Difficulté de concentration, manque de sommeil, lien social affaibli… Les universitaires de la Silicon Valley sont unanimes pour dénoncer les méfaits des écrans et des réseaux sociaux sur les adolescents. Mais ne sont pas d’accord sur les mesures à prendre. Début septembre, j’ai séjourné une semaine dans la Silicon Valley pour interviewer des spécialistes de l’impact des réseaux sociaux sur les pré-ados et les ados, et travaillant à Stanford, à Berkeley, à l’université de Santa Clara, à l’université de Californie à Santa Cruz, à l’université d’Etat de San Francisco… Voici un premier compte-rendu de ces interviews, sous la forme d’un article que j’ai publié ce matin dans le quotidien Les Échos Pour lire cet article : bit.ly/decrocherdesreseaux
Photo ci-dessus :
en haut, de gauche à droite :
Ming Hsu, neuro économiste à la Haas Business School de l’Université de Californie à Berkeley.
Nir Eyal, diplômé de la Stanford Business School, avait publié en 2014 Hooked
(traduit en français : Comment créer un produit ou un service addictif,
Eyrolles, 221 pages ) à destination des entreprises. Il publie cette année : Indistractable :
How to control your attention and choose your life.
Margarita Azmitia, professeur de psychologie à l’université de Californie à Santa Cruz
en bas, de gauche à droite :
Jeff Hancock, professeur de communication, université Stanford
Irina Raicu, responsable du programme Éthique de l’Internet au Centre Markkula d’Éthique Appliquée de l’université de Santa Clara
Adriana Manago, enseigne la psychologie à l’université de Californie à Santa Cruz
Anna Lembke, psychiatre, responsable du département addiction du centre médical de l’université Stanford
dans la colonne de droite, entre Margarita Azmitia et Anna Lembke :
Erik Peper, professeur d’éducation à la santé à l’université d’État de San Francisco.
Les réseaux sociaux sont le premier moyen d’information des
jeunes, utilisés quotidiennement par 71% d’entre eux (1). Or la recherche du
profit, l’absence de règles précises de modération et la part de marché
prépondérante dont jouit le groupe Facebook peuvent amener les Instagram et autres Twitter
à proposer un contenu moins riche qu’il ne pourrait l’être.
Comme
toutes les entreprises soumises aux lois du marché et en particulier au cours
de Bourse, les GAFAM– et à travers
Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, on désigne toutes les entreprises
high-tech du monde – poursuivent un seul objectif : engranger le plus de
bénéfice possible. Pour optimiser leurs profits, les réseaux sociaux jouent
principalement sur les publicités que nous voyons. Pour pouvoir nous montrer le
plus de pubs possibles, ils doivent retenir notre attention afin que nous passions
toujours plus de temps sur ces plateformes. Pour retenir notre attention, elles
doivent nous proposer des contenus qui nous intéressent. Les algorithmes de
Facebook, Twitter ou Instagram vont donc avoir tendance à nous montrer les
publications les plus populaires, les plus sensationnelles ou les plus
susceptibles de nous intéresser en fonction de ce que nous avons déjà vu (effet
entonnoir). In fine, tout cela restreint, malheureusement, la richesse du
contenu proposé par les réseaux sociaux aux adolescents et leur ouverture d’esprit.
À
cet effet entonnoir s’ajoutent les conséquences des politiques de modération menées
par ces plateformes. D’une façon générale, la modération des contenus publiés
sur le Web est une tâche extrêmement compliquée, qui met à rude épreuve les opérateurs
qui en sont chargés et dans laquelle les moteurs de recherche et les réseaux
sociaux ont un rôle ambigu. Un travail compliqué ?Si tout le monde est d’accord sur les grandes
règles de la modération qui reposent sur quelques grands principes intangibles – on ne peut pas, par exemple, laisser libre
cours à la haine ou aux propos racistes -, il est parfois difficile de définir précisément de tels propos. De
plus, la société évolue constamment : ce qui était toléré hier pourra être mal
vu demain. Sur le plan humain, visionner des vidéos ou des textes nauséabonds
est un travail très éprouvant psychologiquement dont les plateformes se
déchargent souvent auprès de sous-traitants employant parfois un personnel mal
formé et sous-payé. Enfin, le rôle des réseaux sociaux dans ce domaine est
ambiguë car il a été mal fixé dès le départ. La plupart des plateformes étant
américaines, elle se réfèrent à une loi américaine, la Section 230 du Communications Decency
Act, qui remonte à 1996 : les intermédiaires comme les réseaux sociaux ne sont
pas responsables des contenus qui y sont publiés par des tiers, ils ne sont pas
obligés de les modérer (sauf si des contenus interdits leurs sont signalés),
mais s’ils modèrent, ils peuvent le faire comme ils veulent. On ne peut pas
accuser les réseaux sociaux de se servir de leurs politiques de modération pour
censurer la liberté d’expression. Je pense plutôt que, dans ce domaine, ils
font – mal – avec les moyens du bord.
Enfin, rappelons que Facebook
concentre à lui tout seul quatre réseaux sociaux : Facebook, bien sûr, mais également
Messenger, WhatsApp et Instagram. Depuis quelques mois, on voit une intégration
de plus en plus poussée d’Instagram à Facebook : un utilisateur qui possède un
compte chez Instagram et Facebook, peut automatiquement publier son contenu
Instagram sur Facebook. Les deux réseaux ne sont donc plus concurrents et
proposent de plus en plus de publications identiques, ce qui limite le choix des
contenus.
Le site Atlantico m’a demandé le 19 octobre 2019 demandé de rédiger quelques lignes au sujet de l’impact des réseaux sociaux sur notre liberté d’expression et sur notre ouverture d’esprit.
• De nombreux comptes sur Twitter sont suspendus à la suite de certains propos ou de certaines polémiques. Pensez-vous que les politiques de modération sur les réseaux sociaux empêchent la liberté d’expression ?
D’une façon générale, la modération des contenus publiés sur le Web est une tâche extrêmement compliquée, qui met à rude épreuve les opérateurs qui en sont chargés et dans laquelle les moteurs de recherche et les réseaux sociaux ont un rôle ambigu. Un travail compliqué ? Si tout le monde est d’accord sur les grandes règles de la modération qui reposent sur quelques grands principes intangibles – on ne peut pas, par exemple, laisser libre cours à la haine ou aux propos racistes -, il est parfois difficile de définir précisément de tels propos. De plus, la société évolue constamment : ce qui était toléré hier pourra être mal vu demain. Sur le plan humain, visionner des vidéos ou des textes nauséabonds est un travail très éprouvant psychologiquement dont les plateformes se déchargent souvent auprès de sous-traitants employant parfois un personnel mal formé et sous-payé. Enfin, le rôle des réseaux sociaux dans ce domaine est ambiguë car il a été mal fixé dès le départ. La plupart des plateformes étant américaines, elle se réfèrent à une loi américaine, la Section 230 du Communications Decency Act, qui remonte à 1996 : les intermédiaires comme les réseaux sociaux ne sont pas responsables des contenus qui y sont publiés par des tiers, ils ne sont pas obligés de les modérer (sauf si des contenus interdits leurs sont signalés), mais s’ils modèrent, ils peuvent le faire comme ils veulent. Je ne pense donc pas que les réseaux sociaux se servent de leurs politiques de modération pour censurer la liberté d’expression. Je pense plutôt que, dans ce domaine, ils font – mal – avec les moyens du bord.
• Les GAFAM sont-ils en train de mettre en place un monde restreint, en employant des méthodes et des politiques autoritaires (alors que leur promesse de départ était basée sur l’ouverture d’esprit, le partage etc.) ?
Je ne parlerai pas de méthodes ou de politiques autoritaires, mais de simples pratiques commerciales. Comme toutes les entreprises soumises aux lois du marché et en particulier au cours de Bourse, les GAFAM – et à travers Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, on désigne toutes les entreprises high-tech du monde – poursuivent un seul objectif : engranger le plus de bénéfice possible ; et éviter d’en perdre. Ainsi, elles ne vont pas prendre le risque de se mettre à dos les responsables politiques qui pourraient leur interdire l’accès à un gigantesque marché comme la Chine. Pour optimiser leurs profits, les réseaux sociaux jouent principalement sur les publicités que nous voyons. Pour pouvoir nous montrer le plus de pubs possibles, ils doivent retenir notre attention afin que nous passions toujours plus de temps sur ces plateformes. Pour retenir notre attention, elles doivent nous proposer des contenus qui nous intéressent. Les algorithmes des Facebook, Twitter et autre Instagram vont donc avoir tendance à nous montrer les publications les plus populaires, les plus sensationnelles ou les plus susceptibles de nous intéresser en fonction de ce que nous avons déjà vu (effet entonnoir). In fine, oui, tout cela restreint, malheureusement, notre ouverture d’esprit.
Article paru le 20 octobre 2019 sur le site Atlantico.fr
Petit rappel : ce dimanche 6 octobre 2019, je serai à Morangis (91) pour animer un « brunch sciences » sur le thème de « Parents et enfants : comment faire bon usage des écrans », dans le cadre de la Fête de la Science 2019.
Cette conférence est destinée aux familles (parents et leurs enfants de sept ans ou plus)
10H30 Espace Saint-Michel, 2 rue du Général Leclerc, 91420 Morangis
Public : familles (enfants à partir de sept ans)
Conférence gratuite et collation offerte par la municipalité !
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