Article paru dans le mensuel Capital en février 1998
Autour de cette petite ville universitaire de la Silicon Valley a poussé la plus impressionnante « grappe » d’entreprises high-tech du monde. C’est ici qu’ont été inventés le microprocesseur, le Macintosh et les applications d’Internet.
Des immeubles en bois, des joggeurs qui trottinent au milieu des séquoias. Dans ce cadre bucolique, à Menlo Park, à 30 kilomètres au sud de San Francisco, travaillent plus de 200 «VC» (prononcez «vici», pour «venture-capitalists»). Cet après-midi, trois jeunes gens sont venus demander à Pierre Lamond, un Français installé en Californie depuis quarante ans, 2 millions de dollars pour créer leur entreprise de logiciels. Pendant deux heures ils lui présentent, sur un micro-ordinateur portable, une maquette de leur produit et leurs prévisions de vente. Verdict du «VC» : «Leur projet tient la route, j’investis.»
Des étudiants ou des managers avec une idée folle, un venture-capitalist qui dit «banco» : Apple, Hewlett-Packard, Intel, Netscape, Yahoo !, toutes les entreprises de la Silicon Valley ont démarré de cette façon. Cette région, située entre San Francisco et San Jose, offre la plus forte concentration au monde de firmes high-tech. Philips, Thomson et France Télécom y ont installé leurs antennes de veille technologique. Au total, on y recense 7 000 sociétés spécialisées dans les micro-ordinateurs, les microprocesseurs, le multimédia. Bref, tout ce qui utilise les semi-conducteurs, des composants électroniques à base de silicium («silicon» en anglais, d’où le surnom de la vallée).
L’histoire commence en 1939 à Palo Alto, à mi-chemin de San Francisco et de San Jose, lorsqu’un professeur de l’université Stanford encourage deux de ses étudiants, William Hewlett et David Packard, à monter leur boîte. Leur premier client ? Les Studios Disney. Suivant leur exemple, de plus en plus d’ingénieurs se mettent à leur compte. En 1957, huit d’entre eux inventent le circuit intégré, une pastille de silicium qui supporte des dio-des et des transistors. Aussitôt, les entreprises d’électronique se multiplient autour de Palo Alto et vont recruter leurs cadres jusqu’en Europe. Séduits par la beauté de la région et l’hédonisme ambiant, ils affluent par milliers.
Nouveau bond en avant en 1971, avec la mise au point, par Intel, du microprocesseur, un circuit intégré capable de se livrer à quelques calculs. Mais il faut attendre 1976 pour que Steve Wozniak, venu de Hewlett-Packard, et son compère Steve Jobs exploitent cette découverte en lançant les ordinateurs Apple. En quelques mois, toute la vallée va se restructurer autour de la micro-informatique.
Aujourd’hui, la région a de nouveau la fièvre. En révolutionnant l’informatique, Internet a multiplié les opportunités commerciales. Annuaires électroniques, logiciels de dialogue, langages de programmation Dès que quelqu’un, qu’il soit russe, français, américain ou belge, a une idée, il fonce ici monter son affaire. Rien de plus facile. L’argent ? 300 firmes de capital-risque investissent chaque année 1 à 3 milliards de dollars dans des «start-up» (jeunes sociétés). Les statuts ? Les cabinets d’avocats spécialisés, comme Wilson Sonsini, les rédigent en quelques heures. Les locaux ? Des immeubles de bureaux se construisent un peu partout. Les salariés ? Plus compliqué : par manque de main-d’œvre, 20 000 postes ne sont pas pourvus actuellement et les entreprises doivent aller recruter des développeurs au Brésil ou en Inde. «Pour les attirer, il faut leur verser jusqu’à 360 000 francs de salaire annuel, assortis d’un gros paquet de stock-options», témoigne Marc Andreessen, fondateur de Netscape.
Mais si la start-up se transforme en succès, elle est introduite en Bourse et tout le monde fait alors fortune, des fondateurs aux employés en passant par les venture-capitalists. Chaque jour, grâce à ce système, 62 nouveaux habitants de la Silicon Valley deviennent millionnaires en dollars. «Vous êtes sûr de vouloir retourner à Paris ?, demande Pierre Lamond à ses visiteurs français. Vous savez, ici, on s’amuse vraiment bien.»
De notre envoyé spécial à Palo Alto, Jacques Henno