Article paru dans le mensuel Capital en février 1993
Inventeurs d’un «communicateur personnel» et d’un logiciel «anti-argent sale», les «French Engineers» occupent le devant de la scène dans La Mecque de l’informatique.
Ces deux ingénieurs ont fait entrer un fax, un ordinateur et un bloc-notes électronique dans un appareil de moins de deux kilos !Tous les constructeurs informatiques tentaient depuis longtemps de mettre au point un engin révolutionnaire, le «communicateur personnel». Surprise ! Ce sont finalement deux Français de la Silicon Valley, Bernard Lacroute et Alain Rossmann, qui ont «sorti» les premiers cette petite merveille technique, à peine plus grande qu’un bloc-notes, croisement
de l’ordinateur, du téléphone
et du fax. L’équipe de ces deux ingénieurs a mis au point le
«EO Personal Communicator» en moins d’un an et demi, alors qu’Apple, après cinq ans d’efforts, l’a sorti cet été.
Impressionnés, les responsables d’ATT, le géant américain des télécommunications, ont décidé de racheter la jeune société franco-américaine. Jolie consécration pour nos deux cracks (Lacroute est un ancien ENSI, Rossmann a fait Polytechnique et les Ponts) dont les destins se sont croisés un jour de juin 1991, sur la terrasse d’un vieux briscard de la «Vallée», Jean-Louis Gassée, l’ex-star d’Apple.
Leur «success story» fait la fierté des quelque 35 000 «Frenchies» installés en Californie. «Un bon millier d’entre eux travaille dans l’informatique et les nouvelles technologies», estime Claude Moreau, responsable à San Francisco de la mission scientifique de l’ambassade de France. Comparés aux Américains, étriqués dans leur spécialité, les ingénieurs «made in France» passent pour de brillants touche-à-tout, ce qui leur permet de faire rapidement carrière. Du coup, ils sont de plus en plus nombreux à venir exercer leurs talents en Californie. Ainsi, Claude Leglise, sorti des Arts et Métiers en 1974 et entré huit ans plus tard chez Intel, le fabricant de «puces», dirige aujourd’hui le marketing d’une de ses divisions.
D’autres, dopés par l’extraordinaire vitalité de la région, ont fondé avec succès leur propre affaire. Philippe Kahn, 41 ans, président-fondateur de Borland, cinquième éditeur mondial de logiciels pour micro-ordinateurs, ou Yves Faroudja, 53 ans, «magicien» de la vidéo dont les inventions sont utilisées par Matsushita ou Sony, ont mon-tré la voie. Après avoir dirigé
les équipes de développement d’Apple, Jean-Louis Gassée a créé Be Inc. en octobre 1990. Soutenu par Altus Finance, une filiale du Crédit lyonnais, et Pallas-Stern, la banque de Gérard Eskenazi, il travaille dans le plus grand secret sur un nouveau «concept informatique». «Vous en saurez un peu plus dans un an», assure-t-il.
En attendant, il siège au conseil d’administration de Ray Dream, une société lancée en décembre 1989 par cinq «petits jeunes» particulièrement créatifs : Pascal Belloncle, Pierre Berkaloff, Yann Corno, John Stockholm et Eric Hautemont, le chef de la bande, arrivé dans la Silicon Valley en 1988 pour le compte de Matra. «Nos logiciels permettent de réaliser des illustrations d’un fini exceptionnel, explique ce patron de 27 ans. Nous devrions dégager nos premiers bénéfices dès cette année.» Les amis et banquiers qui financent cette «start-up» depuis trois ans commencent à se frotter les mains : Alain Rossmann, mais aussi Venrock, le fonds de capital-risque de la famille Rockefeller, et la société française de capital développement Sofinnova.
On le voit, les Français de Californie se serrent les coudes. Mais, business is business. Alain Azan, directeur de Sofinnova, a catégoriquement refusé d’entrer dans le capital de Be Inc. «Le projet de Gassée est intéressant mais il demande trop d’argent», lâche-t-il du haut de son bureau de San Francisco. En revanche, Sofinnova n’a pas hésité à prêter 250 000 dollars en 1985 à trois «débutants», Jean-Marie Chauvet, Patrick Perez et Alain Rappaport, fondateurs de Neuron Data. Bien vu : huit ans après, leurs logiciels d’intelligence artificielle «tournent» chez American Airlines et à la Banque de France. Le Trésor public américain les utilise même pour traquer le blanchiment de l’argent de la drogue. Pour parvenir à ce surprenant résultat, il aura fallu la rencontre d’un X, d’un HEC et d’un médecin neurologue français sous le chaud soleil de Californie !
De notre envoyé spécial à San Francisco, Jacques Henno