Pour Tom Söderlund, tout a commencé par un… jeu ou plus exactement un concours de création d’entreprises. C’est là que ce jeune Suédois, a rencontré début 2000, les trois associés avec lesquels il a fondé sa start-up, It’s alive. Agé aujourd’hui de 25 ans, il dirige une équipe de dix ingénieurs, spécialiste des jeux sur téléphone mobile. Chaque jour, pas moins de 1 500 Stockholmois s’adonnent, sur leur portable, à BotFighters (« les combattants robots »). Le principe ? Après vous être inscrit en ligne, vous envoyez un SMS au serveur de BotFighter. L’ordinateur localise votre téléphone et vous indique si un autre joueur est à proximité. A vous, ensuite, de vous approcher pour le détruire : quand vous êtes à portée, vous envoyez un SMS demandant son élimination, virtuelle, bien sûr…
Ici, BotFighters est pris très au sérieux. Tous les financiers, ingénieurs et entrepreneurs du pays sont en effet persuadés que l’Internet mobile constituera, dans quelques mois, un nouvel Eldorado. L’Internet mobile ? « C’est la possibilité d’accéder à tous les services de la Toile – jeux, e-mail, forum, sites web – depuis n’importe quel terminal mobile, téléphone ou PDA », détaille Sven-Christer Nilsson, co-fondateur de Start-upfactory, une firme de capital-risque. Lui-même connaît bien le sujet : il était auparavant P-DG d’… Ericsson ! « Dans dix ans maximum, l’Internet sans fil sera partout », pronostique-t-il.
Cet enthousiasme national pour les nouvelles technologies ne date pas d’hier. Les neuf millions de Suédois sont sur-équipés en matériel : fin 2000, 71% des ménages possédaient un téléphone mobile et 48% un accès internet (en France, à la même époque les chiffres étaient, respectivement, de 44% et 12% !). Un pays étendu, une population dispersée, un médiocre réseau routier… les Suédois ont rapidement adopté ces nouveaux moyens de communication ! Ajoutez à cela un gouvernement compréhensif : « Ici, une licence pour un réseau téléphonique UMTS coûte moins de 100 000 couronnes (11 000 euros, NDLR) », révèle Arne Granholm, du ministère des télécommunications (en France, le prix d’une licence est de 619 millions d’euros, 4 milliards de francs ). Saupoudrez le tout d’un influent complexe militaro-industriel, gros consommateur d’électroniques, ainsi que d’un excellent système éducatif, et vous obtiendrez une économie tournée vers le high-tech : dans la région de Stockholm, près d’un salarié sur dix travaille dans les technologies de l’information !
Résultat, pour tout ce qui touche à la téléphonie mobile, la Suède est considérée, à l’instar du Japon, comme un laboratoire grandeur nature. Ce qui se passe ici aujourd’hui arrivera demain dans le reste de l’Europe.
Pour concevoir l’Internet mobile des prochaines années, les Suédois se concentrent sur trois activités : les jeux en ligne, les MMS (Multimedia messaging systems), sortes de SMS super-sophistiqués, et le concept d’E-street, la rue commerçante électronique.
Le marché des jeux est le plus disputé. Une pléiade de jeunes entreprises suédoises s’y affrontent : It’s Alive, Bluefactory, Gamefederation, Terraplay… «Mais nous sommes sur un créneau très porteur, estime Stefan Nilsson, du département marketing de Terraplay. Les cabinets d’études prévoient qu’en 2005 les jeux sur terminaux mobiles représenteront en Europe un marché de 2,21 milliards d’euros (14,5 milliards de francs, NDLR).» Mais pour l’instant, ces activités sont embryonnaires. Et les jeux rudimentaires. Ils consistent essentiellement à des échanges de SMS, du style : «Vous êtes touché ! Vous avez du jus de banane partout » (Banana battle , de Bluefactory).
Les choses devraient s’améliorer avec les MMS, les SMS multimédia. « Ils vous permettront d’échanger avec vos amis du texte, des images, du son, de la vidéo, le tout par portables interposés et en moins de deux secondes, décrit, prototype en main, Christoffer Andersson, de la division GPRS d’Ericsson. Regardez : en quelques clics, je regroupe dans un même MMS un petit texte, un smiley et une musique sympa pour souhaiter une bonne journée à ma femme. » Mieux, lors d’une compétition de hockey, en février dernier, à Stockholm, Ericsson avait équipé un joueur d’électrodes, pour mesurer son rythme cardiaque. Quelques privilégiés ont reçu sur leur PDA des vidéos en direct des matchs, avec en fond sonore, ces battements de cœur ! « Croyez-moi, on s’y serait crû », insiste Lars Brindt, responsable, chez Ericsson, des recherches avancées dans le domaine du wireless.
Autre expérience, cette fois à Luleå, une ville du Nord : 15 magasins et 2 500 habitants participent à un programme d’E-street. Les consommateurs ont enregistré leurs profils dans une base de données et chaque fois qu’ils passent à côté d’une échoppe faisant une promotion susceptible de les intéresser, un MMS leur est envoyé. Exemple : « Aujourd’hui, manteau d’hiver en promotion. KappAhl Luleå, 51 rue Storg » Et, à terme, le chaland obtiendra un plan pour arriver à destination. Il pourra même s’inscrire dans une file d’attente virtuelle. Très utile pour les banques et les services administratifs : lorsque un guichet sera sur le point de se libérer, le système enverra un message sur votre portable ! Décidément, à en croire les Suédois, notre téléphone portable sera, demain, le Sésame de toute notre vie !
De notre envoyé spécial en Suède, Jacques Henno
(article paru dans le numéro de février 2002 du mensuel Web Magazine)