Article paru dans le mensuel Capital en juillet 1993
Pressé par Gérard Longuet de trouver une vraie stratégie de redressement, le président du groupe nationalisé s’oppose à toute solution hâtive. Au risque de retarder la privatisation de Bull.
En décembre dernier, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Industrie, aurait expédié à Bernard Pache, nommé six mois plus tôt P-DG de Bull, une lettre lui demandant de définir enfin sa stratégie. Aujourd’hui, il attend toujours A peine installé, son successeur, Gérard Longuet, a exigé du président un rapport pour cet été. Mais l’ex-P-DG des Charbonnages n’aime pas travailler dans l’urgence.
Et pourtant, le Premier ministre, Edouard Balladur, souhaite que Bull soit privatisé d’ici à trois ans. Problème : le dixième groupe informatique mondial a besoin d’un sérieux lifting. Au cours des trois dernières années, il a perdu la bagatelle de 14,7 milliards de francs. Les conseillers de Gérard Longuet avaient une solution toute faite : revendre Zenith Data Systems. Ce constructeur américain de micro-ordinateurs, racheté en 1989, aurait «plombé» les résultats du groupe de 6 à 8 milliards de francs. «A ce prix, l’entreprise doit-elle continuer à fabriquer des micros ?», s’interroge un des collaborateurs du ministre.
Ce «conseil» a le don d’ulcérer Bernard Pache. «Il n’écoute que ses certitudes», prévient un de ses proches. Le P-DG a réservé sa réponse aux salariés du groupe. Début juin, il affirmait sur Channel Bull, le circuit vidéo interne, qu’il s’opposerait à tout démantèlement et maintiendrait les choix de son prédécesseur, Francis Lorentz : offrir un catalogue complet de solutions informatiques et s’allier avec d’autres constructeurs, afin de diminuer les coûts de développement. «Il ne veut pas rompre brutalement l’équilibre de l’entreprise, explique un autre collaborateur. Et veut avoir du temps devant lui.» Davantage, en tout cas, que son prédécesseur.
Remplaçant Jacques Stern, parti en 1989 monter sa propre affaire (lire Capital n° 21), Francis Lorentz n’est resté que trois ans dans le fauteuil de
P-DG. Les «effets de manche» de cet HEC-ENA, qui multipliait les déclarations optimistes à la presse, avaient fini par lasser son principal actionnaire. Et ses lieutenants. Son numéro 2, Jean-Claude Albrecht, actuel directeur général adjoint de Giat Industrie, avait préféré claquer la porte ! C’est dans ce contexte, pour le moins délicat, que Bernard Pache a pris, en juillet 1992, la tête de l’entreprise.
Il a fallu six mois à cet X-Mines pour faire le tour de la maison. Et autant pour constituer une nouvelle équipe de direction, capable de «mettre Bull sous tension» c’est son expression. Décision la plus remarquée : le changement de tête à la division commerciale pour la France. Directeur général pour le Benelux, Hervé Mouren, «booster d’équipes», selon ses subordonnés, a remplacé Albert Lévy-Soussan. Celui-ci, «trop éloigné du terrain», a été affecté au «Bull Stratégie, Marketing et Business Development». Simple placard, insinue-t-on, Pache ménageant souvent une sortie honorable à ses adjoints en disgrâce.
Ainsi, lorsqu’il a nommé à la tête des équipes de recherche Francis Ackermann, un de ses camarades de promo à l’X, il a proposé à l’ancien titulaire du poste, Michel Bloch, de devenir son «conseiller extérieur». L’ex-DRH, Claude Sidobre, lui, a été recasé en interne, repassant au commercial. Désormais, c’est un professionnel des ressources humaines, Hervé Hannebicque, précédemment affecté à la filiale française, qui gère le personnel . Un poste difficile car les licenciements devraient encore s’accélérer dans le groupe.
Dans deux cas, Bernard Pache a dû se résoudre à faire appel à des compétences extérieures. Pour le poste de président de Zenith, déserté en début d’année par Enrico Pesatori, passé chez Digital, il a dû débaucher Jacques Noels, président de Nokia Consumer Electronics et ancien de chez Texas et Thomson. Enfin, pour verrouiller son cabinet, il a recruté Anne-Catherine Lumbroso-Pringuet, qui travaillait déjà avec lui aux Charbonnages. Son rôle ? S’assurer que les décisions du patron sont bien appliquées. Les «Bullistes», paraît-il, ont développé une grande résistance au changement
Jacques Henno