien, sur Facebook, au contraire, c’est possible !
Lundi 14 mai 2012, en début d’après-midi, je préparais des saisies d’écran pour une conférence que j’allais donner devant des parents le soir même à Saint-Omer (Pas-de-Calais) sur le thème des réseaux sociaux. Je voulais montrer avec quel degré de précision il est possible de cibler l’audience des publicités sur Facebook. Par exemple, s’adresser aux moins de 18 ans habitant dans un rayon de 80 kilomètres autour de Saint-Omer et s’intéressant au Coca-Cola. Alors que je tapais les lettres « Coc… », au lieu du Coca, Facebook m’a suggéré « Cocaïne » comme centre d’intérêt précis, ainsi que «méthamphétamine» et «masturbation».
Surpris, et pris par la préparation de mon intervention du soir, j’en restais là. Mais dès le mardi matin, je retournais dans l’outil qui permet, à n’importe quel utilisateur de Facebook, d’élaborer ses propres publicités sur ce réseau social. Et je tapais d’autres mots-clés suggérant des habitudes qui ne regardent que nous. Puis, je réalisais les saisies d’écran suivantes, qui prouvent, que, selon Facebook, il est possible d’envoyer une publicité aux 30 980 Français majeurs qui ont exprimé des intérêts proches de la « cocaïne ». Ou aux 3 420 qui ont exprimé des intérêts proches de la «zoophilie» ou de la «nécrophilie».
En effet, Facebook précise (voir saisie d’écran ci-dessous) qu’il propose deux types de centres d’intérêt : les sujets précis, par exemple « sexe » ou « triolisme », qui ne ciblent que les personnes utilisant les termes « sexe » ou « triolisme » ; et ceux précédés d’un # (#oral sex, #anal sex, #necrophilia, #zoophilia…) correspondant à des utilisateurs ayant utilisé des termes proches de ceux sélectionnés.Pour en avoir le cœur net, j’ai suivi la procédure jusqu’au bout et j’ai investi 4 euros dans la création d’une publicité qui sera diffusée par Facebook aux 9 420 internautes «ayant exprimé [toujours selon Facebook] des centres d’intérêts proches» de la «zoophilie», de la «nécrophilie», de l’«exhibitionnisme», du «fétichisme sexuel», de l’«héroïne», de la «méthamphétamine». Facebook m’a même proposé d’étendre l’audience de ma publicité aux personnes ayant des centres d’intérêts proches de la «pédophilie» (voir saisies d’écran ci-dessous) !Deux questions se posent alors : tout d’abord, comment Facebook peut-il s’autoriser à cibler les internautes en fonction de leurs préférences sexuelles telles qu’elles apparaissent sur le réseau social ou de leurs intérêts pour certaines drogues?
Et ensuite, comment, précisément, Facebook a-t-il déterminé que certains internautes ont exprimé des intérêts proches de l’homosexualité, de la masturbation, etc ? Quels mots ont été utilisés ? Ce ciblage est-il fiable ?
On peut espérer qu’aucun annonceur ne sera tenté de cibler des internautes en fonctions de leurs intérêts – ces «intérêts», je le précise une fois de plus, ayant été déterminés par Facebook selon une méthode que l’on ne connaît pas – pour certaines pratiques sexuelles ou pour des drogues.
Mais ce ciblage pourrait intéresser d’autres organismes : la police peut-elle, sur ordre d’un magistrat, réquisitionner les fichiers de Facebook pour connaître l’identité des internautes ayant affichés sur Facebook des centres d’intérêts proches de pratiques illégales (nécrophilie…) ou de substances illégales (cocaïne) ?
J’ai transmis ces informations à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) et à Facebook. J’attends leurs réactions.
Chaque été, Stanford, l’une des plus prestigieuses universités américaines, organise une session de dix jours de cours à l’intention d’éditeurs venus du monde entier.
Article paru dans le magazine Lire le 30 novembre 2003
Ils sont tous là, assis devant moi dans un amphithéâtre de l’université Stanford, en Californie: cinquante-cinq éditeurs, américains, bien sûr, mais aussi allemands, colombiens, espagnols, finlandais, indiens, japonais, sud-africains… redevenus simples étudiants pour assister au «Stanford Professional Publishing Course» (SPPC, cours de Stanford pour les professionnels de l’édition). Aujourd’hui, samedi 26 juillet, c’est la fin des classes et la présentation des travaux en groupe. Huit équipes ont planché, parfois tard dans la nuit, sur le lancement d’une collection. Mon groupe est le deuxième à passer et je suis chargé d’en résumer la stratégie marketing. Les profs nous ont prévenus: nous serons jugés aussi bien sur l’originalité de nos idées que sur notre humour. Alors je force un peu sur mon accent, déjà bien franchouillard, et je caricature le dernier intervenant américain de la veille : gesticulations en tous sens, coups de poing sur la table pour souligner mes propos… La salle est pliée en deux et l’un des membres du jury me lance un triple «bravo». Bon présage, puisque nous décrocherons la deuxième place. Mais je ne saurai jamais si ce résultat récompense notre concept de livres pour jeunes diplômés ou nos talents d’acteur… Fond ou forme ? L’éternelle question m’a taraudé pendant tout le séminaire. D’abord, au sujet des cours : certains intervenants étaient remarquables, mais il y avait aussi de parfaits faiseurs. Ensuite, par rapport au métier même d’éditeur : les Américains que j’ai rencontrés estiment que le marché du livre est saturé et que, dans ce contexte, ce qui fait un bon ouvrage, ce n’est pas tant son contenu que le marketing ou la communication qui l’entourent. Ce malthusianisme ne colle pas, bizarrement, à la réputation plutôt progressiste de Stanford. Cette université privée, située à une quarantaine de kilomètres au sud de San Francisco, est considérée comme une des cinq meilleures facs des Etats-Unis en sciences ou en management. Dix-sept Prix Nobel de chimie, d’économie ou de physique enseignent sur son magnifique campus, mélange de bâtiments néoclassiques en pierres de grès et d’immeubles modernes en béton ocre, bordés de palmiers, de séquoias et d’eucalyptus. Stanford passe pour donner d’assez bons cours de littérature ou de journalisme. Dès sa création en 1978, le SPPC, le séminaire d’été sur l’édition, attira des «étudiants» de tous les pays. Il est vrai que ce diplôme est pratiquement unique au monde. Des centaines d’éditeurs sont venus ici se remettre à niveau en publicité, finance, droit ou design. Parmi eux, des pontes de Dunod, Flammarion, France Loisirs, Hachette, Play Bac… Pour moi, journaliste et auteur qui souhaite me lancer dans l’édition, cela semblait donc être la formation idéale. Le premier contact, cependant, me laisse perplexe : Martin Levin, avocat et ancien président des éditions Times-Mirror, explique pendant toute une journée le marché américain. Le bonhomme, qui a 80 ans bien frappés, ne se fatigue pas. D’une voix monotone, il enfile les banalités : «Si vous voulez vendre les droits de vos livres à des maisons américaines, allez à la Foire du livre de Francfort»… Heureusement, la plupart des cours suivants seront passionnants. George Gibson nous a fait partager ses joies et angoisses d’éditeur, Margaret Neale, son art de la négociation. Nigel Holmes, spécialiste de l’illustration, nous a fait mourir de rire en nous prouvant, dessins sur son tee-shirt à l’appui, qu’un estomac humain pouvait contenir cinquante hot dogs ! Quant à Alberto Vitale, un Italien qui a dirigé pendant neuf ans Random House, une des plus grandes maisons d’édition américaines, il était très attendu pour sa conférence sur l’avenir de l’édition. Malheureusement, il a passé une heure à aboyer, sans donner d’exemple, que «the future of book is Digital» l’avenir du livre c’est le numérique). Pas très nouveau ni très étayé. Je sais gré, cependant, à Alberto d’une chose. Il est le seul des quarante intervenants à avouer que « le marché du livre compte seulement 12 millions d’acheteurs réguliers aux Etats-Unis, et 3 millions en France ; il est saturé et cela ne va pas s’arranger: la lecture est de plus en plus concurrencée par les médias électroniques… ». De fait, cet inquiétant constat a sous-tendu tout le stage. Un résumé du SPPC serait en effet : «Dans un marché aussi encombré, la forme prime sur le fond. » Aucun prof, par exemple, n’a abordé l’écriture ou l’editing des textes. A croire que le contenu et les auteurs n’ont pas beaucoup d’importance… Lorsque Amy Rhodes, vice-présidente de Rodale, un éditeur spécialisé dans les livres de santé, nous présenta son succès de l’année, The South Beach Cookbook (plus de 900 000 exemplaires imprimés, cinq mois parmi les best-sellers du New York Times…), elle reconnut que « ce livre de régime était bon, mais pas si excellent que cela». Et elle ne mentionna le nom de l’auteur, le cardiologue Arthur Agatston, que pour préciser qu’il n’était pas très doué pour les interviews avec la presse. Plus grossier encore: lors de la remise d’un prix littéraire, organisé pendant le SPPC en mémoire de l’écrivain William Saroyan, l’animateur de la soirée invita les deux finalistes présents, Jonathan Foer et Adam Rapp, à monter sur scène, les laissa s’approcher, puis renvoya Rapp d’un blessant : « Vous n’avez pas gagné, vous pouvez vous rasseoir. » Peu de place pour les auteurs, donc, mais, en revanche, tous les autres corps de métier furent dignement accueillis. Pas moins de quatre directeurs artistiques vinrent commenter les couvertures de livres qui se vendent ou qui ne se vendent pas. Deux experts ès Internet nous expliquèrent ce qu’il fallait mettre en ligne et il n’y eut pas moins de quatre cours sur la distribution. Enfin, Amy Rhodes bénéficia de deux heures pour décrire, avec volupté, toutes ses actions de communication pour The South Beach Diet Cookbook, depuis les 180 000 euros dépensés en publicité jusqu’aux 5 millions de lettres envoyées dans les foyers américains, en passant par la pastille jaune (« Lose belly fat first », Perdez vite du ventre) collée sur la couverture: « Très efficace ! » Je vais mettre un autocollant jaune sur le classeur regroupant les notes que j’ai prises pendant le SPPC : «Perdez vite vos illusions. »
Jacques Henno
Internet, téléphone mobile, jeux vidéo… la révolution numérique affecte toute notre vie
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