Ses plongeurs, capables de travailler au fond des océans, avaient fait la fortune de la Comex et de son patron, Henri-Germain Delauze. Contrainte de se séparer de son activité-phare, la société a tenté sa chance dans le tourisme «aquatique». Raté !
Le «promène-couillons»… Par ce sobriquet, les Méridionaux désignent le submersible qui, pendant deux étés, a sillonné la baie de Monaco. Henri-Germain Delauze, le patron de la Comex, société marseillaise rendue célèbre par les exploits de ses plongeurs, s’était diversifié, au début des années quatre-vingt dix, dans le tourisme «sous-marin» avec cet engin de dix-neuf mètres de long, doté d’une coque en plexiglas et capable d’emmener quarante-cinq passagers à 80 mètres de fond. Mais à près de 300 francs la ballade, les «couillons» ne se sont pas précipités… Au bout d’un an, la Comex, lâchée par ses associés, continuait seule l’exploitation, engloutissant au passage une bonne dizaine de millions de francs. Fin 1993, le Seabus était sorti de l’eau et rapatrié au siège, à quelques kilomètres de la Pointe Rouge de Marseille.
Une aventure qui s’ajoute à une longue série d’échecs pour la Comex et son fondateur. A soixante-quatre ans, l’homme qui, fut sans doute un des plus influents de sa ville (symbole de sa puissance, sur la Canebière, une tourelle de plongée Comex orne le bâtiment de la Chambre de Commerce) se trouve en semi-retraite. Désormais, il ne se rend à ses bureaux que le matin. Son entreprise, qui ressemblait, il y a encore peu, à un groupe international, n’est plus qu’une PME de province. En trois ans, le chiffre d’affaires a été divisé par cinq, passant de 1,2 milliard de francs à 250 millions. Et si la société dégage encore des bénéfices (5 millions de francs de résultat net l’an dernier), c’est surtout grâce aux 13 millions de produits financiers que lui procure une confortable trésorerie de 200 millions de francs ! C’est tout ce qui lui reste de sa principale filiale, Comex Services (2 000 personnes, dont 500 plongeurs professionnels), vendue pour 60 millions de dollars en juin 1992 à un holding luxembourgeois, Stolt-Nielsen, spécialiste du transport pétrolier. Pris à la gorge par 550 millions de dettes (dix fois ses fonds propres de l’époque !), Henri-Germain Delauze n’avait plus que cette solution pour échapper au dépôt de bilan.
«Ce fut un déchirement», confie «HGD» (entre eux, ses collaborateurs appellent ainsi Henri-Germain Delauze,mais lorsqu’ils le croisent, ils le saluent d’un respectueux «Président»). Dans les années soixante-dix et jusqu’au début des années quatre-vingt, Comex Services avait fait sa fortune. C’était une des rares sociétés dans le monde capables d’envoyer des hommes-grenouilles réparer une tête de forage ou un pipe-line par trois cent mètres de fond ! Un savoir-faire qu’elle avait développé dans son centre de recherche hyperbare de Marseille, inauguré en 1963. Là, furent établis les principaux records mondiaux de plongée «fictive». Des caissons en acier permettaient de simuler les très fortes pressions rencontrées sous l’eau. En 1968, «HGD», alimenté en héliox (hélium plus oxygène), fut ainsi le premier homme à «aller nager» à moins trois cent trente-cinq mètres. Grâce à cette technique, la Comex fut la première entreprise de plongée au monde à être «embauchée» sur des gisements pétroliers sous-marins. Toutes ses recherches étaient largement subventionnées par divers organismes publics ou parapublics, Delauze étant passé maître dans l’art de tirer les sonnettes : «Cet homme fréquente les ministères comme vous et moi allons au restaurant», lâche, un brin jaloux, un banquier.
Après le choc pétrolier de 1973, le marché de l’«off-shore» explosa et le groupe marseillais s’en appropria tout naturellement 30%, «worldwide» ! «On en a gagné de l’argent dans le pétrole !», se souvient HGD. Epoque bénie où les plongeurs de la Comex étaient adulés comme des dieux, touchaient des salaires mirobolants, roulaient en Ferrari et étaient convoyés de Marseille à la Mer du Nord en jet privé ! Le numéro un soviétique, Léonid Brejnev vint même leur rendre visite à Marseille lors de son voyage en France de 1973. La notoriété de l’entreprise, profitait, bien sûr, à toute la région. Reconnaissant, Gaston Defferre, maire, à l’époque, de la cité phocéenne, ne refusait jamais les petites faveurs que sollicitait de temps à autres HGD. Depuis 1981, celui-ci occupe une magnifique maison sur pilotis, qu’il s’est fait bâtir au pied du fort Saint-Nicolas, à l’entrée du Vieux Port,. Un site normalement protégé ! «Defferre m’a dit : «Vous êtes la seule personne que j’autoriserai à construire à cet endroit»», se rappelle Delauze, encore tout fier de son passe-droit.
En 1975, pour financer son développement, la Comex avait fait entrer dans son capital Total, Paribas et le Crédit Lyonnais. Cette précaution lui permit de surmonter une première crise, en 1978 et 1979, due à un brusque ralentissement de l’activité off-shore et à une multiplication de la concurrence. Mais elle n’allait lui être d’aucun secours, face aux difficultés qui s’accumulèrent à partir de 1984.
Le 1er avril de cette année-là, le groupe marseillais prit livraison d’un bateau de plongée doté du dernier cri de la technique, le Seacom. Commandé à l’origine auprès d’un chantier naval allemand, le navire avait finalement été réalisé en France, par la Normed, sur pression du ministre de la Mer de l’époque, Louis Le Pensec (l’aide publique, dont dépendaient les recherches de la Comex, valait bien ce petit sacrifice…). Las ! Le Seacom arriva en plein retournement du marché para-pétrolier. Sept mois plus tard, il dut être revendu pour seulement 60 millions. Perte sèche pour la Comex : 140 millions ! «Ce fut un grand coup dans la gueule», reconnaît Henri-Germain Delauze. «Nous ne nous en sommes jamais vraiment remis, confirme Guy Fleury, l’ancien directeur général de Comex Services, passé, avec armes et bagages, chez Stolt-Nielsen. Car, juste après, le marché para-pétrolier est devenu très difficile. Toutes les entreprises y ont perdu de l’argent. La crise a duré huit années, pendant lesquelles nous avons cherché de nouveaux actionnaires et à nouer des alliances…» Sauvée de la faillite en 1985 par ses banquiers, la société manqua de se lier, en 1988, à un groupe américain, Halliburton, autre grand nom de l’off-shore. Le «yankee» se dégonfla au dernier moment. Début 1991, la Cogema fit mine de s’intéresser à son tour à la belle. Puis à la fin de cette même année, un rapprochement avec la société française Coflexip (groupe Elf-Erap), spécialiste des tubes sous marins – pipe-lines, gazoducs, et autres flexibles -, échoua pour des raisons de gros sous. «Leur offre de rachat était ridicule», soupire HGD. Quelques mois plus tard, Stolt-Nielsen doublait la mise et emportait le morceau !
Mais depuis cette vente, le souffle de la grande aventure a déserté les bâtiments de la Comex, transformés en simples ateliers. Ni son activité de maintenance nucléaire (lire l’encadré page XX), ni sa participation de 32% dans une société de robotique, Cybernetix, ne lui permettront de renouer durablement avec la croissance et les profits. Et, jusqu’à présent, les diversifications dans le «tourisme» aquatique ont fait un «flop» ! Le Seabus attend une hypothétique affectation dans les Caraïbes. Il existe bien, par ailleurs, un projet de construction d’un aquarium géant à Toulon, mais il n’a pas dépassé – pour l’instant – le stade des études… «Le problème de Delauze, c’est qu’il doit être passionné pour réussir dans un domaine, explique un de ses anciens collaborateurs. Et sa passion, c’est le travail sous la mer». Pendant encore trois ans, la Comex est liée par un accord de non concurrence avec Stolt-Nielsen. Peut-être après… En attendant, le «Président» se console en préparant de nouvelles fouilles archéologiques, un autre de ses «dadas». Pour rechercher une épave aux Bahamas, la Comex construit un nouveau sous-marin bi-place capable d’intervenir jusqu’à 600 mètres de fonds. Et puis il reste un autre sport : la chasse aux subventions. En 1992, après avoir renfloué ses caisses, Henri-Germain Delauze a réussi à toucher du Conseil Général des Bouches du Rhône une aide de onze millions de francs, réservée normalement aux entreprises en grave difficulté. Au Conseil Général, on se demande encore comment il a manœuvré…
Jacques Henno
Encadré :
Une seule filiale en croissance : Comex Nucléaire.
Les premiers employés de la Comex à pénétrer dans une centrale atomique furent ses… plongeurs, appelés à la rescousse pour réparer une piscine de décantation où étaient stockés des déchets radioa-actifs. Il y avait une fuite d’eau ! Depuis, les interventions se sont multipliées et diversifiées : contrôles de conduite par ultra-sons, démantélement d’installations, envoi d’un homme en combinaison spéciale dans une intercuve de réacteur chauffée à 150 degrés et remplie d’azote… En 1989, cette activité est devenue un business à part entière. Comex Nucléaire, dirigée par Maurice Tordo (un «gadzart», tout comme Delauze), a réalisé l’an dernier 100 millions de francs de chiffre d’affaires et dégagé 3,8 millions de bénéfice net, malgré la concurrence de groupes aussi puissants que Framatome ou le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
(articles parus dans le mensuel Capital en mai 1994)